Membres et Militants de l’Unión Patriótica (Union Patriotique) c. Colombie

Affaire Résolue élargit l'expression

Key Details

  • Mode D'expression
    Discours public
  • Date de la Décision
    juillet 27, 2022
  • Résultat
    Violation de lʼarticle 13, ACHR ou Déclaration Américaine des Droits et Devoirs Violation
  • Numéro de Cas
    Serie C No. 455
  • Région et Pays
    Colombie, Amérique latine et Caraïbes
  • Organe Judiciaire
    Cour interaméricaine des droits de l'homme
  • Type de Loi
    Droit International des droits de l'homme
  • thèmes
    Diffamation / Réputation, Expression politique
  • Mots-Cles
    élections, torture, Droit à la vérité

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Analyse de Cas

Résumé du Cas et Résultat

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a jugé que la Colombie était internationalement responsable de graves violations des droits de l’homme, notamment du droit à la liberté d’expression et aux droits politiques garantis par la Convention, commises il y a plus de vingt ans contre des membres et des militants du parti politique Unión Patriótica (U.P.). Unión Patriótica est un parti politique colombien fondé en 1985 qui a souffert de violences et de persécutions politiques systématiques pendant plus de deux décennies. L’affaire a été portée devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme par la Colombie et la Commission interaméricaine des droits de l’homme, avec le soutien d’un groupe d’ONG colombiennes. La Colombie a partiellement reconnu sa responsabilité internationale dans les faits, mais en a limité la portée à la seule violation, au titre de la Convention, de l’obligation de « prévention ».

En revanche, la Cour interaméricaine des droits de l’homme et les autres requérants ont fait valoir que la Colombie avait fait preuve de tolérance, d’assentiment et de complicité envers les violations graves subies par près de six mille victimes, sympathisants ou membres de l’Unión Patriótica. La Cour a estimé que la Colombie était responsable de la violence systématique contre les membres et les sympathisants de l’U.P., qui ont souffert d’actes tels que des disparitions forcées, des massacres, des exécutions extrajudiciaires et des meurtres, des menaces, des attaques, divers actes de stigmatisation, des poursuites abusives, des tortures, des déplacements forcés. La Cour a également estimé que ces actes constituaient une forme d’extermination systématique du parti politique Unión Patriótica, de ses membres et de ses militants, avec la participation d’agents de l’État, et avec la tolérance et l’assentiment des autorités. La Cour a aussi jugé arbitraire la décision du Conseil électoral colombien de priver le parti politique U.P. de sa personnalité juridique après avoir été incapable d’atteindre un certain niveau de soutien électoral, sans avoir pris en compte l’effet stigmatisant et intimidant de la violence systématique contre ses membres. La Cour a estimé que les schémas de violence et de stigmatisation systématique à l’encontre des victimes visaient à exclure les membres de l’Unión Patriótica du champ démocratique en Colombie, violant ainsi leurs droits politiques, leur liberté d’expression et leur liberté d’association. À la lumière de ce qui précède, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a également estimé que la Colombie avait violé ses obligations de respecter et de prévenir les droits à la reconnaissance en tant que personne devant la loi, à la vie, à une procédure régulière, à l’intégrité personnelle, à la liberté personnelle, à la liberté de circulation et de résidence, ainsi qu’aux droits de l’enfant.

 


Les Faits

Le 28 mai 1985, l’Unión Patriótica (ci-après Unión Patriótica, U.P. ou les victimes) a été constituée en tant qu’organisation politique en Colombie à la suite d’un « processus de paix » entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (ci-après FARC), connues sous le nom d’« Acuerdos de la Uribe ».

L’U.P. a été conçue comme une alternative politique de gauche opposée aux structures de pouvoir traditionnelles en Colombie. Elle s’est rapidement développée dans le cadre politique national colombien et dans certaines régions du pays où il y avait, traditionnellement, une forte présence de guérilla. En conséquence, une alliance s’est formée en Colombie entre des groupes paramilitaires, des filières de la politique traditionnelle – les forces de sécurité de l’État – et des groupements d’affaires, pour contrer la montée de l’U.P. Dans ce contexte, des sympathisants, des membres et des militants de l’U.P. ont subi des actes de violence pendant plus de deux décennies à travers toute la Colombie. Les actes de violence subis par les membres de l’U.P. comprenaient, entre autres, des menaces, des attaques, des actes de stigmatisation, des persécutions et des poursuites abusives, des déplacements forcés, des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires et des assassinats, des disparitions forcées et des massacres.

Le 16 décembre 1993, la « Corporación para la Defensa y Promoción de los Derechos Humanos – Reiniciar» et la « Comisión Colombiana de Juristas » (ci-après, les requérants) ont déposé une plainte auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (ci-après, la Commission) contre la Colombie, faisant valoir que pendant vingt ans, le pays avait violé les droits de l’homme d’environ six mille victimes, membres et militants de l’U.P. Les requérants ont soutenu que tous ces actes constituaient une forme d’extermination systématique contre le parti politique U.P., ses membres et ses militants, perpétrés par des agents de l’État et des individus agissant avec la tolérance et l’assentiment des autorités nationales. L’organisation « Derechos con Dignidad » et la famille de Miguel Ángel Díaz se sont également jointes à la pétition.

