Robinson c. Procureur Général

Affaire Résolue élargit l'expression

Key Details

  • Mode D'expression
    Expression non verbale
  • Date de la Décision
    avril 12, 2019
  • Résultat
    Résultat de la décision (Disposition/Verdict), Loi ou action annulée ou jugée inconstitutionnelle
  • Numéro de Cas
    2018HCV01788; [2019] JMFC Full 04
  • Région et Pays
    Jamaïque, Amérique latine et Caraïbes
  • Organe Judiciaire
    Suprême (cour d'appel de dernière instance)
  • Type de Loi
    Droit Constitutionnel
  • thèmes
    Respect de la vie privée, protection des données et rétention
  • Mots-Cles
    Données Biométriques, Information personnelle

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Analyse de Cas

Résumé du Cas et Résultat

Trois juges de la Cour suprême de la Jamaïque ont qualifié la loi nationale sur l’identification et l’enregistrement (« NIRA » ou  » « la Loi »), dans son intégralité, d’inconstitutionnelle au motif qu’elle violait le droit à la vie privée et à l’égalité. La Loi exigeait que les citoyens jamaïcains et les résidents de plus de six mois soient inscrits dans une base de données et fournissent des données biographiques et biométriques. Pour garantir l’application de la Loi, des sanctions pénales étaient prévues pour les personnes qui ne s’inscrivaient pas. La Cour, tout en donnant une interprétation extensive du droit à la vie privée, a estimé que la nature obligatoire de la Loi et les sanctions pénales constituaient une violation de la vie privée et de la liberté individuelle. Les mesures disproportionnées utilisées pour faire appliquer la Loi, l’absence d’objectif nécessaire et légitime ainsi que l’absence de garanties contre l’utilisation abusive des données collectées en vertu de la loi sont les principaux motifs pour lesquels la Cour a déclaré la Loi inconstitutionnelle.


Les Faits

M. Julian Robinson, un citoyen jamaïcain, a contesté la constitutionnalité de certaines dispositions de la NIRA. La NIRA avait été adoptée par le corps législatif et était devenue loi le 8 décembre 2017, mais n’était pas entrée en vigueur. La contestation a été faite devant le panel de trois juges de la Cour suprême de justice de la Jamaïque au motif que certaines des dispositions de la Loi violaient le droit à l’égalité, à la liberté, à la sécurité et à la vie privée garanti par la Loi de 2011 sur la Charte jamaïcaine des droits et libertés fondamentaux (« la Charte jamaïcaine ») qui sont inscrits dans la Constitution de la Jamaïque.

Le procureur général de la Jamaïque a fait valoir au nom du gouvernement que les dispositions contestées sont constitutionnelles et raisonnablement justifiées dans une société libre et démocratique. La NIRA ne concerne pas la vie privée au sens territorial et ne constitue pas une ingérence dans l’intégrité corporelle. En revanche, si la Cour estime qu’il y a eu ingérence dans le droit à la vie privée, cette ingérence était justifiée car la loi poursuivait un objectif et un but légitimes.

Le législateur a promulgué la NIRA pour mettre en place un système de collecte de données sur tous les citoyens de la Jamaïque et sur ceux qui y vivent pendant au moins six mois d’une année civile. La NIRA exigeait que les personnes enregistrables fassent une demande d’enregistrement, faute de quoi elles risquaient une condamnation pénale. Le système proposait de collecter un large éventail d’informations, notamment des données biométriques, des informations démographiques et des numéros de référence nationaux tels que les numéros d’enregistrement des contribuables et des permis de conduire, afin de créer une base de données nationale d’état civil et d’identification qui serait stockée indéfiniment dans les systèmes gouvernementaux. Lors de l’enregistrement, les personnes se verraient attribuer un numéro d’identification national (« NIN »), qui leur permettrait d’obtenir une carte d’identification nationale (« NIC »). Le NIN ou la NIC étaient des conditions préalables à l’accès aux biens ou aux services des autorités publiques. Sur demande, le système permettait également à des tiers d’accéder aux données, sans garanties suffisantes pour la protection des données.

