Telegraaf Media Nederland Landelijke Media c. Pays-Bas

Affaire résolue Élargit l'expression

Key Details

  • Mode D'expression
    Presse / Journaux
  • Date de la Décision
    novembre 22, 2012
  • Résultat
    CEDH, Violation de lʼarticle 8, Violation de l'article 10
  • Numéro de Cas
    39315/06
  • Région et Pays
    Pays-Bas, Europe et Asie Centrale
  • Organe Judiciaire
    Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH)
  • Type de Loi
    Droit international/régional des droits de l'homme
  • thèmes
    Cybersécurité / cybercriminalité, Respect de la vie privée, protection des données et rétention, Violence contre les orateurs / impunité
  • Mots-Cles
    Protection des sources

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Analyse de Cas

Résumé du Cas et Résultat

Dans lʼaffaire Telegraaf Media Nederland Landelijke Media c. Pays-Bas, la troisième section de la Cour européenne des droits de lʼhomme (CrEDH) a estimé que les Pays-Bas a violé les droits dʼune société de presse et de deux journalistes au titre de lʼarticle 8 (droit au respect de la vie privée et familiales) et de lʼarticle 10 (liberté dʼexpression) de la Convention européenne des droits de lʼhomme (CEDH). Le journal a publié plusieurs articles, co-écrits par les deux journalistes, qui étayaient le contenu de documents ayant fait lʼobjet de fuites au sein des services secrets néerlandais (« AIVD »). Ces documents sont issus des enquêtes réalisées entre 1997 et 2000 autour des allégations de corruption dʼagents publics par le (réseau de) trafiquants de drogues et dʼarmes Mink K.. L’enquête a été classée sans suite faute de preuves tangibles. Les articles de presse rapportaient que ces dossiers avaient été obtenus par des contacts criminels qui les ont longtemps fait circuler au sein de leurs réseaux à Amsterdam. En réponse à ces révélations, lʼAIVD a ouvert une enquête et a utilisé des mesures de surveillance à l’encontre des potentiels journalistes impliqués dans cette fuite. Le ministère public a en outre ordonné à la société de presse impliquée de remettre les documents originaux afin de les retirer de la circulation publique. Le journal en question et les journalistes se sont toutefois plaints que les deux mesures visaient en fait à divulguer leurs sources journalistiques. Quant aux mesures de surveillance, la Cour européenne des droits de lʼhomme a admis que lʼun des objectifs de lʼAIVD – bien que n’étant pas son objectif principal – était dʼidentifier la ou les personnes ayant fourni les documents secrets aux journalistes et a conclu que la base légale invoquée ne fournissait pas de garanties appropriées contre une telle surveillance ciblée des journalistes visant (indirectement) à divulguer leurs sources. Il y a donc eu violation de lʼarticle 8 ainsi que de lʼarticle 10 de la CEDH. Concernant lʼordre de remise, la Cour européenne des droits de lʼhomme a jugé que lʼordre nʼétait pas motivé par des raisons « pertinentes et suffisantes » et quʼil ne remplissait donc pas le critère de « nécessité dans une société démocratique » justifiant lʼingérence dans lʼarticle 10 de la CEDH.


Les Faits

Le premier requérant, Telegraaf Media Nederland Landelijke Media B.V. (ci-après : « Telegraaf » ou « la société de presse »), est une société à responsabilité limitée de droit néerlandais. Ses activités comprennent la publication du quotidien à grand tirage De Telegraaf. Les deuxième et troisième requérants, respectivement M. Joost de Haas et M. Bart Mos, sont des journalistes néerlandais (ci-après : « De Haas et Mos » ou « les journalistes »).

En janvier 2006, De Telegraaf a publié plusieurs articles coécrits par De Haas et Mos sur des secrets dʼÉtat conservés au sein des services secrets néerlandais (« AIVD ») et obtenus par des sources criminelles. Les articles mentionnaient des détails sur les enquêtes de lʼAIVD de la fin des années 1990, y compris les noms de code des anciens informateurs. Selon les journalistes, des copies des documents ont été retournées à lʼAIVD. En réponse à ces publications, lʼAIVD a déposé une plainte pénale pour divulgation illicite de secrets dʼÉtat.