Le 6 décembre 2017, la Commission a publié le rapport sur le fond 170/17, dans lequel elle a conclu que la Colombie était « responsable de la violation des droits à la reconnaissance en tant que personne devant la loi, à la vie, à l’intégrité personnelle, à la liberté personnelle, aux garanties judiciaires, à l’honneur et à la dignité, à la liberté d’expression, à la liberté d’association, à la protection spéciale des enfants, à la liberté de circulation et de résidence, aux droits politiques, à l’égalité et à la non-discrimination, aux garanties judiciaires et à la protection juridictionnelle, consacrés par les articles 3, 4, 5, 7, 8, 11, 13, 16, 19, 22, 23, 24 et 25 de la Convention américaine […] ; pour violation des articles 1er, 6 et 8 de la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture ; et pour violation des articles I a) et b) de la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes ». [para. 1586 du rapport de la Commission sur le fond] [1]

Dans le rapport sur le fond, la Commission a reconnu l’énorme complexité de la détermination de la liste définitive des victimes au cours des deux décennies de violence systématique subie par les membres et les militants de l’U.P., mais a accepté le chiffre consolidé présenté par les requérants de 6 528 victimes entre 1984 et 2006. La Commission a également indiqué que, sur ce chiffre consolidé, 3 134 personnes ont été victimes de privation de leur droit à la vie, 514 personnes ont disparu, 133 personnes ont subi des actes de torture, 224 personnes ont été victimes de détentions arbitraires, 501 personnes ont été menacées ou harcelées, 1 600 personnes ont été déplacées, 291 personnes ont subi des tentatives d’homicide et 129 personnes ont fait l’objet de poursuites infondées. En outre, la Commission a ordonné à la Colombie d’indemniser intégralement les victimes et leurs familles.

En septembre 2017, la Colombie « a reconnu sa responsabilité pour avoir manqué à son devoir de protéger les membres et les militants de l’U.P. mais a fait valoir que certains faits spécifiques et la détermination des victimes restaient encore en litige ». [para. 2] Toutefois, le 15 mai 2018, la Colombie a soumis sa réponse relative au rapport sur le fond 170/17, alléguant que la Commission n’avait pas reconnu les efforts déployés par le pays pour accorder des réparations aux victimes et l’importance de ses mécanismes nationaux de justice transitionnelle pour résoudre certaines des questions en suspens. La Colombie a également refusé d’accorder des réparations aux victimes selon les conditions exigées par la Commission dans son rapport sur le fond.

Le 13 juin 2018, la Colombie a soumis l’affaire « Membres et militants de l’Unión Patriótica c. Colombie » à la Cour interaméricaine des droits de l’homme. La Colombie a rejeté l’étendue de la responsabilité internationale que la Commission lui a imputé dans son rapport sur le fond. Sur ce point, elle a affirmé que «la théorie d’attribution de la responsabilité internationale appliquée par la Commission ne tient pas compte des multiples complexités de l’affaire et est également contraire au droit international et au droit international des droits de l’homme ». [para. 249] En outre, la Colombie a reconnu sa responsabilité internationale dans la violation de son obligation de garantir et de prévenir la violation des droits consacrés par les articles 4, 5, 3, 7, 13, 16, 22, 23, 8 et 25 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, mais n’a pas admis qu’elle avait manqué à l’obligation qui lui incombait de « respecter » ces droits en vertu de l’article 1 (1) de la Convention. La Colombie a également fait valoir que les faits établis dans le rapport sur le fond publié par la Commission « ne suffisent pas à prouver l’existence d’une situation d’assentiment, de tolérance et de collaboration » [para. 347] dans les violations des droits de l’homme subies par les membres et les militants de l’U.P.

En même temps, la Colombie a affirmé qu’elle n’avait pas délibérément manqué à son devoir d’enquêter, de poursuivre et de punir les responsables. Sur ce point, le pays a expliqué qu’il avait développé un modèle complexe de justice transitionnelle conforme au droit international des droits de l’homme. La Colombie a également souligné qu’il n’y avait pas eu d’omission délibérée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme dans cette affaire, mais plutôt « un débordement des capacités institutionnelles à cause de la complexité du contexte interne ». [para. 364] La Colombie a précisé aussi qu’elle continuait à faire des progrès importants qui ne devaient pas être ignorés ou négligés.

Le 29 juin 2018, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a également porté l’affaire devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme au motif que la Colombie avait violé, depuis 1984 et pendant plus de vingt ans, les droits humains de plus de six mille victimes, membres et militants du parti politique U.P. La Commission a fait valoir que les faits démontraient que les membres et les militants de l’U.P avaient été exterminés. Plus précisément, la Commission a estimé que l’État était internationalement responsable de graves violations des droits de l’homme des victimes, notamment de « privation du droit à la vie, de disparitions forcées, de menaces, de harcèlement, de déplacements forcés et de tentatives d’assassinat des membres et des militants du parti politique Unión Patriótica ». [para. 1].

La Commission a souligné que « l’État a violé les droits politiques, la liberté de pensée et d’expression, la liberté d’association et le principe d’égalité et de non-discrimination, puisque le motif des violations présumées des droits de l’homme était l’appartenance des victimes présumées à un parti politique et l’expression de leurs idées par l’intermédiaire de ce parti politique ». [para. 1]. La Commission a également fait valoir que la reconnaissance de la responsabilité internationale par la Colombie était limitée parce qu’elle n’acceptait que les violations de l’obligation de « garantir ou de prévenir » prévue par la Convention, mais pas la violation de l’obligation de « respecter » le traité international, même si la Colombie était directement responsable des actes de violence contre les membres de l’U.P.

En outre, la Commission a estimé que la Colombie avait violé le droit à la liberté d’expression des membres de l’U.P. en les soumettant à « une terreur et une anxiété constante dans le contexte d’une extermination qui s’est déroulée sur une très longue période et avec un chiffre alarmant de milliers de victimes ». [para. 294] La Commission a également souligné « qu’à travers des actes perpétrées par des agents de l’État, une stigmatisation des membres de l’U.P. a été consolidée pour les exclure du jeu démocratique, affectant ainsi leurs droits politiques et leur liberté d’expression et de réunion ». [para. 323] En outre, la Commission a noté que ces événements ont affecté des membres et des militants de l’U.P. et leurs familles, qui dans de nombreux cas comptaient des enfants.

