Gongadze c. Ukraine

Affaire résolue Élargit l'expression

Key Details

  • Mode D'expression
    Presse / Journaux
  • Date de la Décision
    novembre 8, 2005
  • Résultat
    CEDH – Violations de l'article non relatif à la liberté d'expression et d'information, CEDH, Violation de l’article 2
  • Numéro de Cas
    34056/02
  • Région et Pays
    Ukraine, Europe et Asie Centrale
  • Organe Judiciaire
    Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH)
  • Type de Loi
    Droit international/régional des droits de l'homme
  • thèmes
    Violence contre les orateurs / impunité

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Analyse de Cas

Résumé du Cas et Résultat

La Cour européenne des droits de lʼhomme (CrEDH) a conclu que lʼUkraine a violé les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de lʼhomme (CEDH) à lʼégard du mari décédé de la requérante. Le mari de la requérante, M. Gongadze, journaliste de son état, a disparu en septembre 2000. En novembre 2000, les proches de M. Gongadze ont appris par un bref article de presse quʼun corps non identifié avait été retrouvé, décapité. En examinant le corps, les proches ont identifié des bijoux et une cicatrice qui correspondaient à ceux de M. Gongadze. À partir de cette date, il a été allégué que le procureur avait commencé à entraver activement lʼenquête. La Cour a conclu à une violation de lʼarticle 13 (droit à un recours effectif) en raison du manquement à lʼobligation dʼenquêter correctement sur lʼaffaire et de lʼimpossibilité de réclamer un préjudice pénal en vertu du droit national. La Cour a en outre considéré que le manque et le détournements dʼinformations fournies aux proches du défunt leur a causé une souffrance grave qui sʼapparente à un traitement dégradant de l’enquête, contraire à lʼarticle 3 de la CEDH.


Les Faits

M. Gongadze (le mari de la requérante), était journaliste. Il a disparu en septembre 2000 dans des circonstances qui nʼont pas encore été « pleinement établies » par les autorités [§ 8], malgré plusieurs demandes et requêtes de la requérante. Plusieurs policiers ont finalement été accusés de lʼenlèvement et du meurtre de M. Gongadze.

M. Gongadze était le rédacteur en chef dʼun journal en ligne. Il était connu pour ses critiques des initiatives prétendument antidémocratiques des autorités ukrainiennes et de la corruption des fonctionnaires. Il a participé activement à la sensibilisation en Ukraine et à lʼétranger aux problèmes de la liberté dʼexpression dans son pays. Pendant les mois précédant sa disparition, il avait dit à ses collègues et à ses proches quʼil « recevait des menaces et était sous surveillance » [§ 10]. M. Gongadze avait écrit une lettre au Procureur général afin de lui demander de prendre des mesures de protection. Cette demande lui a été refusée.

