Sécurité nationale, Modération du contenu, Réglementation du contenu / censure, Droits numériques, Fermeture d'internet, Accès à l'information publique
SERAP c. République fédérale du Nigéria
Nigéria
Affaire résolue Résultat mitigé
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La Cour suprême de l’Inde a statué qu’une suspension indéfinie des services Internet serait illégale en vertu de la loi indienne et que les ordonnances de coupure d’Internet devaient satisfaire aux critères de nécessité et de proportionnalité. L’affaire concerne les restrictions d’accès à Internet et les restrictions de mouvement imposées dans la région du Jammu-et-Cachemire en Inde le 4 août 2019 au nom de la protection de l’ordre public. Cependant, in fine, la Cour n’a pas levé les restrictions d’accès à Internet et a plutôt ordonné au gouvernement de revoir les ordonnances de coupure par rapport aux critères décrits dans son jugement et de lever celles qui n’étaient pas nécessaires ou n’avaient pas de limite de temps. La Cour a rappelé que la liberté d’expression en ligne bénéficiait d’une protection constitutionnelle, mais pouvait être restreinte au nom de la sécurité nationale. La Cour a jugé que bien que le gouvernement ait le pouvoir d’imposer une fermeture complète d’Internet, toute ordonnance imposant de telles restrictions devait être rendue publique et devait pouvoir faire l’objet d’un contrôle judiciaire.
Le Jammu-et-Cachemire est un territoire indien limitrophe au Pakistan qui fait l’objet d’un différend de plusieurs décennies entre les deux pays. En vertu de l’article 370 de la Constitution indienne (Constitution), le territoire jouissait d’un statut spécial, avait sa propre Constitution et les citoyens indiens d’autres États indiens n’étaient pas autorisés à acquérir des terres ou des biens sur ce territoire. Le 5 août 2019, le gouvernement indien a pris le décret 2019 (applicable au Jammu-et-Cachemire), révoquant au Jammu-et-Cachemire son statut spécial dont il jouissait depuis 1954 et le subordonnant à toutes les dispositions de la Constitution de l’Inde.
Dans les jours qui ont précédé la prise de ce décret, le gouvernement indien a commencé à imposer des restrictions sur la communication en ligne et la liberté de mouvement. Le 2 août, le secrétariat civil du département de l’intérieur du gouvernement du Jammu-et-Cachemire a conseillé aux touristes et aux pèlerins d’Amarnath Yatra de quitter la région. Par la suite, les écoles et les bureaux ont été sommés de rester fermés jusqu’à nouvel ordre. Le 4 août 2019, les réseaux de téléphonie mobile, les services Internet et la téléphonie fixe ont tous été coupés dans la région. Les magistrats de district ont imposé des restrictions supplémentaires sur les libertés de circulation et de rassemblement, invoquant l’article 144 du Code pénal.
La coupure d’Internet et les restrictions de mouvement (ci-après « restrictions ») ont limité la capacité des journalistes à se déplacer et à faire le travail journalistique. Ils ont donc contesté les restrictions devant les tribunaux pour violation de l’article 19 de la Constitution, qui garantit le droit à la liberté d’expression. Dans ce contexte, la Cour suprême de l’Inde a examiné les requêtes suivantes contestant la légalité de la coupure d’Internet et des restrictions de mouvement:
Le Procureur général faisait valoir que les restrictions étaient des mesures visant à prévenir les actes terroristes et qu’elles étaient justifiées compte tenu de l’histoire de terrorisme transfrontalier et du militantisme interne qui sévissaient depuis longtemps dans l’État de Jammu-et-Cachemire. Il a rappelé que des mesures similaires avaient été prises dans le passé, par exemple, en 2016 suite à l’assassinat d’un terroriste dans cette région.