Ordre de reddition

Le 26 janvier 2006, le département des enquêtes internes de la police nationale a ordonné au Telegraaf de lui remettre les documents originaux contenant les secrets dʼÉtat. La société de presse a fait opposition à lʼordonnance auprès du tribunal régional de La Haye, en invoquant son privilège journalistique contre la divulgation des sources. Elle craignait que lʼexamen des documents originaux ne conduise lʼAIVD ou le ministère public à la source journalistique, car ceux-ci pouvaient contenir des empreintes digitales. Le tribunal régional a toutefois rejeté lʼobjection au motif suivant : les journalistes n’ont certes « pas été tenus de coopérer activement à lʼenquête sur lʼidentité de la source », mais en l’espèce, « tout ce qui a été demandé est la remise d’un matériel qui existe indépendamment de la volonté des journalistes et qui, de plus fait l’objet d’un acte criminel ». La cour a souligné également que « toute sanction des actions du ministère public en lʼespèce [nʼentraverait] pas les échanges futurs dʼinformations entre [le journal] et ses sources » [§ 23]. Lʼappel du journal sur des questions de droit a été rejeté par la Cour suprême des Pays-Bas en 2008.

Mesures de surveillance (procédures civiles)

Le 7 juin 2006, la société de presse et les journalistes ont engagé une procédure civile contre lʼÉtat, demandant des mesures provisoires concernant les écoutes téléphoniques et lʼobservation présumées de De Haas et Mos, vraisemblablement par des agents de lʼAIVD. Ils ont fait valoir que lʼutilisation de ces pouvoirs spéciaux était illégale, car elle était dépourvue de base juridique et, en outre, méconnaissait les exigences de subsidiarité et de proportionnalité, puisquʼelle visait la source journalistique plutôt que les journalistes eux-mêmes. LʼÉtat a refusé de confirmer ou dʼinfirmer lʼhypothèse de l’utilisation de pouvoirs spéciaux, car cela entraînerait la divulgation dʼinformations sur des opérations spécifiques de lʼAIVD et menacerait potentiellement la sécurité nationale. Partant de lʼhypothèse que lʼÉtat avait effectivement utilisé des mesures de surveillance, le juge des mesures provisoires de première instance a considéré que cette utilisation était contraire à lʼarticle 10 de la CEDH et a ordonné des mesures provisoires. Cependant, tant la Cour dʼappel que la Cour suprême ont finalement estimé que la protection des sources journalistiques nʼétait pas absolue et que les mesures de surveillance visant les journalistes ne peuvent être exclues par principe [§§ 25-33].

Détention (procédure pénale)

En novembre 2006, les journalistes ont été interrogés en tant que témoins dans le cadre dʼune procédure pénale contre trois personnes soupçonnées dʼavoir divulgué des secrets dʼÉtat en dehors de lʼAIVD. Les deux journalistes ont refusé de répondre à des questions qui auraient pu révéler lʼidentité de la ou des personnes qui leur avaient remis les documents. Les journalistes ont été initialement placés en détention pour non-respect dʼune ordonnance judiciaire, mais ils ont été libérés trois jours plus tard, le tribunal régional de La Haye ayant reconnu lʼimportance de la protection des sources journalistiques. Le tribunal régional a également estimé que la sécurité de lʼÉtat nʼétait finalement pas menacée puisque les médias avaient déjà pour la plupart pris connaissance de la fuite des documents au sein de lʼAIVD. Finalement, un suspect (« H ») a été condamné pour avoir divulgué les fichiers. Lʼarrêt mentionne que les documents saisis chez Telegraaf ont été examinés par lʼInstitut médico-légal néerlandais mais quʼaucune preuve quant à l’identification de l’auteur de la fuite nʼa été trouvée [§§ 34-37].

Conseil de surveillance des services de renseignement et de sécurité

Le 15 novembre 2006, le Conseil de surveillance des services de renseignement et de sécurité a conclu que les décisions de lʼAIVD de recourir à des pouvoirs spéciaux à lʼencontre des journalistes dans le cadre de son enquête sur

la fuite dʼinformations étaient légitimes [§§ 38-43].