La Cour a examiné des arguments détaillés sur le test de proportionnalité, la nature et la portée du droit à la vie privée, et l’interprétation de l’objectif et du but légitimes dans une société libre et démocratique.


Aperçu des Décisions

Le juge en chef Sykes, le juge Bates et le juge Batts ont émis des opinions distinctes, mais ont unanimement jugé que la NIRA, dans son intégralité, était inconstitutionnelle et nulle au motif qu’elle violait le droit à la vie privée et à l’égalité. La requête centrale était de savoir si l’inscription obligatoire prescrite constituait une violation de la Charte jamaïcaine et si la sanction pénale imposée en cas de non-inscription constituait un moyen proportionnel d’application.

Le thème sous-jacent de cette demande a été recentré sur la liberté et la vie privée. Citant le point de vue de la Cour suprême du Canada sur la nature de la liberté dans l’affaire Big M Drug Mart Ltd 18 DLR (4th) 321, le juge Sykes a déclaré que « les droits relatifs à la liberté de pensée, de religion, de réunion pacifique, de circulation et à la protection contre la discrimination ont trait à la liberté de ne pas être contraint ou empêché de faire ou de ne pas faire quelque chose que l’on ne veut pas faire lorsqu’il n’y a aucune raison impérieuse autre que l’opinion de quelqu’un d’autre, y compris celle de l’exécutif et du législatif, de le faire » [paragraphe 173].

La Cour a analysé chaque section contestée de la NIRA et a estimé que, le non-enregistrement étant une infraction continue, le risque de poursuites est permanent. Le processus d’inscription nécessite la soumission de données biographiques et biométriques de base. Lorsque cela est associé à l’interprétation d’autres dispositions de la loi, cela crée la perspective qu’une personne qui ne s’inscrit pas dans la base de données se verrait refuser l’accès à l’ensemble des services et prestations du gouvernement [paragraphe 247(B)(7)].

En ce qui concerne la portée du droit à la vie privée, la Cour, tout en se référant à l’affaire Justice K Puttaswamy (Rtd) and Anr c. Union of India (« affaire Puttaswamy »), a déclaré que le droit à la vie privée est un droit inhérent qui « comporte au moins trois aspects : la vie privée de la personne, la vie privée informationnelle et la vie privée du choix » et la Charte jamaïcaine est « fondée sur la dignité inhérente des êtres humains » [paragraphes 175-176]. La Cour a reconnu que « la vie privée dans une société libre et démocratique reconnaît que les informations biométriques d’une personne lui appartiennent et qu’elle conserve le contrôle de ces informations en vertu de sa dignité inhérente d’être libre et autonome » [paragraphe 247(B)(10)].

Le procureur général a fait valoir qu’il incombe au requérant de prouver de manière concluante la violation de droits tels que la vie privée et la liberté. Cependant, la Cour n’a pas soutenu cette position. S’appuyant sur l’affaire canadienne R v Oakes 26 DLR (4th) 200, la Cour a déclaré que dans les litiges constitutionnels, une fois que le demandeur a établi une preuve recevable de la violation des droits fondamentaux dans la législation, « il incombe à l’auteur de la violation de prouver que la loi est justifiable dans une société libre et démocratique » [paragraphe 101]. Le test consiste à déterminer si la violation est manifestement justifiée, ce qui exige des « preuves claires » et une « justification convaincante » [paragraphe 121]. Cela implique un niveau élevé de responsabilité et le tribunal doit connaître les mesures alternatives disponibles pour mettre en œuvre l’objectif afin d’assurer une protection efficace des droits fondamentaux. De plus, lorsqu’il existe un lien entre le requérant et l’État en ce qui concerne la violation d’un droit et les justifications de cette violation, « le tribunal devrait toujours statuer en faveur du maintien du droit » [paragraphe 130].