Le Solliciteur général a réitéré l’argument de la nécessité historique et a noté que le premier devoir d’un État est d’assurer la sécurité et de protéger la vie des citoyens. Il a également soutenu que les faits exposés par les requérants étaient faux et qu’ils avaient exagéré les effets des restrictions. Il notait tout particulièrement que les déplacements individuels n’avaient jamais été restreints, que des restrictions n’étaient imposées que dans certaines zones et avaient été assouplies peu de temps après, et que tous les journaux, chaînes de télévision et de radio étaient opérationnels.
De plus, le Solliciteur général a faisait valoir que même avant que le décret abrogeant l’article 370 de la Constitution ne soit pris, la question faisait l’objet de spéculations au Jammu-et-Cachemire, y compris des discours et des messages provocateurs. En conséquence, les responsables gouvernementaux sur le terrain ont décidé que les restrictions étaient nécessaires, et les tribunaux ont une compétence limitée pour remettre en question leur jugement puisque des questions de sécurité nationale étaient en jeu.
Plus précisément, concernant la coupure des communications et d’Internet, Le Solliciteur général a déclaré que l’accès à Internet n’avait jamais été restreint dans les régions de Jammu et du Ladakh. Il a ajouté que les médias sociaux, qui permettaient aux gens d’envoyer des messages et de communiquer avec un certain nombre de personnes en même temps, pouvaient être utilisés comme un moyen d’inciter à la violence. Selon lui, Internet a permis la transmission de fausses nouvelles ou de fausses images, qui ont ensuite été utilisées pour propager la violence. En outre, il a affirmé que le « dark web » permettait aux gens de se procurer facilement des armes et des substances illégales.
Le Solliciteur général rejetait l’argument selon lequel la liberté d’expression normalement applicable aux journaux s’appliquait aussi à leurs activités sur Internet au motif que les deux activités étaient différentes. Il expliquait que si les journaux ne permettaient qu’une communication à sens unique, Internet permettait de communiquer dans les deux sens, ce qui rendait la diffusion des messages très simple. Il concluait qu’il n’était pas possible d’interdire uniquement certains sites Web ou certaines parties d’Internet tout en autorisant l’accès à d’autres parties, comme le gouvernement l’a appris en 2017.
La Cour a commencé par déclarer qu’à la lumière des faits de la présente affaire, elle devait « établir un équilibre entre les préoccupations en matière de liberté et de sécurité afin que le droit à la vie soit garanti et exercé de la meilleure manière possible », et de laisser les « forces démocratiques » agir en ce qui concerne « l’à-propos» des ordonnances en cause [para. 1]
La Cour a ensuite relevé cinq questions dans les arguments présentés par les requérants et le gouvernement :
La Cour a analysé les cinq questions ci-dessus en quatre sections :
La Cour a estimé que l’État devait produire les ordonnances imposant les restrictions. Elle a commencé par constater la difficulté qu’elle avait rencontrée pour déterminer la légalité des restrictions lorsque les autorités avaient refusé de produire les ordonnances imposant lesdites restrictions. Citant le précédent créé par l’affaire Ram Jethmalani c. Union indienne, (2011) 8 CSC 1, la Cour a expliqué que l’État avait l’obligation de divulguer des informations afin de satisfaire au droit de recours tel qu’établi à l’article 32 de la Constitution. En outre, l’article 19 de la Constitution avait été interprété comme incluant le droit à l’information comme une partie importante du droit à la liberté d’expression et de parole. La Cour a ajouté : « Une démocratie, qui fait serment de transparence et de responsabilité, exige nécessairement la production d’ordonnances, car c’est le droit d’une personne de savoir » [para. 15]. Ces droits fondamentaux obligent l’État à agir de manière responsable pour les protéger et interdisent à l’État de retirer ces droits de manière désinvolte. La Cour a réaffirmé qu’aucune loi ne devait être adoptée en secret en raison du danger prévisible que de tels actes pouvaient entraîner pour la démocratie. Pour faire valoir son point de vue, la Cour a cité James Madison : « Un gouvernement populaire, sans information populaire ou les moyens de l’acquérir, n’est rien d’autre que le prologue d’une farce ou d’une tragédie, ou peut-être des deux. La connaissance gouvernera toujours l’ignorance, et un peuple qui veut s’autogouverner doit s’armer du pouvoir que procure la connaissance » [para. 16]. L’État était donc tenu de prendre des mesures proactives pour rendre publique toute loi restreignant les droits fondamentaux, à moins qu’il n’y ait un motif d’intérêt public qui justifie le secret. Cependant, même dans de tels cas, la Cour serait l’instance chargée de mettre en balance les privilèges de l’État et le droit à l’information et d’ainsi décider quelles parties de l’ordonnance pourraient être cachées ou caviardées. En l’espèce, l’État a initialement invoqué un tel privilège, mais a ensuite abandonné sa demande et a rendu publiques certaines des ordonnances, expliquant que toutes ne pouvaient pas être publiées en raison de difficultés non précisées. Pour la Cour, une telle justification n’était pas un motif valable.
