Cybersécurité / cybercriminalité, Respect de la vie privée, protection des données et rétention, Violence contre les orateurs / impunité
Telegraaf Media Nederland Landelijke Media c. Pays-Bas
Pays-Bas
Affaire résolue Élargit l'expression
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La section du droit pénal du tribunal de district dʼAmsterdam (tribunal de première instance) a condamné 24 défendeurs pour le harcèlement en ligne de la chroniqueuse C. Gargard du journal néerlandais NRC. Le 17 novembre 2018, C. Gargard a reçu 7 600 messages après avoir posté un livestream de manifestations contre le « Zwarte Piet » (Pierre le Noir) à Amstelveen. Pierre le Noir est un personnage controversé des festivités de Noël néerlandaises qui aide « Sinterklaas » (un amalgame néerlandais de Saint Nicolas et du Père Noël) à distribuer des cadeaux, mais dont lʼapparition est vécue comme un vestige de lʼesclavage. Après avoir enquêté sur environ 200 de ces messages, le procureur général a engagé des poursuites contre 25 suspects. La Cour a jugé que 24 défendeurs étaient coupables dʼincitation à lʼagression, au meurtre et à lʼhomicide involontaire, à la discrimination et/ou à la diffamation. La Cour a noté que la discrimination raciale est inacceptable et que les personnes de toutes origines sociales et culturelles doivent pouvoir jouir de leurs droits civils et se sentir en sécurité et acceptées aux Pays-Bas.
Le 17 novembre 2018, une manifestation contre le « Zwarte Piet » (Pierre le Noir) a eu lieu lors de lʼarrivée de « Sinterklaas » (amalgame néerlandais de Saint Nicolas et du Père Noël), à Amstelveen (commune de lʼagglomération dʼAmsterdam). « Sinterklaas » arrive sur un bateau à vapeur rempli de cadeaux, accompagné de ses « assistants ». Ses « assistants » sont traditionnellement représentés sous la forme dʼun personnage au visage noir avec de grandes boucles dʼoreilles en or, des perruques bouclées et des lèvres exagérément rouges. Le personnage est vécu comme un vestige de lʼesclavage et fait lʼobjet de nombreuses controverses. C. Gargard, chroniqueuse au journal néerlandais NRC, a assisté aux manifestations et a publié un flux en direct de la manifestation sur son profil Facebook. Des milliers de messages majoritairement négatifs ont été postés sous le livestream.
Le 20 novembre 2018, C. Gargard a déposé une plainte pour avoir reçu des « messages racistes, sexistes, insultants et menaçants ». Mme Gargard a joint à sa plainte environ 200 des réactions reçues sur le livestream. Le ministère public néerlandais a alors ouvert lʼenquête « 13Bitburg » et a examiné les messages recueillis en tentant dʼétablir lʼidentité des auteurs.
À la suite de lʼenquête, le procureur général a engagé des poursuites contre 25 suspects en imposant des peines de travail dʼintérêt général et/ou des amendes. Le procureur a fait valoir que la publication de messages discriminatoires, incendiaires et/ou insultants dans le cadre du livestream de la page Facebook de C. Gargard enfreignait les articles 131, 137c, 137d et 266 du code pénal néerlandais.
Le Juge Président P.L.C.M. Ficq a rendu les jugements du tribunal de district dʼAmsterdam (section droit pénal).
La Cour devait principalement déterminer si les commentaires des 25 suspects constituaient une incitation à commettre une infraction pénale, une (incitation à la) discrimination et/ou une diffamation, et fixer une peine appropriée.
Dans les 25 cas, le procureur a principalement fait valoir que les déclarations des défendeurs constituaient une incitation à lʼagression, au meurtre et/ou à lʼhomicide involontaire, (lʼincitation) à la discrimination et/ou à la diffamation. Comme cela « dépasse la portée admissible » de la liberté dʼexpression, le procureur a affirmé quʼil y avait un besoin urgent de limiter les droits à la liberté dʼexpression des accusés. Le procureur a fait valoir que cette limitation serait légale, quʼelle poursuivait un objectif légitime et quʼelle s’imposait dans une société démocratique.