Demande auprès de la CrEDH

Le 29 décembre 2006, Telegraaf, De Haas et Mos ont introduit une requête contre le Royaume des Pays-Bas (ci-après : « les Pays-Bas » ou « le Gouvernement ») devant la CEDH en vertu de lʼarticle 34 de la Convention européenne des droits de lʼhomme. Les trois requérants alléguaient une violation de lʼarticle 10 de la CEDH en ce que « des mesures incluant le recours à des pouvoirs spéciaux avaient été prises à leur encontre afin dʼidentifier leurs sources journalistiques » [§ 3]. En outre, les journalistes alléguaient « avoir été victimes dʼune violation de lʼarticle 8 de la Convention résultant de lʼutilisation de pouvoirs spéciaux de surveillance » [§ 3].


Aperçu des Décisions

Le juge Josep Casadevall (président de section) a rendu lʼarrêt de la troisième section de la CrEDH (ci-après : « la Cour »).

Questions clés

La question principale devant la Cour fut de savoir si les Pays-Bas avaient effectivement violé les articles 8 et 10 de la CEDH en utilisant des pouvoirs de surveillance et en ordonnant la remise des documents originaux.

Article 8 juncto 10 de la CEDH

Lʼutilisation de pouvoirs spéciaux contre les journalistes (De Haas et Mos)

Le Gouvernement a reconnu que les mesures de surveillance avaient porté atteinte aux droits des journalistes en vertu des articles 8 et 10 de la CEDH, mais a fait valoir que cette ingérence était justifiée (cʼest-à-dire prévue par la loi, poursuivant un but légitime et nécessaire dans une société démocratique) [§§ 67-79]. De Haas et Mos se sont plaints du fait que, sʼils nʼavaient pas été eux-mêmes des « cibles » des mesures de surveillance, lʼutilisation de ces mesures à leur encontre nʼavait pas de base légale, puisquʼil nʼy avait de base légale seulement pour la surveillance qui les visait spécifiquement. Ils ont également fait valoir que même sʼil y avait eu une base juridique formelle, les garanties contre les abus étaient insuffisantes étant donné quʼil nʼy avait eu aucun contrôle judiciaire préalable à lʼutilisation des pouvoirs spéciaux. Enfin, les journalistes ne considèrent pas que les mesures de surveillance aient été « nécessaires dans une société démocratique », sachant que :

  • les documents se rapportent à des enquêtes closes depuis six ans
  • des détails importants sur les informateurs ou les procédures nʼont été révélés
  • les informations étaient connues des milieux criminels depuis bien longtemps [§§ 80-83].

Il est important de noter que les questions soulevées par les mesures de surveillance sont habituellement examinées sous lʼangle de lʼarticle 8 de la CEDH uniquement, mais en lʼespèce, les mesures étaient si imbriquées dans lʼarticle 10 que la Cour a jugé approprié dʼexaminer la question sous lʼangle des articles 8 et 10 simultanément [§ 88].

La Cour a admis que lʼobjectif principal de lʼenquête de lʼAIVD fut de découvrir et de mettre fin à la fuite dʼinformations confidentielles; lʼidentification de la ou des personnes qui avaient fourni les documents secrets aux journalistes semblait avoir été subordonnée à cet objectif. Cependant, la Cour a souligné par ailleurs, quʼune source journalistique pouvait être identifiée relativement aisément. Se référant à la Recommandation n° R(2000)7 sur le droit des journalistes de ne pas divulguer leurs sources dʼinformation; Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas, n° 38224/03, 14 septembre 2010 ; Weber et Saravia c. Allemagne, n° 54934/00, 29 juin 2006, Roemen et Schmitt c. Luxembourg, n° 51772/99, 25 février 2003 ; Ernst et autres c. Belgique, n° 33400/96, 15 juillet 2003 ; et Tillack

  1. Belgique, n° 20477/05, 27 novembre 2007, la Cour a rappelé que les « informations permettant dʼidentifier une source » comprennent – dans la mesure où elles sont susceptibles de conduire à lʼidentification dʼune source – tant « les circonstances factuelles de lʼacquisition par un journaliste dʼinformations auprès dʼune source » que « le contenu non publié des informations fournies par une source à un journaliste » [§ 86]. Au regard de ces définitions, la Cour a estimé que lʼAIVD, en utilisant ses pouvoirs de surveillance sur les journalistes, avait contourné la protection dʼune source journalistique [§ 87].