La Commission a également fait valoir que les enquêtes judiciaires menées en Colombie sur les violations des droits de l’homme commises par des membres et des dirigeants de l’U.P. étaient insuffisantes et n’avaient pas été menées dans un délai raisonnable, et a donc estimé que la Colombie avait violé son devoir d’enquête, le droit à des garanties judiciaires (Article 8) et le droit à la protection judiciaire (Article 25) prévus par la Convention. En outre, elle a demandé que la Colombie soit tenue responsable de la violation des obligations énoncées à l’article 1.b de la Convention interaméricaine sur les disparitions forcées de personnes et aux articles 1er, 6 et 8 de la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture.

 

[1] https://www.oas.org/es/cidh/decisiones/corte/2018/11227FondoEs.pdf


Aperçu des Décisions

La Cour interaméricaine des droits de l’homme devait analyser si la Colombie était internationalement responsable de la violation des droits à la personnalité juridique, à la vie, au traitement humain, à la liberté personnelle, à un procès équitable, à l’honneur et à la dignité, à la liberté d’expression, à la liberté d’association, aux droits de l’enfant, à la liberté de circulation et de résidence, aux droits politiques, à l’égalité et à la non-discrimination, aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire, de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, au détriment des membres et militants du parti politique U.P. qui ont été victimes de divers actes de violence sur une longue période.

La Commission interaméricaine a fait valoir que la Colombie avait mis en œuvre un plan d’extermination systématique contre les membres et les militants de l’U.P. pendant plus de deux décennies et à travers tout le pays. Sur ce point, la Commission a expliqué que cette extermination s’est faite par le biais de diverses violations des droits de l’homme des victimes dans cette affaire, dont notamment les menaces, les attaques, les actes de stigmatisation, les persécutions, les déplacements forcés, les tortures, les exécutions extrajudiciaires, les assassinats, les disparitions forcées et les massacres. Aussi, la Commission a fait valoir que la Colombie avait non seulement violé son obligation de prévenir, en vertu de la Convention, mais aussi son obligation de respecter les droits des victimes, puisque les autorités publiques avaient permis l’extermination du parti politique U.P., à travers leur coopération, leur tolérance et leur assentiment.

Pour sa part, la Colombie a reconnu sa responsabilité internationale dans la violation de son obligation de garantir ou de prévenir les violations des droits énoncés aux articles 4, 5, 3, 7, 13, 16, 16, 22, 23, 8 et 25 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, au détriment des victimes dans cette affaire. Toutefois, la Colombie a fait valoir qu’elle n’avait pas manqué à son obligation de « respecter » ces droits en vertu de l’article 1.1 de la Convention parce qu’il n’y avait pas eu d’assentiment, de tolérance ou de collaboration de la part du gouvernement dans les violations des droits de l’homme subies par les victimes. En outre, la Colombie a souligné qu’elle n’avait pas délibérément manqué à son devoir d’enquêter, de juger et de punir les responsables, mais qu’elle disposait plutôt d’un modèle de justice transitionnelle qui enquête sur les faits.

À titre préliminaire, la Cour interaméricaine des droits de l’homme s’est félicitée de la reconnaissance par la Colombie de sa responsabilité internationale dans cette affaire. Néanmoins, la Cour a estimé que la reconnaissance de responsabilité de la Colombie était de nature limitée et fragmentée et n’a pas tenu compte du contexte général de l’affaire, ni du caractère systématique et généralisé des actes commis à l’encontre des membres et des militants du parti politique Unión Patriótica. La Cour a estimé que la reconnaissance par la Colombie de sa responsabilité internationale ne pouvait limiter sa compétence, ni le droit des victimes à la vérité. Par conséquent, la Cour a décidé qu’il était nécessaire « de rendre le présent arrêt et d’y déterminer les faits qui se sont produits et les violations des droits de l’homme qui ont été commises ». [para. 80]

Ensuite, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a estimé que la Commission avait été en mesure de prouver de manière satisfaisante « la violence systématique contre les membres et les sympathisants de l’Unión Patriótica, qui s’est manifestée par des actes de diverses natures tels que les disparitions forcées, les massacres, les exécutions extrajudiciaires et les meurtres, les menaces, les attaques, divers actes de stigmatisation, les poursuites abusives, les tortures et les déplacements forcés. Ces actes constituaient une forme d’extermination systématique contre le parti politique Unión Patriótica et ses membres et militants, et ont été perpétrés avec la participation d’agents de l’État, avec la tolérance et l’assentiment des autorités. [para. 243]

De plus, la Cour interaméricaine a souligné que cette extermination systématique visait à éliminer l’U.P. en tant que force politique en Colombie et qu’il existait une « relation directe entre l’émergence, l’activité et le soutien électoral de l’U.P. et l’assassinat de ses militants et dirigeants dans les régions où la présence de ces groupes était interprétée comme un risque pour le maintien des privilèges dont jouissaient certains secteurs ». [para. 252] La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également établi que ces violences « ont été perpétrées par des acteurs étatiques et non étatiques », que les enquêtes sur ces événements « n’ont pas été efficaces », que ces actes de violence ont été caractérisés par des niveaux élevés d’impunité en faveur des auteurs et que les autorités colombiennes ont fait preuve de tolérance envers la violence contre l’U.P. [para. 273] De plus, la Cour a considéré que les violences avaient été également perpétrées par des paramilitaires qui, dans de nombreux cas, étaient liés à des acteurs étatiques colombiens.