Pour évaluer si une loi est « manifestement justifiée dans une société libre et démocratique », le juge Sykes s’est appuyé sur le test de proportionnalité appliqué dans l’affaire Oakes, mais l’a modifié en un critère en quatre étapes :

« la loi doit viser un objectif approprié qui est suffisamment important pour justifier une dérogation aux droits ou libertés fondamentaux ;les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question. Elles ne doivent pas être arbitraires, inéquitables ou fondées sur des considérations irrationnelles ;les moyens, même s’ils sont rationnellement liés à l’objectif dans ce premier sens, doivent porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en question ;il doit y avoir une proportionnalité entre les effets des mesures qui sont responsables de la limitation du droit ou de la liberté garantis par la Charte jamaïcaine et l’objectif qui a été identifié comme étant d’une importance suffisante » [paragraphe 108].

Appliquant ce critère dans le contexte du droit à la vie privée, le juge Sykes s’est écarté de la décision de la majorité dans l’affaire Puttaswamy pour permettre un « examen plus granulaire » de « l’effet délétère de la mesure invoquée pour atteindre l’objectif » [paragraphe 177].

Ceci laisse une marge d’appréciation moindre aux autorités nationales dans leur évaluation. Par conséquent, toute modification d’un droit fondamental exige un « niveau élevé de justification ». Alors que la norme de preuve pour le demandeur se situe au niveau le plus bas de la balance des probabilités, la norme de preuve pour le violateur est « la balance des probabilités mais au niveau le plus élevé, plus proche de l’extrémité de fraude du spectre de la preuve ». Ainsi, toute atteinte aux droits fondamentaux ne sera admise que si elle est nécessaire, justifiée et qu’elle est « la moins dommageable eu égard au but ou à l’objectif de la loi » [paragraphe 203].

« La proportionnalité signifie, entre autres, que le remède ne doit pas être pire que le mal. Le remède ne doit pas laisser le patient dans un état pire qu’avant l’administration du médicament » [paragraphe 228]. En appliquant ce critère à la NIRA, la Cour a jugé que la loi échouait sur tous les plans, car il y a un manque flagrant de preuves pour démontrer l’urgence ou l’importance du régime obligatoire.

En différenciant la NIRA du système Aadhaar maintenu dans l’affaire Puttaswamy, la Cour a estimé que les informations collectées allaient au-delà des informations démographiques et comprenaient des informations biographiques détaillées qui devaient être traitées à des fins économiques ou sociales. En outre, le programme Aadhaar était un programme volontaire, destiné à fournir une aide gouvernementale à un groupe spécial de personnes. Le gouvernement indien a produit un nombre considérable de données indiquant la nécessité du système en Inde pour distribuer efficacement l’argent des programmes d’aide sociale et d’autres programmes aux bénéficiaires prévus [paragraphe 228].

S’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Blencoe c. ColombieBritannique 190 DLR (4th) 513, le juge en chef a déclaré que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité tel que protégé par l’article 13(3)(a) de la Charte jamaïcaine est un droit étendu. L’obligation de fournir des renseignements biographiques ou biométriques en vertu de la NIRA porte atteinte au droit à la liberté de la personne. Contrairement aux cas de collecte de données pour un permis de conduire ou un passeport, la création d’un identifiant unique pour chaque individu donnera à l’État le pouvoir de relier des données dans un large éventail de bases de données, ce qui peut générer de nouvelles données d’identification auxquelles l’individu n’a pas consenti [paragraphe 247(B)(19)].

La Cour a également discuté du fait que la « protection contre la recherche » englobe également la protection contre le prélèvement obligatoire des données biographiques et biométriques des individus. La Cour a examiné plusieurs affaires de la Cour suprême du Canada dans lesquelles il a été établi que « la notion de perquisition ne se limite pas à l’examen physique de la personne, de son domicile ou de son entreprise, mais s’étend à la prise d’empreintes digitales et à toute information donnée sous la contrainte de la loi » [R c. Spence [2014] 2 SCR 212 ; R c. Dyment 55 DLR (4th) 503].