Sʼagissant de la question de savoir si lʼingérence établie dans les articles 8 et 10 de la CEDH était « prévue par la loi », la Cour a rappelé sa jurisprudence selon laquelle la mesure litigieuse doit avoir une certaine base en droit interne, laquelle doit non seulement être accessible et prévisible quant à ses effets, mais aussi offrir une protection contre les ingérences arbitraires des autorités publiques, en particulier lorsque les pouvoirs sont exercés de manière confidentielle (voir Weber et Saravia ; Segerstedt-Wiberg et autres c. Suède, no 62332/00, 6 juin 2006 ; Liberty et autres c. Royaume-Uni, n° 58243/00, 1er juillet 2008 ; et Kennedy c. Royaume-Uni, n° 26839/05, 18 mai 2010) [§ 90]. En lʼespèce, la base légale de lʼinterférence était lʼarticle 6.2)a) de la loi sur les services de renseignement et de sécurité de 2002. La Cour a conclu que la loi était accessible et ses effets prévisibles, car les journalistes « ne pouvaient raisonnablement ignorer que les informations qui étaient tombées entre leurs mains étaient des informations classifiées authentiques qui avaient été illégalement retirées de lʼAIVD, et que leur publication était susceptible de provoquer des actions visant à découvrir leur provenance » [§ 93]. En ce qui concerne les garanties disponibles, la Cour a tout dʼabord observé que la présente affaire se distinguait clairement des affaires antérieures de la Cour européenne des droits de lʼhomme en ce qu’« elle se caractérise précisément par la surveillance ciblée de journalistes afin de déterminer dʼoù ils tiraient leurs informations » [§ 96]. Elle a souligné que « dans un domaine où les abus sont potentiellement si faciles dans des cas individuels et pourraient avoir des conséquences si néfastes pour la société démocratique dans son ensemble, il est en principe souhaitable de confier le contrôle de la surveillance à un juge » ou à un autre « organe indépendant » (voir Klass et autres c. Allemagne, n° 5029/71, 6 septembre 1978 ; Kennedy ; Weber et Saravia ; et Sanoma) [§ 98]. Le contrôle judiciaire rétrospectif nʼest pas suffisant car il ne peut empêcher la divulgation même de lʼidentité dʼune source [§ 99]. En lʼespèce, le recours à des pouvoirs spéciaux semblait avoir été autorisé par le ministre de lʼIntérieur et des Relations au sein du Royaume, ou par le chef de lʼAIVD, en tout état de cause « sans examen préalable par un organe indépendant ayant le pouvoir de lʼempêcher ou dʼy mettre fin » [§ 100]. La Cour a souligné que le « contrôle a posteriori », par exemple par le conseil de surveillance, « ne peut pas rétablir la confidentialité des sources journalistiques une fois quʼelle a été détruite » [§ 101]. Au vu de ce qui précède, la Cour a conclu que la loi de 2002 sur les services de renseignement et de sécurité ne prévoyait pas de garanties appropriées contre la surveillance ciblée des journalistes visant à découvrir leurs sources journalistiques [§ 102]. Lʼingérence nʼayant pas satisfait au critère du « prescrit par la loi », il y a eu violation de lʼarticle 8 juncto 10 de la CEDH.

