Sécurité nationale, Liberté de la presse, Respect de la vie privée, protection des données et rétention, Surveillance
Manohar c. Union of India
Inde
Affaire résolue Élargit l'expression
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Une Cour supérieure brésilienne a suspendu l’enquête sur un journaliste qui avait rédigé un article dans lequel il a cité les résultats positifs que pourrait engendrer le décès du président Jair Bolsonaro. L’article a été écrit peu de temps après que le président ait été testé positif à la Covid-19 et il y est mentionné que la mort du président sauverait des vies du moment où elle mettrait fin au discours qui minimisait l’importance de la pandémie. Le ministre de la justice a ordonné à la Police fédérale d’ouvrir une enquête sur le journaliste pour d’éventuelles violations de la loi sur la sécurité nationale. La Cour a suspendu l’enquête, estimant que le comportement présumé du journaliste ne répondait pas aux critères définis par la loi sur la sécurité nationale pour déterminer une atteinte réelle ou potentielle à l’intégrité territoriale, à la souveraineté ou à la démocratie.
Le 7 juillet 2020, le journaliste brésilien Hélio Schwartsman a publié un article en réponse à la nouvelle selon laquelle le président brésilien, Jair Bolsonaro, avait été testé positif à la Covid-19. Dans l’article, publié dans Folha de S. Paulo et intitulé “Pourquoi j’espère que le président meurt”, Schwartsman a noté que la mort de Bolsonaro serait “regrettable” comme celle de toute autre personne, mais qu’elle sauverait des vies en mettant fin à son discours qui minimise la gravité de la pandémie, à la tension qui sévit au sein des institutions démocratiques et à l’affaiblissement d’importantes politiques environnementales culturelles et scientifiques. Schwartsman a écrit qu’il n’avait “rien de personnel” contre Bolsonaro et qu’il était plutôt motivé par une morale conséquentialiste.
Le ministre de la justice et de la sécurité publique, André Mendonça, a chargé la Police fédérale d’ouvrir une enquête sur Schwartsman pour infraction pénale au titre de la loi sur la sécurité nationale (la Loi). L’ordonnance émise par le ministre a cité l’article 27 de la Loi criminalisant “l’atteinte à l’intégrité physique ou à la santé” des chefs du gouvernement fédéral dans ses trois branches, y compris le Président. Bien que non mentionné dans l’ordonnance, Mendonça avait déclaré sur Twitter qu’il ordonnerait une enquête sur une éventuelle violation de l’article 26 de la Loi qui criminalise “la calomnie ou la diffamation” de ces autorités. En droit brésilien, la calomnie, ou calúnia, est définie comme étant le fait d’attribuer à tort un crime à quelqu’un, tandis que la diffamation, ou difamação, est définie comme étant le fait de dénigrer la réputation de quelqu’un.
L’administration Bolsonaro a utilisé la Loi – qui impose des peines beaucoup plus longues que celles établies par d’autres lois pénales – contre ses détracteurs. L’administration a ordonné une enquête sur le caricaturiste Renato Aroeira pour avoir publié un dessin où le président est représenté en train de dire “envahissons un autre hôpital” aux côtés d’une croix gammée sanglante, après que Bolsonaro eut exhorté ses partisans à envahir les hôpitaux publics pendant la pandémie Covid-19 pour enregistrer des vidéos qui prouvent le taux d’occupation des lits. Un recours constitutionnel visant à suspendre cette enquête a été engagé auprès de la Cour suprême (ADPF n° 697).
Schwartsman a déposé une requête d’habeas corpus devant la Cour supérieure de justice pour suspendre l’enquête. Selon la Constitution brésilienne de 1988, une ordonnance d’habeas corpus est accordée à titre de recours contre les restrictions affectant la liberté de circulation d’un individu lorsque celles-ci résultent d’une action illégale ou d’un abus de pouvoir de la part d’agents publics ou de toute personne agissant à titre officiel. Les requêtes en habeas corpus ont été utilisées pour bloquer les poursuites ou enquêtes pénales dans des circonstances exceptionnelles où l’illégalité du comportement de l’État ne fait aucun doute, par exemple lorsque des accusations pénales sont manifestement infondées ou sont introduites plus tard que les délais de prescription.