Le 2 novembre, le corps décapité dʼun inconnu a été découvert. Les proches ont appris cette découverte par un bref article paru dans les journaux le 10 novembre 2000. En examinant le corps, il sʼest avéré être celui de M. Gongadze. Des circonstances différentes ont conduit à lʼallégation selon laquelle le procureur a activement entravé lʼenquête. Plus dʼun mois après la découverte, la requérante a été autorisée à participer à lʼidentification du corps. En raison de la difficulté de la situation, elle nʼa pas été « en mesure dʼidentifier avec certitude le corps » comme étant celui de M. Gongadze [§ 30]. La requérante a soutenu nʼavoir jamais été directement informée par les autorités judiciaires des résultats de différents examens, mais quʼelle les découvrait à travers les médias. Finalement, en janvier 2001, le Procureur général a informé le Parlement quʼil y avait une « probabilité de 99,64 % » que le corps retrouvé soit celui de M. Gongadze [§ 37]. L’identité nʼa toutefois pas pu être confirmée car des témoins ont affirmé avoir vu M. Gongadze vivant. Cette information nʼa, elle non plus, pas été confirmée. En février 2001, la requérante a été informée que des preuves supplémentaires avaient été trouvées, confirmant que le corps retrouvé était celui de M. Gongadze. Une enquête pour meurtre a été ouverte. La requérante a demandé un accès complet au dossier, mais cette demande a été rejetée. En mai 2001, le ministre de lʼIntérieur a annoncé que deux toxicomanes, qui avaient vraisemblablement tué M. Gongadze, étaient morts et que lʼaffaire était par conséquent résolue. Le ministre a déclaré que le meurtre avait été commis spontanément, sans aucun motif politique. La requérante a toutefois ensuite été informée par le Bureau du Procureur Général (ci-après, « BPG ») que des informations supplémentaires avaient été trouvées et que lʼenquête préliminaire nʼétait pas encore terminée. Différentes demandes faites par la requérante concernant lʼenquête ont été rejetées. Le 15 janvier 2003, le président de la commission parlementaire ad hoc sur cette affaire a annoncé que des membres de la police étaient responsables de la mort de M. Gongadze. Le rôle de hauts fonctionnaires du ministère de lʼIntérieur dans la mort de M. Gongadze a également fait lʼobjet dʼune enquête. En mai 2003, un ancien officier de police a été arrêté et accusé dʼavoir créé un groupe criminel avec la participation de la police. Il est mort en prison dans des circonstances qui sont restées floues. Des lettres de cet officier de police sont apparues dans les médias, dans lesquelles il accusait la police et les hauts fonctionnaires dʼavoir enlevé et tué M. Gongadze. En octobre 2003, un fonctionnaire du ministère a été arrêté, soupçonné dʼêtre impliqué dans la disparition de M. Gongadze. Il aurait ordonné la destruction de documents importants. En août 2005, la requérante a finalement eu accès au dossier pénal.

Le jugement a tenu compte du contexte politique et international de lʼaffaire, à savoir que depuis 1991, dix-huit journalistes ont été tués en Ukraine et que lʼaffaire a attiré lʼattention de nombreuses organisations internationales. En 2005, après lʼélection dʼun nouveau président, lʼenquête a été rouverte. Le rapport de la commission dʼenquête sur le meurtre de M. Gongadze a conclu que lʼenlèvement et le meurtre de M. Gongadze avaient été organisés par lʼancien président ukrainien et son ministre de lʼIntérieur d’alors. Le rapport note également que le BPG nʼa pris aucune mesure et nʼa pas réagi aux conclusions du comité.


Aperçu des Décisions

La question principale posée à la Cour était de savoir si le Gouvernement ukrainien avait porté atteinte au droit à la vie, tel quʼénoncé à lʼarticle 2 de la CEDH. La requérante alléguait que le gouvernement avait violé lʼarticle 2 de la CEDH, car la mort de son mari résultait dʼune disparition forcée et que les autorités nʼavaient en aucun cas protégé sa vie. La requérante se plaignait également du manque de cohérence et dʼefficacité de lʼenquête, ce qui a entraîné une violation procédurale de ce même article. La Cour a évalué lʼaffaire comme suit.

Défaut de protection du droit à la vie

Concernant le manquement allégué à la protection du droit à la vie, la Cour a considéré que ce droit fondamental sʼétend à une obligation positive des autorités de prendre des mesures pour protéger les individus dont la vie est menacée par les actes criminels dʼautrui. Cette obligation ne doit pas constituer une charge impossible ou disproportionnée. Pour quʼune obligation positive naisse, il faut établir que « les autorités savaient ou auraient dû savoir » quʼil existait un « risque réel et immédiat pour la vie dʼune ou plusieurs personnes identifiées du fait des actes criminels dʼun tiers » [§ 165]. La Cour a noté que M. Gongadze avait demandé au Procureur général de prendre des mesures de protection, ce qui lui a été refusé. Selon la Cour, les autorités devraient être conscientes de la position vulnérable dʼun journaliste ayant couvert des sujets politiquement sensibles au regard des personnes au pouvoir à ce moment précis. Le BPG a en outre le droit et lʼobligation de contrôler la police et la légalité de ses actions. Selon la Cour, la réponse du BPG à la lettre de M. Gongadze était une négligence flagrante. Compte tenu des informations disponibles au moment de lʼarrêt, la Cour a exprimé de sérieux doutes quant à la volonté réelle des autorités du gouvernement précédent de mener une enquête approfondie sur cette affaire. La Cour a conclu quʼil y avait eu une violation substantielle de lʼarticle 2 de la CEDH.