Article 10 de la CEDH

Lʼordre de remettre les documents (Telegraaf)

En ce qui concerne lʼordre de remise à lʼencontre de lʼentreprise de presse, le Gouvernement fait valoir que lʼingérence avait une base légale dans lʼarticle 96a du code de procédure pénale et avait été évaluée par un tribunal. Le Gouvernement a en outre déclaré que lʼordre de remise avait poursuivi des objectifs légitimes de sécurité nationale/prévention du crime et quʼil était nécessaire dans une société démocratique, non seulement en raison de lʼimportance de restituer les secrets dʼÉtat à lʼAIVD et de découvrir qui avait eu accès aux documents, mais aussi en raison de la sécurité de deux anciens informateurs et de leur famille. Enfin, un ordre de remise était apparu moins intrusif quʼune perquisition des locaux des journalistes (voir Roemen et Schmit et Ernst et autres) [§§ 106-114]. La société de presse et les journalistes ont fait valoir en réponse que, pour le gouvernement, lʼobjectif principal de lʼordre de remise ne pouvait être autre que de soumettre les documents à un examen technique afin dʼidentifier la source journalistique. Lʼidentification des sources peut avoir un effet néfaste sur la société de presse, car les autres sources potentielles ne lui feraient plus confiance. Cela pourrait à son tour porter atteinte à lʼintérêt du public à recevoir des informations transmises par des sources anonymes [§§ 115-117].

La Cour a observé que lʼordre de remise avait porté atteinte à la liberté de lʼentreprise de presse de recevoir et de communiquer des informations en vertu de lʼarticle 10 de la CEDH. Elle a toutefois considéré que lʼingérence était prescrite par la loi, puisque lʼordonnance avait une base légale et que des garanties procédurales avaient été appliquées (cʼest-à-dire que les documents avaient été placés dans un conteneur scellé par un notaire et conservés dans un coffre-fort en attendant lʼissue de la procédure dʼobjection) [§§ 118-121]. Il nʼétait pas non plus contesté que lʼordre de remise avait poursuivi les buts légitimes dʼassurer la sécurité nationale et la prévention du crime [§ 122].

La Cour a ensuite procédé au test de la « nécessité dans une société démocratique » et a réitéré les exigences classiques dʼun « besoin social impérieux », de la « proportionnalité » et de « raisons pertinentes et suffisantes » pour lʼingérence (cf The Sunday Times c. Royaume-Uni, (n° 2), n° 13166/87, 26 novembre 1991) [§ 123]. Elle a mentionné la mission de la presse en tant que pourvoyeur dʼinformations et « chien de garde du public » (citant ainsi Barthold c. Allemagne, n° 8734/79, 25 mars 1985, Lingens c. Autriche, n° 9815/82, 8 juillet 1986 ; Thorgeir

Thorgeirson c. Islande, n° 13778/88, 25 juin 1992 ; Cumpǎnǎ et Mazǎre c. Roumanie, n° 33348/96, 17 décembre 2004 ; Voskuil c. Pays-Bas, n° 64752/01, 22 novembre 2007 ; et TV Vest AS et Rogaland Pensjinistparti

  1. Norvège, n° 21132/05, 11 décembre 2008) et a rappelé le devoir et la responsabilité du journaliste dʼagir de bonne foi afin de fournir des informations exactes et fiables conformément à la déontologie du journalisme (citant Fressoz et Roire c. France, n° 29183/95, 21 janvier 1999 ; Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège, n° 21980/93, 20 mai 1999 ; et Financial Times Ltd. et autres, n° 821/03, 15 décembre 2009). En ce qui concerne la protection des sources journalistiques, la Cour a souligné quʼil sʼagit dʼune des conditions fondamentales de la liberté de la presse dans une société démocratique (en se référant à la Recommandation n° R(2000)7) et que « sans une telle protection, les sources peuvent être dissuadées dʼaider la presse à informer le public sur des questions dʼintérêt public, ce qui peut porter atteinte au rôle vital de chien de garde de la presse ». Par conséquent, une ordonnance de divulgation des sources ne peut être compatible avec lʼarticle 10 de la CEDH « que si elle est justifiée par une exigence impérieuse dʼintérêt général » (Goodwin c. Royaume-Uni, n° 17488/90, 27 mars 1996 ; Voskuil ; Financial Times Ltd. et autres ; et Sanoma) [§ 127].