Premièrement, la Cour a rappelé que la liberté d’expression garantie par l’article 19 de la Constitution s’appliquait également à Internet. La Cour a rappelé sa vaste jurisprudence qui étend la protection aux nouveaux médias d’expression. Dans l’affaire Indian Express c. Union indienne, (1985) 1 SCC 641, la Cour suprême a statué que la liberté d’expression protège la liberté de la presse écrite. Dans l’affaire Odyssey Communications Pvt. Ltd. c. Lokvidayan Sanghatana, (1988) 3 SCC 410, il a été jugé que le droit des citoyens de projeter des films faisait partie du droit fondamental de la liberté d’expression. L’expression en ligne est devenue l’un des principaux moyens de diffusion de l’information et, par conséquent, elle fait partie intégrante de la liberté d’expression garantie par l’article 19 (1) (a), mais pouvait être restreinte en vertu de l’article 19 (2) de la Constitution.
Par conséquent, l’Internet acquitte également un rôle très important dans les échanges et le commerce et certaines entreprises en dépendaient entièrement. La liberté d’échange et de commerce en utilisant Internet est donc également protégée par la Constitution en vertu de l’article 19 (1) (g), sous réserve des restrictions prévues à l’article 19 ( 6). Cependant, la Cour n’est pas allée jusqu’à déclarer le droit d’accès à Internet comme un droit fondamental, car aucune des parties à l’affaire n’a fait valoir cet argument. La Cour a ensuite examiné si la liberté d’expression pouvait être restreinte et dans quelle mesure. La Constitution permet au gouvernement de restreindre la liberté d’expression en vertu de l’article 19 (2) tant que les restrictions sont prescrites par la loi, sont raisonnables et ont été imposées dans un but légitime. La Constitution énumère une liste exhaustive de restrictions raisonnables qui incluent « la sauvegarde de la souveraineté, l’intégrité, la sécurité, les relations avec les États étrangers, l’ordre public, la décence ou la moralité ou l’outrage à la Cour, la diffamation ou l’incitation à une infraction » [para. 31]. En examinant sa jurisprudence relative à l’application de l’article 19 (2), la Cour a conclu que les restrictions à la liberté d’expression pouvaient entraîner des interdictions totales. Dans de tels cas, l’interdiction totale ne devrait pas brimer de manière excessive la liberté d’expression et le gouvernement devrait expliquer pourquoi des alternatives moins lourdes seraient inadéquates. Enfin, la question de savoir si une restriction équivaut à une interdiction complète est une question de fait que la Cour doit trancher en fonction des circonstances de chaque cas.
La Cour s’est ensuite penchée sur le contexte géopolitique des restrictions. Elle a convenu avec le gouvernement que le Jammu-et-Cachemire était depuis longtemps en proie au terrorisme. La Cour a noté que les terroristes modernes s’appuyaient fortement sur Internet, ce qui leur permettait de diffuser de fausses informations et de la propagande, de collecter des fonds et de rallier d’autres personnes à leur cause. Par conséquent, les autorités indiennes ont soutenu que la « guerre contre le terrorisme » exigeait l’imposition de restrictions « afin de tuer dans l’œuf le problème du terrorisme » [para. 37]. La Cour a noté que « la guerre contre le terrorisme » était différente des combats territoriaux et pouvait prendre d’autres formes qui affectent la vie normale, de sorte qu’elle ne pouvait pas être traitée comme une situation de loi et d’ordre.