Soulignant les dangers de la collecte d’informations biométriques en ce qu’elle menace la vie privée et la sécurité personnelle, facilite la discrimination et la surveillance de masse, et porte atteinte au droit d’un individu de rester anonyme, le juge Sykes a souscrit à l’opinion dissidente du juge Chandrachud dans l’affaire Puttaswamy. Compte tenu de l’impact irréversible et grave d’une violation des données, la collecte de données biométriques pour des questions autres que les enquêtes criminelles est susceptible d’entraîner des violations des droits fondamentaux, à moins que des garanties rigoureuses ne soient mises en place.

La Cour a également exprimé une grande inquiétude quant à l’accès des tiers prévu par la NIRA. La loi permet à des tiers ou à des entités requérantes d’accéder à la base de données à des fins de vérification, sans qu’il soit nécessaire de démontrer que cet accès était nécessaire [paragraphe 247(B)(59)]. Bien que la loi enjoigne à l’entité requérante d’accéder à la base de données uniquement à des fins de vérification, la sanction prévue en cas d’utilisation de la base de données à d’autres fins n’est pas suffisamment prohibitive pour avoir un effet dissuasif sur les tiers et prévenir les abus [paragraphe 247(B)(74)].

Ne voyant aucune nécessité impérieuse pour le système d’inscription obligatoire, la Cour a conclu que la loi était un « moyen disproportionné pour atteindre l’objectif de fournir à chaque citoyen une identification fiable » [paragraphe 247(B)(51)].

En ce qui concerne les sanctions pénales à l’encontre des personnes qui ne s’inscrivent pas à la NIRA, la Cour a estimé que cette disposition constituait une violation flagrante du droit à la vie privée. La criminalisation prive les citoyens du choix de demander volontairement le numéro d’identification de l’État. Cela revêt une importance accrue lorsque la loi n’exclut pas le profilage des données.

Enfin, la Cour a évalué les garanties prévues par la NIRA pour protéger les informations privées. L’article 39(4) de la loi prévoyait une sanction pénale de 500 000 $ si les entités requérantes utilisaient les renseignements à des fins autres que la vérification. La Cour a estimé que l’amende était insuffisante et que la Loi ne prévoyait pas d’obligation positive pour le tiers de détruire les données de vérification. En outre, la loi n’empêche pas les tiers de stocker des données ou de collecter des métadonnées. L’utilisation abusive des données est une violation qui peut passer inaperçue très facilement, ce qui fait du vol de données un sujet de préoccupation sérieux. C’est la raison pour laquelle il doit y avoir une forte dissuasion pour minimiser le vol de données et des systèmes robustes doivent être mis en place pour minimiser le vol de données.

Bien que seules certaines parties de la NIRA aient été jugées inconstitutionnelles, la Cour a invalidé la loi dans son intégralité car elle ne prévoyait pas de garanties suffisantes pour protéger les informations sensibles. Une protection plus solide serait nécessaire, même si le système était volontaire.


Direction De La Décision

Info Rapide

La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.

élargit l'expression

La Cour suprême a interprété le droit à la vie privée de manière illimitée en élargissant sa portée audelà de la vie privée territoriale ou physique pour inclure la vie privée informationnelle. Elle a également conclu qu’en vertu de la nouvelle Charte des droits, il appartient à la partie qui cherche à faire respecter la limitation d’un droit ou d’une liberté garantie par la Charte de prouver qu’elle est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Perspective Globale

Info Rapide

La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.

Tableau Des Autorités

Autres normes, lois ou jurisprudences nationales

Importance du Cas

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L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.

La décision établit un précédent contraignant ou persuasif dans sa juridiction.

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