Cybersécurité / cybercriminalité, Respect de la vie privée, protection des données et rétention, Violence contre les orateurs / impunité
Telegraaf Media Nederland Landelijke Media c. Pays-Bas
Pays-Bas
Affaire résolue Élargit l'expression
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La Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré l’État colombien responsable de la violation du droit à l’intégrité personnelle, à la liberté personnelle, à l’honneur et à la dignité, et à la liberté de pensée et d’expression de la journaliste colombienne, Jineth Bedoya. Le 25 mai 2000, la journaliste s’est rendue à la prison « La Modelo » à Bogota, en Colombie, pour réaliser une interview, mais avant d’entrer dans la prison, elle a été enlevée, séquestrée et emmenée dans un entrepôt où elle a été victime d’abus sexuel et d’agressions commis par plusieurs hommes. La CIADH a considéré que l’État a violé son obligation de garantir la sécurité de Madame Bedoya parce qu’il n’a pas mis en œuvre des mesures de protection efficaces pour la victime, alors qu’il était conscient du risque qu’elle courait en raison de ses sujets et de son statut en tant que femme journaliste.
Le 27 avril 2000, une confrontation a eu lieu entre des paramilitaires de droite et des membres d’autres groupes armés à l’intérieur de la prison « La Modelo » à Bogota, en Colombie. La journaliste Jineth Bedoya Lima a rapporté ces événements et a par conséquent reçu des menaces de mort. Cependant, le 24 mai 2000, Madame Bedoya a appris qu’elle serait reçue par l’un des détenus pour une interview. Le lendemain, Madame Bedoya s’est rendue à la prison pour réaliser l’interview.
Le 25 mai 2000, à son arrivée à la prison, un gardien a informé la journaliste qu’elle devait attendre pour être autorisée à entrer et qu’elle ne pouvait entrer qu’avec le photographe. Pendant qu’elle attendait, Madame Bedoya est restée seule pendant quelques minutes et a été abordée par un homme qui l’a empoignée violemment et l’a menacée avec une arme à feu. L’homme l’a emmenée dans un entrepôt où se trouvaient également deux autres hommes. Là, elle a eu les yeux bandés, a été insultée, agressée et attachée. Plus tard, ils l’ont mise dans un véhicule et ont continué à la battre. Au cours de l’enlèvement, auquel se sont joints par la suite d’autres hommes (dont des agents en uniforme), Madame Bedoya a été agressée sexuellement à plusieurs reprises.
Au milieu de cette violence, les ravisseurs ont répété qu’ils devaient « nettoyer les médias », que « les journalistes allaient mener le pays à sa perte», qu’ils étaient « financés par la guérilla » et qu’ils allaient les punir. Après dix heures de détention, la journaliste a été abandonnée sur le bord d’une route à Villavicencio, en Colombie. La journaliste a été incapable de bouger pendant un certain temps jusqu’à ce qu’un chauffeur de taxi la trouve et l’emmène à un poste de police avant d’être hospitalisée.
Le lendemain, le parquet a ordonné l’ouverture d’une enquête pénale préliminaire pour le délit « d’enlèvement simple » et « d’acte sexuel violent ». Au cours des années suivantes, plusieurs procédures d’enquête ont été menées, au cours desquelles Madame Bedoya a été entendue 12 fois. En outre, la victime a dû mener sa propre enquête et fournir des preuves qu’elle a elle-même recueillies.
À la suite des procédures pénales ouvertes contre les personnes accusées des actes commis, en 2016 et 2019, trois hommes liés à des groupes paramilitaires (Alejandro Cárdenas Orozco, Jesús Emiro Pereira Rivera et Mario Jaimes Mejía) ont été reconnus coupables d’être les auteurs des actes présumés et condamnés à des peines allant de 11 à 40 ans de prison.
Pendant les années de l’enquête, Madame Bedoya a reçu des menaces en permanence et, par conséquent, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIADH) a dû lui accorder des mesures de précaution pour protéger sa vie et son intégrité physique.
Le 3 juin 2011, la Commission interaméricaine a reçu une requête déposée par la Fondation pour la liberté de la presse (FLIP), invoquant la responsabilité internationale de la République de Colombie du préjudice subi par la journaliste Jineth Bedoya Lima et sa mère, Luz Nelly Lima. Le 21 juillet 2014, la CIADM a publié son rapport de recevabilité pour l’affaire et le rapport sur le fond le 7 décembre 2018.
Plus tard, le 6 septembre 2019, la CIADH a présenté l’affaire contre la Colombie devant la Cour.
La Cour interaméricaine des droits de l’homme a examiné la responsabilité internationale de l’État colombien pour la violation des droits à l’intégrité personnelle, à la liberté personnelle, à l’honneur et à la dignité et à la liberté de pensée et d’expression de la journaliste Jineth Bedoya Lima, ainsi que pour la violation des droits aux garanties judiciaires, à la protection judiciaire et à l’égalité devant la loi en raison du manque de diligence, de la discrimination sexuelle dans les enquêtes et de la violation du délai raisonnable. Le 26 août 2021, la CIADH a déclaré l’État colombien responsable de la violation du droit à l’intégrité personnelle, à la liberté personnelle, à l’honneur et à la dignité, et à la liberté de pensée et d’expression de Madame Bedoya.