La Cour interaméricaine a ensuite rejeté l’argument de la Colombie selon lequel sa responsabilité internationale se limitait à l’obligation de garantie et a estimé qu’elle avait également violé l’obligation de respect, énoncée à l’article 1(1) de la Convention. À cet égard, et après avoir évalué les éléments de preuve dans l’affaire, la Cour a conclu « qu’il est possible de conclure qu’il existe des modèles clairs de participation de l’État, à la fois directement et par des actes d’assentiment, de tolérance et de collaboration, à la violence systématique contre les membres et les militants de l’UP ». [para. 273]

Par la suite, la Cour a dû décider si la Colombie avait violé les droits politiques (Article 23), la liberté d’expression (Article 13) et la liberté d’association (Article 16) des victimes, tels qu’énoncés dans la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

Sur ce point, la Cour a rappelé que sur un total de 6 528 victimes, entre 1984 et 2006, « 200 étaient des maires, 418 des conseillers, 43 des députés, 26 des membres du Congrès et 2 des gouverneurs. De même, des actes de violence sélective ont été enregistrés contre des militants de base et des sympathisants du Parti de l’Union Patriotique » [para. 298], dont 3 122 meurtres sélectifs, 544 victimes de disparitions forcées, 478 victimes de meurtres dans des massacres, 4 enlèvements et 3 cas d’autres formes de violence.

En outre, la Cour interaméricaine a déclaré que les éléments de preuve démontraient qu’il existait une relation directe entre l’émergence, la montée, la popularité et le soutien électoral à l’U.P. et l’assassinat de ses militants et dirigeants, dans les régions où la présence de ce parti politique était interprétée comme un risque pour les privilèges de certains groupes. Dans cette même veine, la Cour a conclu que « la persécution ne se limitait pas aux dirigeants du parti, mais s’étendait à la base sociale du parti, pour créer un sentiment généralisé de peur et de terreur qui pourrait réduire progressivement le soutien électoral à l’U.P. ». [para. 302]

Se référant à sa jurisprudence dans les affaires Castañeda Gutman c. Mexique, et López Lone et al. c. Honduras, la Cour interaméricaine a fait valoir que « la relation entre les droits politiques, la liberté d’expression et la liberté d’association, ainsi que le droit de réunion, rendent le jeu démocratique possible ». [para. 304] La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également estimé que « l’exercice effectif des droits politiques constitue une fin en soi et, en même temps, un outil fondamental dont disposent les sociétés démocratiques pour garantir les autres droits de l’homme prévus par la Convention ». [para. 309] En outre, la Cour a estimé que l’article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme prévoit non seulement que les individus jouissent de droits politiques, mais aussi que les pays doivent les garantir par des mesures positives afin que chacun ait une réelle possibilité d’exercer ses droits politiques.

Citant l’avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, OC-5/85, et Carvajal c. Colombie , la Cour a ensuite estimé que le droit à la liberté d’expression constitue une pierre angulaire qui permet l’existence même d’une société démocratique,

De même, la Cour interaméricaine a souligné, en se référant aux arrêts Herrera Ulloa c. Costa Rica et Urrutia Laubreaux c. Chili, que « sans garantie effective de la liberté d’expression, le système démocratique est affaibli et le pluralisme et la tolérance sont sapés ; Les mécanismes de contrôle et recours disponibles aux citoyens peuvent devenir inopérants et, en fin de compte, un terrain fertile est créé pour que l’autoritarisme s’enracine. [para. 310] Par la suite, la Cour a noté que la liberté d’expression possède une dimension individuelle et sociale « et exige, d’une part, que personne ne soit arbitrairement entravé ou empêché d’exprimer ses propres pensées et représente donc un droit de chaque individu ; mais elle implique aussi, d’autre part, un droit collectif de recevoir toute information et de connaître l’expression des pensées d’autrui. [para. 311]

La Cour a statué que le droit à la liberté d’association implique le droit des individus de s’associer librement à des fins idéologiques, politiques ou autres. La Cour a également confirmé, citant les affaires Escher c. Brésil et Membres du personnel judiciaire c. Guatemala, que ce droit « se caractérise par le fait qu’il permet aux individus de créer ou de participer à des entités ou à des organisations pour agir collectivement dans la poursuite des fins les plus diverses, à condition que celles-ci soient légitimes ». [para. 316] Ainsi, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a jugé que les pays ne devaient pas limiter ou entraver l’exercice de ce droit et que les autorités publiques ne devaient pas exercer de pression ou d’ingérence de manière à altérer ou à fausser l’objet du droit d’association.

La Cour a ensuite appliqué les normes juridiques des droits politiques, du droit à la liberté d’expression et du droit à la liberté d’association. Elle a fait remarquer qu’il s’agit d’un cas d’une grande complexité factuelle, impliquant des événements qui se sont produits sur de longues périodes et avec de multiples acteurs. Elle a également rappelé que, dans l’affaire Manuel Cepeda Vargas c. Colombie, la Cour interaméricaine avait déjà constaté des violences contre les membres et les militants de l’U.P. À cet égard, la Cour a considéré que l’un des principaux motifs des violations des droits des victimes dans cette affaire « était leur adhésion et leur participation au parti politique Unión Patriótica ». [para. 320]

Puis, la Cour a estimé que « la violence systématique et structurelle avait eu un effet dissuasif sur les militants et les membres de l’U.P. ». [para. 322] Pour la Cour, cette violence perpétrée contre l’U.P. a renforcé la stigmatisation de ses membres. La Cour a également examiné des éléments de preuve montrant des déclarations faites par des responsables publics en Colombie qui décrivaient l’U.P. de « bras armé » des FARC et de parti politique qui combinait la politique et les armes. Sur cette question, la Cour interaméricaine a déclaré que « ce type de déclaration a influencé la perception du public, qui, à son tour, a influencé les actes violents contre les membres et les militants de l’U.P. ». [para. 323] Pour les raisons exposées ci-dessus, la Cour interaméricaine a conclu que « ce climat de persécution et de stigmatisation n’a pas créé les conditions nécessaires pour que les militants et les membres de l’Unión Patriótica puissent exercer pleinement leurs droits politiques d’expression et de réunion ». [para. 325]