La Cour a ensuite examiné le premier amendement des États-Unis et sa jurisprudence de 1863 à nos jours pour conclure que le discours qui incite à la violence n’est pas protégé. La Cour a souligné que les dirigeants américains et le pouvoir judiciaire ont à plusieurs reprises restreint la liberté d’expression au nom de la sécurité nationale. Le premier de ces cas remonte à 1863 dans l’affaire Vallandigham (Vallandigham 28 F. Cas. 874 (1863) lorsque M. Vallandigham a été reconnu coupable et emprisonné pendant la guerre civile américaine pour avoir publiquement qualifiée le conflit de « méchant, cruel et inutile ». Dans l’affaire Abrams c. États-Unis, 250 U.S. 616 (1919), le juge Holmes a écrit que le pouvoir du gouvernement des États-Unis peut punir un discours qui donne lieu ou est susceptible de donner lieu à un danger clair et imminent, et que ce pouvoir « est sans aucun doute plus grand en temps de guerre qu’en temps de paix, parce que la guerre pose des dangers qui n’existent pas en d’autres temps » [para. 40]. Dans l’affaire Dennis c. États-Unis, 341 US 494 (1951), la Cour suprême des États-Unis a statué que « la valeur sociétale de la parole doit, à l’occasion, être subordonnée à d’autres valeurs et considérations » [para. 41]. Dans l’affaire Brandenburg c. Ohio, 395 US 444 (1969), la Cour suprême des États-Unis a statué que l’État ne peut punir le plaidoyer pour un comportement illicite que si un tel plaidoyer a l’intention d’inciter et est susceptible d’inciter à « un acte illégal imminent ». Enfin, la Cour suprême a rappelé que dans le contexte pos-11 septembre 2011, le Procureur général américain Ashcroft avait critiqué ceux qui remettaient en question l’effritement des droits fondamentaux sous l’effet de la guerre contre le terrorisme. Il a dit spécifiquement : « à ceux… qui effraient les pacifistes avec des fantômes de liberté perdue, mon message est le suivant : vos tactiques ne font qu’aider les terroristes, car elles érodent notre unité nationale et diminuent notre détermination. Ils donnent des munitions aux ennemis de l’Amérique… » [para. 44]. La Cour a rappelé que dans l’affaire récente Modern Dental College & Research Centre c. Etat de Madhya Pradesh, (2016) 7 SCC 353, elle a conclu qu’aucun droit constitutionnel ne peut être considéré comme absolu et pourrait ainsi être restreint compte tenu de l’interdépendance de tous les droits. Dans cet arrêt, la Cour a également estimé que lorsqu’il existe des tensions entre les droits fondamentaux, ils doivent être équilibrés les uns par rapport aux autres afin « qu’ils coexistent harmonieusement les uns avec les autres » [para. 55].