La CIDH a fait valoir que Madame Bedoya a été victime d’enlèvement, de torture et de viol, pour des raisons qui seraient liées à sa profession. La requérante a affirmé que l’État colombien aurait dû être conscient de la situation dangereuse dans laquelle se trouvait Madame Bedoya. De l’avis de la Commission, le contexte national et les circonstances de l’affaire indiquaient le risque encouru par la journaliste. Elle a également averti qu’aucune des entités de sécurité de l’État colombien « n’a adopté en temps utile des mesures adéquates pour éviter les actes de violence et d’intimidation à l’encontre de Jineth Bedoya, en particulier pour prévenir les événements du 25 mai 2000 » [paragraphe 83]. Pour la Commission, ces mesures auraient pu raisonnablement prévenir l’atteinte à la vie, l’intégrité et la liberté de Madame Bedoya, en violation des articles 4, 5 et 7 de la Convention américaine. Le manque de protection a affecté d’autres droits fondamentaux tels que le droit à la liberté d’expression, contenu dans l’article 13 de la Convention américaine. Enfin, en ne respectant pas son obligation de protéger la journaliste des violences sexuelles qu’elle a subies, la Commission a considéré que l’État a violé les articles 5(1), 5(2), 11 et 24 de la Convention américaine, relevant des obligations contenues dans l’article 1(1), l’article 7(b) de la Convention de Belém do Pará et les articles 1 et 6 de la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture (IACPPT). Elle a également considéré qu’il existait des « indices sérieux» qui laissaient entendre la participation d’agents de l’État.
Pour leur part, les représentants ont soutenu que «l’État n’a pas satisfait à son obligation de respect, puisqu’il y a eu une «étroite collaboration » entre les paramilitaires et les agents de l’État dans les événements perpétrés le 25 mai 2000» [par. 84]. En outre, ils ont ajouté que l’État avait un devoir accru de protéger Madame Bedoya parce qu’elle était une femme journaliste, une défenseuse des droits de l’homme et étant donné que de surcroît les autorités étaient conscientes du grand risque auquel elle était exposée.
Dans sa défense, l’État colombien a indiqué que des mesures raisonnables ont été adoptées pour prévenir le risque auquel la journaliste était exposée. L’État a fait valoir que Madame Bedoya « était accompagnée par les autorités de l’État, en particulier la police nationale, qui lui a offert des mesures de protection en raison des menaces reçues » [paragraphe 85]. En ce qui concerne les événements du 25 mai 2000, l’État a affirmé que les autorités ont mené une enquête sérieuse et diligente sur la participation éventuelle d’agents de l’État, mais que cette allégation n’a pas pu être corroborée.
La Cour a analysé la responsabilité internationale de l’État pour l’enlèvement et les actes de torture dont a été victime Madame Bedoya le 25 mai 2000. La Cour a souligné le risque particulier auquel sont exposées les femmes journalistes en raison de la violence sexiste. Par conséquent, des mesures de protection doivent être mises en œuvre afin de faire respecter et de prendre en compte les normes juridiques en matière de violence sexiste et de non-discrimination. En outre, les États ont l’obligation positive de « a) identifier et enquêter avec la diligence requise sur les risques particuliers encourus par les femmes journalistes, ainsi que sur les facteurs qui augmentent la possibilité qu’elles soient victimes de violence, et b) mettre en œuvre une approche fondée sur le genre lors de l’adoption de mesures visant à garantir la sécurité des femmes journalistes, y compris celles de nature préventive, lorsqu’elles sont demandées, ainsi que celles visant à les protéger contre les représailles » [paragraphe 91].
Dans cette affaire, la Cour a conclu que le devoir de prévention de l’État exigeait une diligence renforcée, car Madame Bedoya se trouvait dans une position doublement vulnérable : en raison de son travail de journaliste et parce qu’elle est une femme. Selon le jugement, les autorités étaient conscientes du risque que courait la journaliste et n’ont pas pris les mesures adéquates pour l’empêcher de se produire. Par conséquent, la Cour a prononcé la responsabilité internationale de l’État pour la violation du devoir de dligence.
