Réglementation du contenu / censure, Expression politique
Canadian Constitution Foundation c. Procureur général du Canada
Canada
Affaire résolue Élargit l'expression
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Le 5 décembre 2014, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a rendu un arrêt historique dans sa première affaire concernant la liberté de la presse. Le jugement a annulé la condamnation du journaliste Lohé Issa Konaté qui avait fait l’objet de sévères sanctions pénales imposées par le Burkina Faso suite à des accusations de diffamation pour avoir publié plusieurs articles de journaux alléguant la corruption d’un procureur. La Cour a estimé que la condamnation constituait une ingérence disproportionnée dans les droits à la liberté d’expression garantis au requérant. Elle a noté que les personnalités publiques telles que les procureurs doivent tolérer plus de critiques que les particuliers. En outre, la Cour a ordonné au Burkina Faso d’amender sa législation sur la diffamation afin de la rendre conforme aux normes internationales en abrogeant les peines privatives de liberté pour les actes de diffamation ; et d’adapter sa législation afin de garantir que les autres sanctions pour diffamation remplissent les critères de nécessité et de proportionnalité, conformément aux obligations internationales du pays.
En août 2012, le journaliste Lohé Issa Konaté a écrit deux articles pour le journal L’Ouragan, dans lesquels il a accusé le procureur général de corruption. En réponse, le procureur a porté plainte contre M. Konaté et un co-accusé pour diffamation, insulte publique et outrage au tribunal. Des plaintes ont aussi déposées au pénal contre les deux accusés et des dommages-intérêts ont été réclamés.
En octobre 2012, M. Konaté a été reconnu coupable par la Cour suprême Ouagadougou et condamné à un an de prison, une amende de US $3000 et des dommages-intérêts au profit du procureur d’un montant de US $9000. De plus, la Cour a aussi ordonné la suspension du journal L’Ouragan ayant publié les articles pour une période de 6 mois. La décision a ensuite été confirmée en appel . En juin 2013, une requête a été déposée au nom de M. Konaté auprès de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples alléguant que les sanctions excessives imposées violaient ses droits de liberté d’expression tels que garantis par l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (“Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements.”), l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (“Toute personne a droit à la liberté d’expression ”), et l’article 66(2)(c) du Traité instituant la CEDEAO (Les états sont tenus d’assurer le respect des droits des journalistes); auxquels le Burkina Faso est membre.
La requête a été présentée par Media Legal Defense Initiative (“MLDI”), une ONG dédiée à la défense juridique des médias indépendants, des journalistes et des bloggeurs qui sont menacés à cause de leurs publications. L’objectif de MLDI est de promouvoir la liberté d’expression dans les médias, telle que soutenue par les normes internationales. MLDI a porté son aide à plus de 1500 journalistes à travers le monde et peut se prévaloir d’assurer une défense de haute qualité en matière de liberté d’expression.
Appréciation du requérant :
La requête a invoqué que la Cour africaine devrait revoir l’affaire pour constituer sa propre jurisprudence en matière de liberté d’expression étant donné que la Cour n’avait pas encore connu d’une affaire relative à la liberté d’expression avant l’affaire en cours. Le requérant a notamment fait valoir que la condamnation du journaliste “à une peine de prison, le paiement d’une amende substantielle et des dommages-intérêts constitue une violation de son droit de liberté d’expression protégé en vertu de divers traités auxquels le Burkina Faso est membre.”
Citant plusieurs conventions et traités internationaux, le requérant a soutenu que le Burkina Faso avait l’obligation de protéger le droit à la liberté d’expression. Cette analyse a été fondée sur les conventions et traités régionaux et internationaux que le Burkina Faso a ratifiés, la constitution du Burkina Faso et la reconnaissance par la communauté internationale du droit à la liberté d’expression. Quant au fond de l’affaire, la requête a noté que la condamnation pour diffamation et publication était une violation du droit des requérants à la liberté d’expression pour plusieurs raisons : “(1) les lois ayant servi pour condamner le requérant violaient le droit à la liberté d’expression; (2) la diffamation criminelle constitue une violation du droit à la liberté d’expression; (3) la peine d’emprisonnement pour diffamation est une violation du droit à la liberté d’expression ; (4) la critique des agents publics jouit d’une protection en vertu du droit à la liberté d’expression ; et (5) les sanctions sévères imposées au requérant constituent une violation du droit à la liberté d’expression.”
Appréciation de la cour :
La Cour s’est focalisée essentiellement sur la permissivité légale de législation du Burkina Faso dans le contexte des traités et chartes sus-mentionnés. La Cour s’est notamment penchée sur les sanctions pénales en cas de diffamation criminelle et si ces dernières donnaient lieu à une restriction inadmissible aux droits à la liberté d’expression. Pour répondre à cette question, la Cour a examiné les exigences que la loi nationale limitant la liberté d’expression doit satisfaire pour être admise. Il s’agit d’une analyse à trois niveaux. D’abord, la langue utilisée par la législation nationale est-elle suffisamment claire pour que toutes les parties s’y conforment ? Ensuite, la restriction sert-elle un objectif légitime ? et en fin, la limitation dans la loi est-elle nécessaire pour réaliser cet objectif ?
Pour les deux premières questions, la Cour a trouvé que les lois du Burkina Faso portant sur la diffamation et prévoyant des sanctions pénales satisfaisaient aux exigences. Premièrement, les lois indiquent clairement les restrictions et les sanctions qui seraient imposées en cas d’enfreinte à la loi. Deuxièmement, les restrictions servaient un objectif légitime. Il ne peut y avoir d’enfreinte à la liberté d’expression que si la restriction se base sur un intérêt public prédominant. Ici, l’objectif de la législation sur la diffamation est de protéger l’honneur et la réputation des personnes contre les atteintes par autrui, chose que la Cour a estimé servir un intérêt public pertinent.