Tout comme le premier amendement américain, la Constitution indienne autorise le gouvernement à restreindre la liberté d’expression, mais ces restrictions doivent être proportionnelles. La Cour a souligné que la norme de proportionnalité était essentielle pour garantir qu’un droit ne soit pas limité au-delà de ce qui est nécessaire. Cela dit, la Cour a fait preuve de prudence en ce qui concerne l’équilibre entre la sécurité nationale et la liberté et a rejeté l’idée qu’il devrait être interdit à un gouvernement de préserver un intérêt public au détriment des droits fondamentaux. Dans cette optique, la Cour a défini la proportionnalité comme la question de savoir si « en réglementant l’exercice des droits fondamentaux, le législateur ou l’administrateur a fait le choix approprié ou le moins restrictif des mesures de façon à réaliser l’objet de la loi ou l’objet de l’ordonnance administrative, selon le cas » [para. 53]. La Cour a ensuite procédé à un examen comparatif approfondi des critères de proportionnalité utilisés par les tribunaux indiens, allemands et canadiens. Elle a constaté que s’il y avait accord sur le fait que la proportionnalité était l’outil clé pour parvenir à un équilibre judiciaire lors du règlement des questions de restrictions aux droits fondamentaux, il n’y avait pas de consensus sur le fait que la proportionnalité et l’équilibre étaient équivalents. La Cour a ensuite exposé sa compréhension du critère de proportionnalité :
La Cour a ajouté que « le degré et la portée de la restriction, tant sur le plan territorial que temporel, doivent être en rapport avec ce qui est réellement nécessaire pour lutter contre une situation d’urgence… La notion de proportionnalité exige qu’une restriction soit adaptée en fonction de l’étendue territoriale de la restriction, le niveau de l’urgence et sa nature, la durée de la mesure restrictive et la nature de la restriction » [para. 71].
Après avoir exposé les principes de proportionnalité, la Cour s’est penchée sur l’évaluation de la restriction imposée à la liberté d’expression en ligne. Elle a rejeté catégoriquement la justification présentée par l’État pour l’interdiction totale d’Internet par le fait qu’il ne disposait pas de la technologie nécessaire pour bloquer de manière sélective les services Internet, car l’acceptation d’une telle logique aurait permis à l’État d’interdire à chaque fois la totalité de l’accès aux services Internet. Cependant, la Cour a concédé que le gouvernement avait raison d’affirmer « qu’Internet pouvait être utilisé pour propager le terrorisme et remettre ainsi en cause la souveraineté et l’intégrité de l’Inde et qu’elle devait donc déterminer dans quelle mesure la restriction a nui à la liberté d’expression » [para. 76].
La Cour a souligné qu’elle devait tenir compte à la fois d’éléments de procédure et de fond pour déterminer la légalité constitutionnelle de la fermeture d’Internet. Le mécanisme procédural comporte deux composantes. Premièrement, il y a la composante contractuelle entre les fournisseurs de services Internet et le gouvernement. Deuxièmement, il y a l’élément législatif consacré par la Loi de 2000 sur la technologie de l’information, le Code de procédure pénale de 1973 et la Loi sur le télégraphe. Dans son analyse, la Cour s’est largement concentrée sur cette dernière, car elle s’appliquait directement au cas d’espèce.
Les règles de suspension prévues par l’article 7 de la loi sur le télégraphe ont été adoptées en 2017 et ont permis au gouvernement de restreindre les services de télécommunications, y compris l’accès à Internet, sous réserve de certaines garanties. Premièrement, les ordonnances de suspension ne peuvent être émises que par le secrétaire du gouvernement de l’Inde auprès du ministère de l’Intérieur ou par le secrétaire du gouvernement de l’État chargé de l’intérieur. En cas de circonstances inévitables, un autre fonctionnaire occupant au moins le poste de vice- secrétaire du gouvernement de l’Inde, peut émettre de telles ordonnances à condition que l’autorité compétente les approuve dans les 24 heures suivant leur émission. Sans approbation, la suspension doit être retirée dans les 24 heures. Les ordonnances doivent inclure les motifs de la suspension et une copie doit être envoyée à un comité de révision composé de hauts fonctionnaires de l’État. Les motifs ne doivent pas seulement expliquer la nécessité de la suspension, mais aussi la circonstance « inévitable » qui a nécessité l’ordonnance.
De plus, l’article 5 (2) de la Loi sur le télégraphe n’autorise les ordonnances de suspension qu’en cas d’urgence publique ou dans l’intérêt de la sécurité publique. La Cour a donc conclu que pour rendre une ordonnance de suspension, le gouvernement devait d’abord déterminer qu’il existait une urgence publique et non une urgence d’un autre type. « Bien que l’expression « urgence publique » ne soit pas définie par la Loi sur le télégraphe, il a été précisé que le sens de l’expression peut être déduit de son utilisation conjointement avec l’expression « dans l’intérêt de la sécurité publique » qui la suit » [para. 92].