En outre, la Cour a relevé l’existence d’indices sérieux de l’implication de l’État aux événements du 25 mai 2000, compte tenu du comportement étrange du gardien de prison, de l’entrée irrégulière dans l’établissement et de la présence d’agents en uniforme lors de l’enlèvement. Par conséquent, la Cour a conclu que l’État était responsable de l’interception et de l’enlèvement de Madame Bedoya, en violation de son obligation de se conformer à l’article 7 de la Convention américaine, en relation avec l’article 1(1) de celle-ci et les articles 7(a) et 7(b) de la Convention de Belém do Pará. À cet égard, le jugement note que pendant l’enlèvement, Madame Bedoya a été soumise à « des actes de torture physique, sexuelle et psychologique, qui n’auraient pas pu être réalisés sans l’acquiescement et la collaboration de l’État, ou du moins avec sa tolérance » [paragraphe 104]. Pour cette raison, elle a également déclaré la violation des articles 5(2) et 11 de la Convention américaine, conjointement avec les obligations contenues dans l’article 1(1) du même instrument, les articles 7(a) et 7(b) de la Convention de Belém do Pará et les articles 1 et 6 de l’IACPPT.
En ce qui concerne la violation du droit à la liberté de pensée et d’expression, la Cour a rappelé que ce droit a une dimension individuelle et sociale. Ainsi, le jugement constate que l’enlèvement, la torture, le viol et les autres agressions subies par Madame Bedoya se sont produits alors qu’elle effectuait son métier de journaliste. Pour ce qui est de la dimension individuelle, la Cour a conclu que l’attaque « visait à punir et à intimider la journaliste et, par conséquent, à affecter l’exercice individuel de son droit à la liberté de pensée et d’expression » [paragraphe 109]. En ce qui concerne la dimension sociale, la Cour a conclu que l’absence d’une garantie effective de la liberté de pensée et d’expression a généré un «effet dissuasif qui a privé le public de voix et de points de vue pertinents et, en particulier, les voix et les points de vue des femmes, ce qui, à son tour, a conduit à une augmentation de l’écart entre les sexes dans la profession de journaliste et a porté atteinte au pluralisme qui est un élément essentiel de la liberté de pensée et d’expression et de la démocratie» [paragraphe 113]. Sur la base de ce qui précède, le jugement a déterminé que la Colombie a violé son obligation de respecter et de garantir le droit à la liberté de pensée et d’expression de Madame Bedoya, tel qu’établi dans l’article 13 de la Convention américaine, ainsi que l’article 1(1) dudit traité.
En ce qui concerne la diligence raisonnable, la Cour a considéré que, dans le cadre de l’enquête sur ces cas de violence contre des femmes journalistes, le devoir de diligence raisonnable devait être soumis à un examen strict. Ceci, d’une part, pour respecter l’obligation positive de garantir la liberté d’expression et de protéger l’exercice de la profession de journaliste, et d’autre part, pour la prévention et la protection de la violence faite aux femmes. Ainsi, « lorsqu’ils enquêtent sur des actes de violence dirigés contre des femmes journalistes, les États ont l’obligation d’adopter toutes les mesures nécessaires pour aborder cette enquête dans une perspective intersectionnelle qui tienne compte de ces différents axes de vulnérabilité qui affectent la personne impliquée et qui, à leur tour, motivent ou accentuent la diligence renforcée » [paragraphe 126].
La Cour a constaté de multiples fautes dans l’enquête pénale qui ont obligé Madame Bedoya elle-même à mener l’enquête seule et à raconter son témoignage à de nombreuses reprises, ce qui témoigne de la discrimination fondée sur le genre du processus judiciaire. En plus de ce qui précède, les erreurs dans la collecte des preuves et la violation du délai raisonnable pour l’enquête et la poursuite de l’accusé ont perpétué un sentiment individuel et social d’impunité et de violence contre les journalistes. Ainsi, la Cour a conclu que l’État a violé les droits aux garanties et à la protection judiciaires établis par les articles 8(1) et 25(1) de la Convention américaine, en relation avec les articles 1(1) et 24 dudit traité, ainsi que l’article 7(b) de la Convention de Belém do Pará, au préjudice e Madame Bedoya.
Enfin, la Cour a reconnu la responsabilité de l’État en ce qui concerne les menaces reçues avant et après le 25 mai 2000, qui ont affecté tant l’exercice de la liberté d’expression que l’intégrité personnelle de la journaliste et de sa mère Luz Nelly Lima.
La Cour a établi que le jugement en lui-même constitue une forme de réparation, et a en outre ordonné à l’État colombien de promouvoir les enquêtes et les sanctions en cours, de diffuser le jugement, de mettre en œuvre des mesures efficaces pour la protection des femmes journalistes, de créer un centre commémoratif pour sensibiliser à la violence contre les femmes et au journalisme d’investigation, d’émettre un programme mensuel basé sur la campagne de Madame Bedoya contre la violence sexuelle, et de verser l’indemnisation convenue en faveur de Jineth Bedoya et de sa mère, Nelly Lima.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
La décision élargit le champ d’expression en mettant en œuvre les normes internationales en matière de droits de l’homme pour la protection des femmes journalistes qui ont été victimes de violences sexuelles dans le cadre de leur travail journalistique. Il s’agit d’un arrêt historique, car c’est la première décision d’une cour internationale des droits de l’homme faisant référence à ce phénomène. En outre, l’arrêt joue un rôle clé dans l’avancement de la création de normes de diligence accrue par les gouvernements à l’égard des femmes journalistes.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
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