Ensuite, la Cour devait examiner si la perte de la personnalité juridique du parti politique U.P. était une décision arbitraire qui violait les droits politiques, la liberté d’expression et la liberté d’association des victimes dans cette affaire. Sur ce point, la Cour a rappelé son avis consultatif 22/2016, sur la titularité des droits des personnes morales dans le système interaméricain, pour argumenter que l’attribution aux personnes morales, telles que les partis politiques, peut impliquer, directement ou indirectement, la violation des droits de l’homme des personnes physiques ou réelles. De même, la Cour interaméricaine a fait remarquer que l’existence de partis politiques opposés est essentielle dans une société démocratique, sans laquelle les accords ne sauraient refléter les diverses visions qui existent dans la société. La Cour a statué aussi que « les actes qui prescrivent ou limitent les actions des partis risquent d’affecter les droits politiques non seulement de leurs membres et militants, mais de l’ensemble des citoyens ». [para. 330]

La Cour a ensuite souligné que les mesures prises par la Colombie à l’encontre des membres et des militants de l’U.P. ont porté atteinte au soutien populaire à ce parti politique et à ses résultats électoraux. La Cour a fait valoir que les violences systématiques à l’encontre de l’U.P. avaient contribué aux mauvais résultats électoraux obtenus par le parti aux élections du 10 mars et du 26 mai 2002, ce qui avait conduit le Conseil électoral national colombien à retirer la personnalité juridique du parti politique pour ne pas avoir respecté les exigences établies par la Loi 130 de 1994. Pour ces raisons, la Cour interaméricaine a conclu que « le retrait de la personnalité juridique de l’Unión Patriótica était une décision arbitraire puisqu’elle ne tenait pas compte des circonstances particulières qui avaient affecté la vraie capacité du parti à mobiliser des forces électorales ». [para. 336]

Compte tenu de ces circonstances, la Cour a conclu que la Colombie était responsable de la violation de la liberté d’expression, de la liberté d’association et des droits politiques des victimes, en vertu de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

La Cour devait ensuite analyser si la Colombie avait violé les droits à la personnalité juridique, le droit à la vie, le droit à l’intégrité personnelle, la liberté personnelle, la liberté de circulation et de résidence, ainsi que les droits de l’enfant, tels que consacrés par la Convention américaine relative aux droits de l’homme et la Convention interaméricaine sur la disparition forcée de personnes.

La Cour a estimé que la Colombie avait reconnu sa responsabilité internationale en ce qui concerne l’obligation de « prévention » en ce qui concerne la violation des articles 3, 4, 5, 7, 19 et 22 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et de l’article I.a de la Convention interaméricaine sur les disparitions forcées de personnes.

Concernant les exécutions et les massacres de membres et de militants de l’U.P., la Cour interaméricaine a rappelé que le droit à la vie, tel qu’énoncé à l’article 4 de la Convention, présuppose que nul ne doit être arbitrairement privé de sa vie et implique l’obligation pour les pays de prendre des mesures positives pour préserver ce droit. D’autre part, en ce qui concerne le droit à l’intégrité personnelle garanti par l’article 5 de la Convention, la Cour a déclaré que toute personne a droit au respect de son intégrité physique, mentale et morale et que nul ne doit être soumis à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également estimé que lorsque les personnes concernées sont des enfants, ces violations doivent être analysées en tenant compte des droits de l’enfant garantis en vertu de l’article 19 de la Convention.

Ensuite, la Cour a estimé qu’avec les informations fournies par la Commission, et en l’absence de réfutation de la part de la Colombie, « il existe suffisamment d’éléments de preuve qui s’ajoutent au contexte général pour conclure que l’État est également responsable de la violation du droit à la vie, en raison d’un non-respect – aux termes de l’article 1(1) de la Convention américaine – des personnes exécutées de manière extrajudiciaire. [para. 362]

En ce qui concerne les disparitions forcées, la Cour a souligné le caractère permanent ou continu de ces crimes, qui perdurent tant que l’on ne sait pas où se trouve la personne disparue ou que sa dépouille n’est pas identifiée. Elle a également estimé que pour parvenir à la vérité sur les faits présentés par la Commission, il est nécessaire d’utiliser des preuves circonstancielles, des indications et des présomptions pour démontrer l’existence de disparitions forcées, car en raison de leur nature clandestine, ces crimes s’accompagnent généralement de la suppression de tout type d’élément qui permettrait de les corroborer.

La Cour a rappelé que la Colombie reconnaissait sa responsabilité internationale pour ces actes, mais uniquement en ce qui concerne l’obligation de « prévention » aux termes de la Convention. Sur ce point, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a conclu qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve, qui s’ajoutent à un contexte général, pour conclure que l’État était également responsable d’avoir violé son devoir de « respecter la Convention » et a considéré que la Colombie était internationalement responsable de la violation des articles 3 (personnalité juridique), 4 (droit à la vie), 5 (intégrité personnelle) et 7 (liberté personnelle) au détriment des personnes victimes de disparition forcée.

Quant aux tortures présumées, la Cour a affirmé que la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont strictement interdits par le droit international des droits de l’homme. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également estimé que l’interdiction de la torture est une norme impérative en droit international. Ensuite, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a fait valoir que la Commission avait fourni des preuves suffisantes montrant que plusieurs des victimes dans cette affaire avaient été torturées. Sur cette question, la Cour a estimé que la Colombie était responsable de ces actes et qu’elle avait donc violé l’obligation de respecter la Convention.