La Cour suprême a noté que la définition d’une urgence varie. Par exemple, « L’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, traite d’un « cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé par un acte officiel… ». Une terminologie comparable a également été utilisée dans l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme qui parle de « cas de guerre ou […] autre danger public menaçant la vie de la nation ». Nous ne pouvons que constater que « l’urgence publique » doit être de nature grave et doit être déterminée au cas par cas » [para. 93].
Bien que les règles de suspension ne prévoient pas la publication ou la notification des ordonnances, la Cour a noté que la mise à la disposition du public d’une ordonnance gouvernementale est un principe établi de droit relève de la justice naturelle, en particulier si une ordonnance affecte la vie, la liberté et le droit de propriété des personnes. La Cour a rappelé que l’article 226 de la Constitution accorde à une personne lésée le droit constitutionnel de contester les ordonnances de suspension.
L’estimant nécessaire, la Cour a réitéré une fois de plus que « la suspension complète et généralisée des services de télécommunications, qu’il s’agisse d’Internet ou autre, étant une mesure drastique, ne doit être envisagée par l’État que si elle est « nécessaire » et « inévitable ». Pour ce faire, l’État doit envisager un autre recours moins intrusif » [para. 99].
La Cour a noté que les règles de suspension n’indiquent pas de durée maximale. Néanmoins, considérant le principe de proportionnalité, la Cour a estimé que la suspension pour une durée indéterminée est inadmissible. En l’absence de précisions législatives, la Cour a conclu qu’il incombait au comité de révision d’en déterminer la durée et de veiller à ce qu’elle ne dépasse pas la période jugée nécessaire.
L’État a soumis huit ordonnances à la Cour. Quatre ont été adoptés par l’Inspecteur général de la Police et les quatre autres par le gouvernement du Jammu-et-Cachemire. Le Solliciteur général a expliqué que les autorités avaient assoupli certaines restrictions, mais évaluaient continuellement la situation sur le terrain. La Cour a admis que le danger pour la sécurité publique ne pouvait être ignoré, mais a noté que toute nouvelle restriction devrait être imposée sur la base d’une nouvelle ordonnance. Puisque la Cour n’a pu examiner toutes les ordonnances et ainsi déterminer lesquelles n’étaient plus en vigueur et n’a pu apprécier la situation de l’ordre public, elle « a façonné la réparation dans le dispositif » [para. 102].
Les requérants faisaient valoir que pour justifier les restrictions prévues à l’article 144 du Code de procédure pénale, l’État devait prouver qu’il y avait une action susceptible de créer une obstruction, une gêne ou une blessure à une personne ou encore qu’il y avait perturbation de la tranquillité publique, et que le gouvernement n’aurait pas pu adopter de telles ordonnances en prévision ou sur la base d’une simple appréhension [ para. 103]. L’État faisait valoir que « l’histoire mouvementée, les documents accablants disponibles dans le domaine public sur l’agression extérieure, les activités sécessionnistes néfastes et les déclarations provocantes faites par les dirigeants politiques ont créé une situation impérieuse qui a exigé l’adoption d’ordonnances en vertu de l’article 144 » [para. 104].
La Cour a noté que l’article 144 est l’un des mécanismes qui permettent à l’État de maintenir la paix publique et qu’il pourrait être invoqué dans des cas urgents de nuisance ou de danger perçu. Ainsi, il permet à l’État de prendre des mesures préventives pour faire face aux menaces imminentes à la paix publique. L’article contient plusieurs garanties pour empêcher les abus, y compris une évaluation par un magistrat des motifs suffisants justifiant les restrictions, l’identification des personnes affectées et la détermination de la durée de la restriction.
