Liberté d'association et de réunion / manifestations, Expression politique
Constitutionnalité du Décret d’Urgence n°1074
Équateur
Affaire résolue Élargit l'expression
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La Cour interaméricaine des droits de l’Homme a estimé que la procédure pénale de diffamation engagée depuis huit ans contre un candidat à la présidence paraguayenne, Ricardo Canese, constituait une violation de son droit à la liberté d’expression en vertu de l’article 13 de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme. Canese a été condamné à une peine de prison, au paiement d’une amende, et a été soumis à des restrictions l’empêchant de quitter le Paraguay pendant la durée de la procédure. La Cour a jugé que la procédure contre M. Canese était inutile et excessive, malgré le fait qu’il ait finalement été acquitté, et a souligné l’importance fondamentale de la liberté d’expression au cours d’un processus électoral à titre de moyen pour questionner et enquêter sur la qualité des candidats.
M. Canese était un ingénieur industriel et un opposant virulent à la dictature d’Alfredo Stroessner au Paraguay. Tout au long de sa carrière d’ingénieur, il a fait des recherches et écrit sur la centrale hydroélectrique binationale d’Itapú, l’un des plus grands barrages hydroélectriques au monde et la principale richesse naturelle du Paraguay. Le projet a été construit sur la base d’un accord entre le Brésil et le Paraguay pour exploiter le potentiel hydroélectrique du fleuve Paraná. L’un des deux entrepreneurs pour la construction de la centrale électrique était le consortium CONEMPA, présidé entre 1975 et 1993, par Juan Carlos Wasmosy.
En 1993, M. Canese s’est présenté aux élections présidentielles au Paraguay contre M. Wasmosy. Dans le cadre de la campagne de Canese, des journalistes travaillant pour les médias Noticias et ABC Color l’ont interviewé. Le journal Noticias a publié un article intitulé « Wasmosy forjó su fortuna gracias a Stroessner » [Wasmosy a amassé sa fortune grâce à Stroessner], dans lequel M. Canese aurait déclaré, entre autres choses, que « Wasmosy […] est passé de la faillite à une richesse des plus spectaculaires, grâce au soutien de la famille du dictateur, qui lui a permis d’assumer la présidence de CONEMPA, le consortium qui jouissait du monopole au Paraguay des principaux contrats de travaux publics d’Itaipú ». Le journal ABC Color a publié un article intitulé « Wasmosy fue prestanombre de la familia Stroessner » [Wasmosy était l’homme de paille de la famille Stroessner], qui citait M. Canese disant que « M. Wasmosy était l’homme de paille de la famille Stroessner au sein de CONEMPA, et la société a transféré des dividendes substantiels au dictateur » [para. 69 (7)].
En octobre 1992, les directeurs du Consotium CONEMPA ont déposé une plainte pénale contre M. Canese pour diffamation et injure à la suite des déclarations données aux deux journaux . M. Wasmosy n’a pas déposé de plainte pénale.
En mars 1994, le juge de première instance pour les affaires pénales a reconnu M. Canese coupable de diffamation et d’injure envers les dirigeants de CONEMPA, le condamnant à quatre mois de prison et à une amende (14 950 000 millions de guaranis). En novembre 1997, la cour d’appel en matière pénale n’a retenu que la condamnation pour diffamation (et non pour injure) et a réduit la peine de prison à deux mois et l’amende à 2 909 090 guaranis.
En novembre 1998, un nouveau code de procédure pénale est entré en vigueur, réduisant les peines pour diffamation et établissant une amende comme alternative à l’emprisonnement. En 2002, la Cour suprême a annulé les jugements définitifs contre M. Canese, et l’a acquitté. Pendant toute la durée de la procédure devant les juridictions internes, M. Canese a été soumis à des restrictions de sortie du Paraguay qui n’ont été levées qu’à quelques reprises.
La Cour devait déterminer si les poursuites pénales engagées contre M. Canese, les sanctions pénales et civiles qui lui ont été imposées et les restrictions de voyage auxquelles il a été soumis pendant près de huit ans et quatre mois ont indûment restreint son droit à la liberté d’expression en vertu de l’article 13 de la Convention.
La Cour a rappelé que la liberté d’expression comporte deux dimensions tout aussi importantes qui doivent être garanties simultanément : une dimension individuelle qui protège le droit de l’individu d’exprimer ses propres pensées, et une dimension sociale qui protège le droit collectif de recevoir des informations. En ce qui concerne l’affaire en question, la Cour a constaté que les déclarations pour lesquelles M. Canese a été poursuivi permettaient l’exercice de ces deux dimensions. M. Canese avait la possibilité de diffuser les informations qu’il détenait sur l’un des candidats opposés et d’échanger des informations avec les électeurs.
La Cour a poursuivi en notant l’importance de la liberté d’expression dans une démocratie, réitérant que la liberté d’expression est essentielle pour « la consolidation et la dynamique d’une société démocratique » [para. 86]. La Cour a rappelé que sans liberté d’expression effective, « un terrain fertile est créé pour que des systèmes autoritaires s’enracinent dans la société » (Herrera Ulloa c. Costa Rica, para. 116). Elle a noté qu’en l’espèce, les déclarations ont été faites au cours d’un important processus de démocratisation au Paraguay, car elles ont été faites lors d’une campagne électorale dans le contexte de la transition d’une dictature vers une démocratie.