Les principaux arguments des défendeurs étaient quʼils niaient être coupables dʼincitation à lʼagression, au meurtre et/ou à lʼhomicide involontaire et à la discrimination. Ils ont notamment fait valoir que : leurs actions devaient être interprétées selon « un certain contexte » [ECLI:NL:RBAMS:2020:5254, § 5.2] ; « il nʼy avait pas dʼintention dʼinciter à une infraction pénale » [ECLI:NL:RBAMS:2020:5258, § 5.2] ; « les mots ne doivent pas être pris au sens littéral » ; « lʼobjectif et le contexte de lʼexpression ne sont pas clairs » [ECLI:NL:RBAMS:2020:5278, § 5.2], et le message nʼétait pas suffisamment grave pour justifier une limitation des droits à la liberté dʼexpression du défendeur [ECLI:NL:RBAMS:2020:5258, § 5.2].
La Cour a condamné 24 défendeurs. La Cour a estimé que 18 défendeurs étaient coupables dʼincitation à lʼagression, au meurtre ou à lʼhomicide involontaire, en violation de lʼarticle 131 du code pénal néerlandais, qui interdit à une personne dʼinciter dʼautres personnes à « commettre une infraction pénale… ». Trois défendeurs ont été reconnus coupables de discrimination envers C. Gargard et deux défendeurs ont été reconnus coupables dʼincitation à la discrimination, en violation des articles 137c et 137d du code pénal néerlandais. Le tribunal a jugé quʼun défendeur était coupable de diffamation, en violation de lʼarticle 266 du code pénal néerlandais.
Pour prouver lʼincitation à une infraction pénale, la Cour a appliqué les critères suivants :
Pour déterminer si les messages constituaient une incitation à la discrimination ou à la diffamation, la Cour a appliqué le schéma suivant :
Dans son raisonnement, la Cour a souligné que les messages qui étaient adressés à C. Gargard l’ont poussé à se sentir menacer. Par leurs commentaires, plusieurs défendeurs « auraient pu inciter dʼautres personnes » à infliger un préjudice à la victime C. Gargard [[ECLI:NL:RBAMS:2020:5281, § 5.3]. Ce risque a augmenté du fait de la grande quantité de messages que C. Gargard a reçus.
La Cour a estimé que les commentaires étaient discriminatoires et diffamatoires, et que certains dʼentre eux incitaient dʼautres personnes à pratiquer également la discrimination. Dans lʼaffaire ECLI:NL:RBAMS:2020:5295, la Cour a noté que les commentaires formulés nʼavaient aucune valeur sociale ou d’intérêt public, mais quʼils décrivaient simplement la frustration du défendeur. La Cour a souligné que la discrimination raciale est inacceptable et que les personnes de toutes origines sociales et culturelles doivent pouvoir jouir de leurs droits civils et se sentir en sécurité et acceptées aux Pays-Bas.
Concernant les peines appropriées, la Cour a souligné que le ministère public nʼa examiné que 200 des 7 600 messages Facebook. En outre, les 25 affaires qui ont été portées conjointement devant le tribunal de district ont reçu une attention médiatique plus importante qu’escompté et ont donc eu des conséquences plus importantes sur les défendeurs.
En conclusion, la Cour a estimé que 24 des 25 suspects étaient coupables dʼincitation à lʼagression, au meurtre et à lʼhomicide involontaire, (dʼincitation à) la discrimination et/ou à la diffamation. Le tribunal a condamné les auteurs à des travaux dʼintérêt général dʼune durée de 28 à 58 heures et/ou à des amendes allant de 300 à 450 euros. De plus, la Cour a accordé des dommages et intérêts à la chroniqueuse. Quelque 15 auteurs ont dû verser à C. Gargard des dommages et intérêts allant de 50 à 150 euros pour avoir porté atteinte à son honneur, sa réputation ou son intégrité morale.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
Ces décisions élargissent la liberté dʼexpression. En évaluant si les messages étaient discriminatoires, et s’ils incitaient à une infraction pénale et/ou étaient diffamatoires, la Cour a tenu compte des droits à la liberté dʼexpression des défendeurs en vertu de lʼarticle 10 de la Convention européenne des droits de lʼhomme, adhérant ainsi aux normes mondiales en matière de droits de lʼhomme.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
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