En appliquant ces principes, la Cour a estimé que lʼAIVD nʼavait pas donné de raisons « pertinentes et suffisantes » à lʼinterférence. La nécessité dʼidentifier le fonctionnaire de lʼAIVD qui a divulgué les dossiers ne pouvait pas justifier à elle seule lʼordre de remise des documents originaux, dʼautant plus que le procureur général avait admis que les coupables pouvaient simplement être trouvés en étudiant le contenu des (copies des) documents et en les reliant aux fonctionnaires qui ont eu accès aux dossiers [§ 129]. Lʼobjectif de retirer les documents de la circulation publique nʼétait pas non plus suffisant pour constituer « une exigence impérieuse dʼintérêt général » justifiant la divulgation de la source journalistique, notamment parce que le retrait nʼempêcherait plus lʼinformation de tomber entre de mauvaises mains – elle était très probablement déjà tombée entre les mains de criminels (voir The Sunday Times, Observer and Guardian c. Royaume-Uni, n° 13585/88, 26 novembre 1991 et Vereniging Weekblad Bluf! c. Pays-Bas, n° 16616/90, 9 février 1995) [§ 130-131]. Enfin, la Cour a estimé que la remise effective des documents nʼavait pas été nécessaire, considérant quʼune inspection visuelle de lʼintégralité suivie de la destruction des documents aurait suffi [§ 131]. Au vu de ces motifs, la Cour a conclu à la violation de lʼarticle 10 de la CEDH.

Conclusion et dommages

En conclusion, la Cour estime à lʼunanimité que les Pays-Bas ont violé les droits des deux journalistes au titre de lʼarticle 8 (vie privée) combiné à lʼarticle 10 (liberté dʼexpression) de la CEDH en utilisant des pouvoirs spéciaux de surveillance à leur encontre et estime à la majorité que les Pays-Bas ont violé les droits de la société de presse au titre de lʼarticle 10 de la CEDH en émettant un ordre de remise de documents susceptibles dʼidentifier les sources journalistiques. En conséquence, la Cour a condamné les Pays-Bas à verser aux requérants 60 000 EUR au titre de leurs frais et dépens.

Opinion partiellement dissidente conjointe

Les juges Myjer et López Guerra ont rédigé ensemble une opinion partiellement dissidente sur lʼarrêt de la Cour, car ils estiment que lʼordre de remise ne peut être considéré comme ayant violé lʼarticle 10 de la CEDH. Les juges dissidents ont souligné que lʼAIVD, qui détenait le titre de propriété des documents pénalement soustraits de lʼinstitution, pouvait déterminer les raisons pour lesquelles il fallait exiger la restitution des documents (cʼest-à-dire à leur propriétaire légal). Selon les juges dissidents, le fait que les dossiers soient entrés en possession de la presse nʼaffecte pas le droit du propriétaire des documents [§§ 3-5]. En référence à la jurisprudence antérieure (Handyside

  1. Royaume-Uni, n° 5493/72, 7 décembre 1976 et 5493/72, 7 décembre 1976 et Otto Preminger-Institut c. Autriche, n° 13470/87, 20 septembre 1995), dans laquelle la Cour avait jugé « que lʼarticle 10 ne saurait être interprété comme interdisant la confiscation, dans lʼintérêt public, de biens dont lʼusage a été légalement jugé illicite », les juges ont estimé quʼil nʼétait nullement déraisonnable que les autorités aient refusé lʼoffre du journal de détruire les documents et ont conclu que lʼÉtat était en droit de se voir restituer la possession des documents originaux [§ 9].

Direction De La Décision

Info Rapide

La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.

Élargit l'expression

La décision élargit la liberté d’expression. La Cour a souligné l’importance des garanties procédurales lorsque les mesures de surveillance visent (indirectement) la découverte d’une source journalistique, nécessitant ainsi un contrôle ex ante par un juge ou un autre organe indépendant. La Cour a également placé la barre très haut pour ce qui est de l’« exigence impérieuse d’intérêt public », considérant que le retrait de documents contenant des informations secrètes de la circulation publique dans l’intérêt de la sécurité nationale ne constitue pas en soi une raison pertinente et suffisante pour justifier la divulgation d’une source journalistique.

Perspective Globale

Info Rapide

La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.

Tableau Des Autorités

Lois internationale et/ou régionale connexe

Importance du Cas

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