Par la suite, la Cour a examiné si la Colombie avait commis des détentions arbitraires, des tentatives d’homicide, des blessures, des menaces et du harcèlement. Sur ce point, la Cour a estimé que l’article 7 de la Convention protège à la fois la liberté physique des individus et leur sécurité personnelle. Elle a également estimé que les États doivent protéger la liberté individuelle des personnes contre toute atteinte par les agents de l’État et de tiers privés.

Sur ce point, la Cour a estimé qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve qui s’ajoutent au contexte général pour conclure que l’État était également responsable des menaces, des détentions illégales et des actes de harcèlement, ainsi que des blessures ou des tentatives d’atteinte à la vie des membres et des militants de l’U.P. Dans cette optique, la Cour a conclu que la Colombie était responsable de la violation des articles 5(1) (droit à l’intégrité personnelle) et 7 (liberté personnelle), concernant son « obligation de respect » inscrite à l’article 1(1) de la Convention.

La Cour a ensuite évoqué le déplacement forcé subi par les victimes dans cette affaire. Sur ce point, la Cour a rappelé que l’article 22 de la Convention stipule que le droit de circuler et de choisir sa résidence est une condition indispensable au libre développement des personnes. La Cour a également reconnu que ce droit implique la libre circulation des personnes à l’intérieur d’un pays et le droit de rester, d’entrer ou de sortir du territoire de l’État sans ingérence illégale. En outre, la Cour a estimé que les États sont tenus de s’abstenir de toute action ou omission susceptible de générer des situations de déplacement forcé. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a aussi estimé que le droit de circuler et de choisir sa résidence peut être affecté lorsqu’une personne est victime de menaces ou de harcèlement, et que l’État ne fournit pas les garanties nécessaires pour que les personnes puissent se déplacer et résider librement sur le territoire. Sur ce point, la Cour a estimé qu’il existait « des éléments de preuve suffisants, en plus d’un contexte général, pour conclure que l’État est également responsable de la violation du droit de circuler et de choisir sa résidence, prévu à l’article 22 de la Convention américaine, en relation avec son obligation de respect énoncée à l’article 1er (1) de ce traité ». [para. 386]

Ensuite, la Cour a examiné si les faits de l’affaire impliquaient une violation des droits de l’enfant garantis par l’article 19 de la Convention. La Cour a rappelé que les violations d’autres droits de l’homme consacrés par la Convention au détriment des enfants constituent une violation autonome de l’article susmentionné. Sur ce point, la Cour a déclaré qu’au moins sept enfants ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires ou ont survécu à des massacres contre des membres de l’U.P. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a estimé que la Colombie avait l’obligation particulière de protéger ces enfants en raison de leur plus grande vulnérabilité et du risque qu’ils couraient en raison de leur âge. Par conséquent, la Cour a conclu que « l’État est responsable de la violation de l’article 19 de la Convention américaine au détriment de ces personnes ». [para. 390]

Puis la Cour a évoqué les violations des droits de l’homme commises à l’encontre des femmes, victimes de l’extermination systématique de l’U.P. La Cour a fait remarquer que, selon les preuves fournies par la Commission, « un nombre important de victimes de l’extermination systématique des membres et des militants de l’U.P. sont des femmes ». [para. 392] La Cour a examiné divers éléments de preuve qui démontraient l’existence de violences sexuelles contre plusieurs des femmes victimes dans cette affaire. La Cour en a conclu que « les violations sexuelles décrites dans les faits de l’affaire constituaient une forme de torture ». [para. 395]

La Cour a également évoqué la situation des journalistes victimes de l’extermination systématique de l’U.P. Elle a mentionné que les éléments de preuve présentés par la Commission montraient que certaines des «victimes de l’extermination de l’U.P. étaient journalistes de profession ». [para.396] Sur ce point, la Cour interaméricaine, citant les affaires Vélez Restrepo et membres de sa famille c. Colombie, Carvajal Carvajal et autres c. Colombie, a estimé que « l’une des formes les plus violentes de suppression du droit à la liberté d’expression est le meurtre de journalistes et de communicateurs sociaux. Ce type de violence à l’encontre des journalistes peut même avoir un impact négatif sur d’autres journalistes appelés à couvrir des événements de cette nature, qui peuvent craindre de subir des actes de violence similaires. » [para. 399]. La Cour a également rappelé que l’affaire Bedoya Lima c. Colombie a établi l’obligation pour les pays de protéger les journalistes contre tous types de violence.

La Cour interaméricaine a ensuite examiné si la Colombie avait violé le droit à l’honneur et à la dignité des victimes dans cette affaire, à la lumière des déclarations faites par des fonctionnaires contre des membres et des militants de l’U.P. La Cour a déclaré qu’entre le milieu des années 1980 et 2013, de nombreux responsables publics colombiens ont publié une série de déclarations qui établissent des liens entre l’U.P., le Parti communiste et les FARC. La Cour a également noté que certaines de ces déclarations qualifiaient l’U.P. de « véritable ennemi » et de «bras armé des FARC ». [para. 410]

En outre, la Cour a mentionné que divers organes de l’État colombien ont reconnu que la stigmatisation des membres et des militants de l’U.P. avait eu un impact sur la violence déchaînée contre eux. La Cour interaméricaine a rappelé que, dans l’affaire Cepeda Vargas c. Colombie, elle a estimé que les déclarations de fonctionnaires colombiens liant l’U.P., le Parti communiste et les FARC plaçaient ses membres dans une position de vulnérabilité et de risque accrue.

Par conséquent, la Cour a conclu que la Colombie non seulement n’a pas empêché les attaques contre la réputation et l’honneur des victimes, mais qu’à travers ses fonctionnaires, elle a directement contribué à ces attaques, aggravant la situation de vulnérabilité subie par les membres et les dirigeants de l’U.P. La Cour a aussi estimé que « cette persécution par la stigmatisation a aggravé l’effet d’intimidation parmi les membres et les militants du parti, ce qui a entravé leur participation au jeu démocratique et, par conséquent, l’exercice de leurs droits politiques, ainsi que le plein exercice de leurs droits politiques, d’expression et de réunion ». [para. 415] La Cour a également conclu que la Colombie était responsable de la violation du droit à l’honneur et à la dignité, tel qu’énoncé à l’article 11 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, au détriment des dirigeants et des militants de l’U.P.