L’affaire dépendait vraiment de la troisième question: la limitation imposée était-elle nécessaire pour réaliser l’objectif ? L’analyse de la question est allée dans le sens qui cherchait à savoir si oui ou non les sanctions prises, dans ce cas des sanctions criminelles, étaient proportionnelles par rapport au droit à la liberté d’expression. En d’autres termes, les sanctions ne devaient pas aller plus loin qu’il n’est strictement nécessaire pour la réalisation de l’objectif, et dans ce cas l’objectif de la législation portant sur la diffamation était la préservation de l’honneur du procureur. La Cour était d’avis que le degré d’ingérence devait être moindre dans le contexte d’un débat public portant sur des personnalités publiques. La Cour a estimé que les sanctions pénales prévues par la législation du Burkina Faso portant sur la diffamation n’étaient pas proportionnelles. La Cour a aussi noté que les sanctions pénales pour diffamation pouvaient même être catégoriquement inappropriées dans un scénario de diffamation parce que le recours en civil est plus que suffisant pour empêcher la publication d’une œuvre diffamatoire. Parce que la législation du Burkina Faso prévoit des sanctions pénales à l’encontre de toute personne jugée coupable de diffamation, la législation en la matière elle-même n’était pas en conformité avec les droits à la liberté d’expression protégés en vertu des chartes et traités sus-mentionnés dans la mesure où elle imposait une sanction disproportionnée. Par ailleurs, les sanctions pécuniaires prises contre M. Konate d’un montant de 12000 US $ en plus de la suspension de son journal étaient en elles-mêmes excessives. Ainsi, la Cour a statué que le jugement prononcé dans l’affaire Konate était inadéquat au vu du droit international parce qu’il violait de manière illégitime les droits garantis de M. Konate à la liberté d’expression.
La décision finale de la Cour a trouvé que le Burkina Faso avait manqué à ses obligations en vertu de l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 66(2)(c) du Traité instituant la CEDEAO. La Cour a donc ordonné au Burkina Faso d’amender sa législation nationale pour interdire les sanctions pénales pour diffamation criminelle. M. Konate pouvait également prétendre à des réparations de la part du Burkina Faso à une date ultérieure après le dépôt d’un mémoire en la matière.
Cette décision établit une norme selon laquelle le gouvernement ne peut pas criminaliser la liberté d’expression en renversant la peine de prison prononcée contre un journaliste pour motif de diffamation. Il s’agit du premier jugement en Afrique qui détermine un tel niveau de liberté d’expression créant par la même occasion un précédent solide pour la région
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
Le thème principal de la décision montre que très rares sont les affaires dans lesquelles la législation en matière de diffamation qui prévoit des sanctions pénales peut être jugée comme ayant introduit adéquatement des restrictions à la liberté d’expression. C’est ainsi que tous les états africains membres de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ne peuvent invoquer des accusations criminelles pour diffamation sans violer les règles de liberté d’expression garantie par la Charte.
Cette affaire a déjà eu un impact sur les états africains. Des avocats ougandais se sont basés sur cette décision de la Cour pour invoquer l’anticonstitutionnalité de la loi nationale en matière de calomnie.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
“les mots clés de l’article 56(3) sont : « désobligeant et insultant, et ces mots doivent être dirigés contre l’état membre concerné ou l’Union africaine. D’après l’Oxford Advanced Dictionary, désobligeant signifie parler avec mépris de …ou dénigrer … et insultant signifie maltraiter dédaigneusement ou offenser l’amour-propre ou la pudeur de … »
“[…] pour être considérées une “loi”, les normes doivent être
élaborées de manière suffisamment Claire pour permettre à chacun d’adapter son comportement aux règles et doivent être rendues publiques. La loi ne peut pas donner aux personnes qui sont en charge de son application des pouvoirs illimités de décision sur la restriction de la liberté d’expression. Les lois doivent contenir des règles qui sont suffisamment précises pour permettre aux personnes qui les appliquent de savoir quelles formes d’expression sont légitimement limitées et quelles sont les formes qui sont indûment restreintes.”
“Bien que dans la Charte africaine, les motifs de limitation de la liberté d’expression ne sont cités de manière expresse comme c’est le cas dans d’autres traités régionaux et internationaux des droits de l’homme , la phrase “dans le cadre de la loi ”, dans l’article 9 (2) donne une marge pour utiliser prudemment les intérêts individuels, collectifs et nationaux légitimes et justifiables comme motifs de la limitation.”
“La phrase “dans le cadre de la loi” dit être interprétée par rapport aux normes internationales qui peuvent fournir les justificatifs de la limitation de la liberté d’expression.”
“Les raisons pour d’éventuelles limitations doivent se baser sur l’intérêt public légitime et les inconvénients de la limitation doivent être strictement proportionnels et absolument nécessaires pour assurer les bénéfices.”
“Les personnes endossant des fonctions publiques impliquant une grande visibilité doivent nécessairement faire face à un degré plus élevé de critique par rapport aux citoyens ordinaires ; sinon le débat public risque d’être étouffé.”
Les lois en matière de diffamation criminelle ne devraient être
utilisées qu’en dernier recours.
Seuls le discours haineux et l’incitation à la violence devraient être punis de peine de prison.
Les procédures civiles sont préférées à celles pénales dans les
recours pour diffamation.
Les états ne devraient recourir à la diffamation criminelle qu’en dernier recours.
L’emprisonnement pour diffamation est disproportionné.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
Le Burkina Faso est membre de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et est donc tenu par la décision de la Cour.
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