La demande de suspension d’enquête a été examinée par le juge rapporteur, Jorge Mussi. La principale question que la Cour devait examiner était de savoir si une enquête dans le cas de l’article rédigé par Schwartsman était légalement justifiée, compte tenu des critères énoncés dans la Loi et du droit constitutionnel à la liberté d’expression.
Schwartsman a soutenu que les critères prévus par la Loi ne sont pas satisfaits, car sa conduite ne relevait d’aucune loi pénale. Il s’est référé à la jurisprudence de la Cour suprême en faisant valoir que la portée de la Loi est limitée par deux critères indissociables : (1) la motivation politique ; et (2) le préjudice réel ou potentiel à l’intégrité territoriale, à la souveraineté nationale, au régime représentatif, à l’union fédérale ou à l’état de droit. Schwartsman a soutenu que ces critères ne sont pas remplis dans le cas de son article.
Il a également fait valoir que l’enquête violait les droits constitutionnels de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, car l’article constituait ses opinions personnelles, fondées sur une approche philosophique conséquentialiste (dont il avait déjà parlé dans sa chronique) et qu’il n’avait fait qu’exercer les droits, dont lui et le journal bénéficiaient, en vertu de la Constitution.
Schwartsman a également fait valoir que même s’il reconnaissait que tout crime dont le Président était victime pouvait être qualifié d’atteinte à la sécurité nationale et que l’enquête avait été ouverte en vertu de l’article 26 de la Loi – il n’avait pas enfreint à l’article 26 car il n’avait pas attribué au Président un comportement qui porte atteinte à sa réputation.
Le juge Mussi a accordé la suspension. Une suspension est accordée lorsque le requérant arrive à satisfaire deux conditions : fumus boni iuris (la probabilité que le requérant réussisse sur le fond de l’affaire) et periculum in mora (risque de préjudice si une suspension n’est pas accordée). Il a reconnu que les précédents de la Cour supérieure de justice et de la Cour suprême montrent clairement que la loi est limitée par deux critères, l’un est “subjectif” (en rapport avec l’accusé) et l’autre “objectif” (en rapport avec l’acte allégué), qui doivent être considérés conjointement. Cela a pour effet que les dispositions de la Loi qui donnent lieu à des infractions pénales ne s’appliquent que lorsque l’accusé a agi avec une motivation politique et que l’agissement porte atteinte, réelle ou potentielle, à l’intégrité territoriale, à la souveraineté nationale, au régime représentatif, à l’union fédérale ou à l’état de droit.
Le juge Mussi a estimé que « nonobstant les critiques qui pourraient être formulées » contre l’article rédigé par Schwartsman [p. 37-8)], en se basant sur un examen superficiel de l’article, il n’y avait “aucune motivation politique, ni préjudice réel ou potentiel à l’intégrité territoriale, à la souveraineté nationale, au régime représentatif, à l’union fédérale ou à l’état de droit ” [p. 38]. Le juge Mussi en a conclu que la première condition pour une suspension était remplie, et que l’exigence du periculum in mora pour accorder une suspension était présente, étant donné l’imminence de la date fixée par la police pour interroger Schwartsman.
En conséquence, le juge Mussi a ordonné la suspension de l’enquête.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
Le jugement élargit la liberté d’expression dans la mesure où il protège les individus contre l’application de la Loi sur la sécurité nationale (qui prévoit notamment de longues peines d’emprisonnement), mais il n’aborde pas la question de savoir si un journaliste peut faire l’objet d’une enquête en vertu d’autres lois pénales.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
Bien que le cas n’a pas force obligatoire, une décision de la Cour supérieure de justice peut avoir une influence sur les tribunaux inferieurs (d’état et fédéraux) dans tout le Brésil.
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