Par la suite, la Cour a examiné si la Colombie avait violé les droits à un procès équitable (Article 8) et à la protection judiciaire (Article 25) de la Convention, l’article 1(b) de la Convention interaméricaine sur les disparitions forcées des personnes et les articles 1, 6 et 8 de la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture, au détriment des victimes dans cette affaire.

La Cour a fait valoir que les États parties sont tenus de fournir des recours judiciaires efficaces aux victimes de violations des droits de l’homme en vertu de l’article 25 de la Convention et que ces recours doivent être exercés conformément aux règles d’une procédure régulière en vertu de l’article 8 de la Convention. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également souligné que le droit d’accès à la justice doit garantir que les victimes et leurs proches puissent connaître la vérité sur ce qui s’est passé dans un délai raisonnable et, si nécessaire, que les responsables de violations des droits de l’homme fassent l’objet d’enquêtes et soient punis.

Plus tard, la Cour interaméricaine a reconnu que l’enquête judiciaire sur la violence systémique contre les membres et les militants de l’U.P. est « très complexe en raison de la diversité des acteurs impliqués dans ces événements, car il s’agit d’une violence qui est souvent menée avec le soutien d’acteurs étatiques et aussi parce qu’elle est menée par des acteurs non étatiques dotés de vastes structures macro-criminelles ». [para. 473] Cependant, la Cour a constaté que, dans la plupart des cas, « l’enquête a mis beaucoup de temps à être lancée, même si les autorités étaient au courant des événements qui s’étaient déroulés ». [para. 475] La Cour a également noté que même des décennies après les événements, plusieurs enquêtes en sont encore à un stade initial ou préliminaire. La Cour a rappelé que la Colombie reconnaissait sa responsabilité internationale dans la violation des droits à un procès équitable et à la protection judiciaire dans le cadre des enquêtes sur les actes de violence contre les membres et les militants de l’U.P. en raison de son non-respect du devoir de prévention en vertu de la Convention. Cependant, la Cour a conclu que la Colombie « est responsable d’une violation des droits des dirigeants et des membres de l’Unión Patriótica en raison de son non-respect ». [para. 468]

En outre, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a conclu que la Colombie « a violé le droit à la vérité en tant que droit autonome par rapport à l’obligation de l’État d’enquêter et d’éclaircir les faits et de diffuser publiquement des informations » sur les résultats [para. 478]. La Cour a estimé que toute personne, y compris les proches des victimes de graves violations des droits de l’homme, a le droit de connaître la vérité. Elle a également expliqué que le droit à la vérité a une double nature, en tant que droit individuel à connaître la vérité pour les victimes et les membres de leur famille, et aussi en tant que « droit de la société dans son ensemble ». [para. 479] En ce sens, la Cour a conclu que « les membres de la famille des victimes et la société doivent être informés de tout ce qui s’est passé en rapport avec ces violations [des droits de l’homme] ». [para. 479]

Ensuite, la Cour a dû analyser si les événements présentés violaient le droit à l’intégrité (article 5 de la Convention) à l’égard des membres de la famille des victimes. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a estimé que la violation du droit à l’intégrité des proches des victimes de violations graves des droits de l’homme peut être déclarée en appliquant une présomption en faveur des parents, des enfants, des conjoints, des frères et sœurs et des partenaires, en évaluant les circonstances de chaque cas. Sur cette base, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a conclu que la Colombie était « responsable d’une violation du droit à l’intégrité personnelle énoncé à l’article 5(1) de la Convention au détriment des proches des victimes de disparitions forcées et d’exécutions ». [para. 425]

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, la Cour interaméricaine a conclu que la Colombie était responsable de la violation des droits à la personnalité juridique, à la vie, à l’intégrité de la personne, à la liberté personnelle, à la liberté de circulation et de résidence et aux droits de l’enfant. Elle a également jugé que la Colombie avait violé la Convention interaméricaine sur les disparitions forcées de personnes, en raison des exécutions, des disparitions, de la torture, des détentions arbitraires, des menaces, du harcèlement et du déplacement de membres et de militants de l’UP.

En ce qui concerne les réparations, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a ordonné à la Colombie de créer une commission chargée d’établir l’identité des victimes et des membres de leur famille, comme indiqué dans les annexes de l’arrêt ; de diffuser cet arrêt ; et de faire un acte public de reconnaissance de la responsabilité internationale. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également ordonné à la Colombie de mener une enquête afin d’établir la vérité sur les graves violations des droits de l’homme à l’encontre des victimes dans cette affaire, et de déterminer les responsabilités pénales des auteurs, ainsi que le lieu où se trouvent les victimes disparues.

La Cour a aussi ordonné à la Colombie d’instituer une journée nationale pour commémorer la mémoire des victimes de l’U.P., de mener des activités pour diffuser des informations à leur sujet et de placer des plaques commémoratives dans cinq espaces publics et un monument en leur mémoire. Elle a également ordonné à la Colombie de produire un documentaire audiovisuel sur la violence contre l’U.P., de mener une campagne nationale dans les médias publics et d’organiser des forums universitaires dans, au moins, cinq universités publiques.