De plus, la Cour a souligné le rôle fondamental des deux dimensions de la liberté d’expression dans le contexte d’un processus électoral : « elles deviennent un instrument essentiel pour la formation de l’opinion publique parmi les électeurs, renforcent la compétition politique entre les différents candidats et partis prenant part aux élections, et constituent un véritable mécanisme d’analyse des programmes politiques proposés par les différents candidats. Cela donne lieu à une plus grande transparence et à un meilleur contrôle de l’autorité future et de son administration » [para. 88].
La Cour a estimé qu’il était essentiel que le droit à la liberté d’expression soit protégé et garanti dans le cadre d’un débat politique qui précède l’élection de ceux qui gouverneront l’État, et que chacun ait la possibilité « de mettre en question et d’enquêter sur la compétence et l’aptitude des candidats, de ne pas être d’accord et de comparer les propositions, les idées et les opinions, afin que l’électorat puisse se forger son opinion pour voter » [para. 90].
La Cour a également souligné le caractère d’intérêt public des déclarations mises en cause dans l’affaire. Premièrement, les déclarations concernaient CONTEMPO qui a participé à la construction de la centrale hydroélectrique binationale Itapú. Deuxièmement, Itapú faisait l’objet d’une enquête du Congrès national pour corruption impliquant M. Wasmosy et CONEMPA. Les déclarations ont été faites contre M. Wasmosy qui était lui-même une personnalité publique, mettant en doute sa compétence et son aptitude à être Président du Paraguay.
La Cour a rappelé que le droit à la liberté d’expression n’est pas absolu. Elle a néanmoins déclaré que toute restriction à l’expression doit être justifiée en démontrant un « intérêt public impérieux ». En outre, pour être nécessaire dans une société démocratique, la restriction doit être proportionnée à l’objectif légitime qui la justifie et étroitement adaptée à la réalisation de cet objectif, en interférant le moins possible dans l’exercice du droit. La Cour a estimé que, compte tenu du contrôle démocratique exercé par la société à travers l’opinion publique, il y aurait une marge réduite pour toute restriction aux débats politiques ou aux débats sur des questions d’intérêt public.
La Cour a ajouté que le discours relatif aux fonctionnaires et à ceux qui exercent des fonctions publiques bénéficie d’un degré plus élevé de protection. Elle a déclaré, plus précisément, que les opinions et les déclarations d’intérêt public concernant un individu se présentant comme candidat à la présidence devraient se voir accorder une large latitude, étant donné qu’une telle personne se soumet à un examen public. La Cour a relevé que ce seuil de protection différent ne repose pas sur la nature du sujet, mais « sur le caractère d’intérêt public inhérent aux activités ou aux actes de la personne concernée » [para. 103]. Sur cette base, les responsables de CONEMPA ont été considérés comme des personnes devant avoir une plus grande marge de tolérance face à la critique dans le contexte d’un débat public.
En ce qui concerne la peine infligée à M. Canese, la Cour a rappelé que les lois pénales sont le « moyen le plus restrictif et le plus sévère d’établir la responsabilité d’un comportement illégal » [para.104]. La Cour a reproché aux juridictions nationales de ne pas avoir pris en compte l’importance du droit à la liberté d’expression dans le contexte de cette affaire. Par conséquent, elle a conclu que la durée de la procédure pénale, la peine et l’interdiction de quitter le pays pendant la durée de la procédure constituaient « une peine inutile et excessive » [para.106]. En outre, la procédure a eu pour effet permanent de limiter le débat sur des questions d’intérêt public et l’exercice par M. Canese de son droit à la liberté d’expression pour le reste de la campagne électorale. En parvenant à cette conclusion, la Cour n’a trouvé aucun intérêt social impérieux justifiant les mesures punitives adoptées en l’espèce.
De l’avis de la Cour, l’ensemble de ces éléments constituait une restriction incompatible avec l’article 13 de la Convention et, par conséquent, une violation du droit à la liberté de pensée et d’expression. Le Paraguay a été condamné à verser des dommages-intérêts d’un montant de 35 000 dollars à M. Canese pour le préjudice subi du fait des violations de ses droits humains en vertu de la Convention, y compris le droit à la liberté d’expression.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
Cette affaire élargit le champ d’expression en mettant en exergue l’importance de la liberté d’expression dans un contexte électoral et la nécessité de protéger et de garantir les discours portant sur des questions d’intérêt public, sur des agents publics et sur des candidats à des charges publiques.
De plus, la Cour a déclaré que, dans cette affaire, la durée de la procédure pénale et ses conséquences constituaient une restriction inutile et excessive du droit à la liberté d’expression, même lorsque la personne concernée est finalement acquittée.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
Les décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’homme sont contraignantes pour l’État concerné et établissent des normes qui doivent être prises en compte par les organes judiciaires de tous les États parties à la Convention américaine des droits de l’homme dans des cas similaires.
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