Défaut dʼenquête sur lʼaffaire

Lʼobligation positive de protéger la vie dʼun individu exige également une enquête efficace lorsquʼun individu a été tué par lʼusage de la force. Dans le cas dʼune enquête sur un meurtre illégal présumé commis par des agents de lʼÉtat, pour que lʼenquête soit efficace, les « personnes responsables et chargées de lʼenquête doivent être indépendantes de celles qui sont impliquées dans les événements » [§ 176]. Lʼenquête doit également être efficace en ce sens quʼelle doit permettre de déterminer « si la force utilisée dans ces cas était ou non justifiée dans les circonstances et dʼidentifier et de punir les responsables » du meurtre [§ 176]. Il sʼagit dʼune obligation de moyens et non de résultat. La promptitude et la diligence raisonnable sont également requises dans ce contexte. La Cour a estimé quʼau cours de lʼenquête, jusquʼà la fin de lʼannée 2004, les autorités se sont « davantage préoccupées de prouver lʼabsence dʼimplication de hauts responsables de lʼÉtat dans lʼaffaire que de découvrir la vérité » derrière lʼenlèvement et le meurtre de M. Gongadze [§ 2]. 179]. La Cour a conclu quʼil y avait eu une violation procédurale de lʼarticle 2 de la CEDH.

Article 3

La requérante alléguait que les circonstances autour de lʼenquête sur le meurtre de son mari, principalement lʼatmosphère de peur et dʼincertitude, lʼavaient forcée à quitter le pays, ce qui lui avait causé des souffrances en violation de lʼarticle 3 de la CEDH. Lʼarticle 3 de la CEDH interdit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

La Cour a estimé que lʼattitude des autorités à lʼégard de la requérante et de ses proches a causé de graves souffrances, assimilables à un traitement dégradant. La requérante a reçu des déclarations contradictoires des autorités sur le sort de son mari pendant des années. La requérante sʼest également vu refuser lʼaccès aux documents pertinents du dossier de lʼaffaire. Elle nʼa obtenu cet accès quʼen août 2005. La Cour a conclu qu’il avait été porté atteinte à lʼarticle 3 de la CEDH.

Article 13

La requérante se plaint de lʼabsence de recours effectif, ce qui entraînerait une violation de lʼarticle 13 de la CEDH. Lʼarticle 13 exige une enquête approfondie et efficace pouvant conduire à lʼidentification et à la sanction des responsables de la privation de la vie, ainsi quʼun accès effectif de la plaignante à la procédure dʼenquête. La Cour considère que, pendant plus de quatre ans, aucuneenquête pénale effective n’a été menée. La Cour estime donc que la requérante sʼest vu refuser un recours effectif dans le cadre du décès de son mari.

Dommages et intérêts

La Cour a accordé 100 000 euros (environ 119 000 dollars américains à lʼépoque), soit lʼintégralité de la somme réclamée par la requérante, au titre du préjudice pécuniaire et non pécuniaire, et des frais et dépens.


Direction De La Décision

Info Rapide

La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.

Élargit l'expression

La Cour a conclu à la violation de lʼarticle 2, défaut de protection du droit à la vie, concernant lʼassassinat dʼun journaliste, le mari de la requérante. La Cour souligne que les États doivent être conscients de la vulnérabilité des journalistes qui couvrent des sujets (politiquement) sensibles.

Perspective Globale

Info Rapide

La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.

Tableau Des Autorités

Lois internationale et/ou régionale connexe

Importance du Cas

Info Rapide

L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.

La décision établit un précédent contraignant ou persuasif dans sa juridiction.

La décision a été citée dans:

Documents Officiels du Cas

Pièces Jointes:

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