En outre, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a décidé d’octroyer un dédommagement aux victimes pour les graves violations des droits de l’homme subies et pour les préjudices physiques, moraux et psychologiques causés. Sur ce point, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a décidé que la Colombie devait indemniser chaque victime et leurs familles pour les dommages subis, en reportant la fixation du montant final pour chacune d’elles au stade d’exécution du jugement. De manière générale, la Cour a condamné la Colombie à payer 55 000 dollars américains pour les cas de disparition forcée ; 35 000 dollars pour la violation du droit à l’intégrité de la personne ; 35 000 dollars pour les exécutions extrajudiciaires ; 20 000 dollars pour les cas de torture ; 5 000 dollars pour tentative de violation du droit à la vie, l’atteinte à l’intégrité de la personne, les détentions arbitraires, les menaces, le harcèlement et l’incrimination injustifiée à travers des procédures pénales ; 10 000 dollars aux victimes mineures ; 5 000 dollars aux mineurs survivants de massacres ou de tentatives d’homicide ; 5 000 dollars pour les déplacements forcés ; 5 000 dollars pour violation du droit à un procès équitable ; et 15 000 dollars pour les déplacements forcés. La Cour a également ordonné à la Colombie d’indemniser les victimes pour les préjudices matériels et immatériels, ainsi que pour les frais et dépens du procès.

Enfin, la Cour a ordonné à la Colombie de publier cet arrêt et de soumettre un rapport – à la suite d’un accord avec les autorités de l’U.P. – sur les aspects à améliorer ou à renforcer dans les mécanismes de protection existants en faveur des dirigeants, des membres et des militants de l’U.P.

Votes concordants et votes dissidents

Les juges Eduardo Ferrer Mac-Gregor Poisot et Ricardo C. Pérez Manrique ont présenté une opinion concordante commune, à laquelle s’est également joint le juge Patricio Pazmiño Freire.

D’abord, les juges Mac-Gregor et Pérez ont évoqué la nature collective du droit à la vérité dans une société démocratique. Les juges ont rappelé que même si le droit à la vérité est fondamentalement encadré dans le droit d’accès à la justice, il ne se limite pas à une « vérité procédurale ou judiciaire », car il s’agit d’un droit à l’autonomie. Les juges ont souligné que le droit à la vérité a une double nature. D’une part, il s’agit du droit individuel de connaître la vérité, en faveur des victimes et de leurs proches, mais c’est aussi le droit de la société dans son ensemble d’être informée de ce qui s’est passé en matière de graves violations des droits de l’homme. Ils ont également expliqué que la nouveauté dans l’arrêt relatif à l’affaire Membres et militants de l’Unión Patriótica c. Colombie est la reconnaissance d’une violation du droit à la vérité de la société dans son ensemble, au-delà des droits des victimes spécifiques dans l’affaire et de leurs proches. Sur ce point, les juges ont expliqué « qu’en déclarant pour la première fois la ‘société dans son ensemble’ victime de violation de ce droit, la Cour interaméricaine confère des conséquences juridiques à la dimension collective du droit à la vérité, aspect qu’elle avait mentionné à plusieurs reprises tout au long de sa jurisprudence, mais sans l’appliquer de manière concrète ». [para. 22]

Ensuite, les juges Mac-Gregor et Pérez ont souligné l’importance, dans un système démocratique, de garantir les droits humains des membres, militants et sympathisants d’un parti politique. Les juges ont expliqué que la Cour ne s’est pas limitée à l’examen des violations des droits des victimes sur une base individuelle, mais leur a conféré une dimension collective. Sur ce point, les juges ont expliqué que les violations graves subies par plus de six mille victimes, membres, militants et sympathisants du parti U.P., transcendaient l’affaire pour causer des préjudices collectifs à la société colombienne, affectant considérablement le principe de la démocratie représentative en Colombie.

 


Direction De La Décision

Info Rapide

La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.

élargit l'expression

La décision de la Cour interaméricaine des droits de l’homme élargit le champ de la liberté d’expression. La Cour a appliqué sa jurisprudence établie en matière de liberté d’expression à l’extermination d’un parti politique, Unión Patriótica, qui s’est déroulée de 1985 à 2006 et a touché six mille personnes. Cette extermination a été entreprise avec la collaboration, l’assentiment ou l’absence de prévention des autorités. La Cour a reconnu que l’un des principaux motifs de la violence systématique contre les victimes était leur appartenance et leur participation au parti politique Unión Patriótica. Partant, la Cour a estimé que les schémas de violence et de stigmatisation systématique à l’encontre des victimes visaient à exclure les membres de l’Unión Patriótica du champ démocratique en Colombie, violant ainsi leurs droits politiques, leur liberté d’expression et leur liberté d’association. Ainsi, la Cour a réaffirmé la jurisprudence du système interaméricain sur la valeur des partis d’opposition et de la dissidence dans toute société démocratique. La Cour a également jugé arbitraire la décision du Conseil électoral colombien de priver le parti politique U.P. de sa personnalité juridique, parce qu’il n’a pas obtenu un certain niveau de soutien électoral, étant donné que le Conseil électoral n’avait pas pris en compte l’effet stigmatisant et intimidant de la violence systématique contre les membres de l’U.P. En outre, la Cour a ouvert de nouveaux horizons dans sa jurisprudence en déterminant, pour la première fois, qu’en l’espèce, l’impunité pour les violations graves des droits de l’homme constituait une violation d’un droit autonome à la vérité de la société colombienne dans son ensemble. Comme expliqué par les juges Eduardo Ferrer Mac-Gregor Poisot et Ricardo C. Pérez Manrique dans leur opinion concordante, la Cour a reconnu un droit à la vérité en faveur de l’ensemble de la société qui doit être informée de l’extermination des membres et des dirigeants d’un parti politique dans une société démocratique.

Perspective Globale

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La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.

Tableau Des Autorités

Lois internationale et/ou régionale connexe

Normes, droit ou jurisprudence nationales

Importance du Cas

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L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.

La décision établit un précédent contraignant ou persuasif dans sa juridiction.

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