La jurisprudence a établi que les restrictions en vertu de l’article 144 ne peuvent pas être imposées simplement parce qu’il y a une probabilité ou une tendance au danger, mais uniquement pour empêcher immédiatement des actes spécifiques pouvant entraîner un danger. La restriction pourrait être imposée à une zone entière si elle contient des groupes de personnes perturbant l’ordre public. Les restrictions à durée indéterminée en vertu de l’article 144 sont inconstitutionnelles. Les ordonnances prononcées en vertu de l’article 144 sont des ordonnances soumises à un contrôle judiciaire en vertu de l’article 226 de la Constitution. L’État ne peut pas imposer des ordonnances répétitives, ce qui constituerait un abus de pouvoir.
Les requérants ont également soutenu que le maintien de la « loi et de l’ordre » justifierait un ensemble de restrictions plus restreint que « l’ordre public » en vertu de l’article 144. La Cour suprême a convenu que les notions d’« ordre public » et de « loi et ordre » différaient, cette dernière étant la plus large. La Cour a décrit les différences comme des cercles concentriques, la « loi et l’ordre » représentant le plus grand cercle « à l’intérieur duquel se trouve le cercle représentant l’ordre public et le plus petit cercle représentant la sécurité de l’État » [para. 120]. Permettre l’imposition de restrictions pour protéger la loi et l’ordre élargirait ainsi le pouvoir du gouvernement d’imposer des restrictions. De plus, tous les troubles à l’ordre public ne mettent pas nécessairement en péril l’ordre public.
La Cour a toutefois reconnu qu’il peut arriver qu’il soit impossible de distinguer les individus susceptibles de troubler l’ordre public de ceux qui ne constituent pas une menace. Une ordonnance générale serait alors justifiée, mais si l’action est trop générale, l’ordonnance peut être remise en question par des recours appropriés prévus dans la loi » [para. 124].
Néanmoins, la Cour a noté que « les ordonnances adoptées en vertu de l’article 144 du Code de procédure pénale ont des conséquences directes sur les droits fondamentaux du public en général. Un tel pouvoir, s’il est utilisé de manière désinvolte et irresponsable, entraînerait une illégalité grave » [para. 129]. Ainsi, il est impératif d’indiquer les faits matériels nécessitant l’adoption de telles ordonnances. La Cour a reconnu que l’État est le mieux placé pour évaluer les menaces à l’ordre public, mais il devait présenter les faits matériels pour justifier une ordonnance en vertu de l’article 144 afin de permettre un contrôle judiciaire et la vérification de la légitimité de l’ordonnance. Un élément clé est la perception de l’imminence de la menace et la question de savoir si le recours à l’article 144 est la solution appropriée pour prévenir les risques. Les magistrats doivent établir un équilibre entre le droit et la restriction et le droit et le devoir et la restriction, et toute restriction doit être proportionnée, c’est-à-dire « ne jamais être excessive ni par sa nature ni dans le temps » [para. 39]. De plus, « les ordonnances adoptées machinalement ou de façon cryptique ne peuvent être considérées comme des ordonnances adoptées conformément à la loi » [para. 134].
Bien que les restrictions aient pu être levées, la Cour a déclaré qu’elle ne pouvait ignorer le non-respect de la loi dans cette affaire, car la question en litige ne concerne pas seulement ce qui s’est passé au Jammu-et-Cachemire, mais aussi l’imposition d’un contrôle à l’État. La Cour a réitéré qu’un gouvernement doit respecter la loi s’il estime qu’il existe une menace pour l’ordre public.
Ainsi, la Cour a conclu que le pouvoir conféré par l’article 144 pouvait être exercé « non seulement lorsqu’il existe un danger présent, mais aussi lorsqu’il existe une crainte de danger. Toutefois, le danger envisagé doit être de nature « urgente » et destinée à empêcher toute entrave, gêne ou blessure à toute personne légalement employée [para. 140]. Ce pouvoir ne peut être utilisé pour réprimer une expression légitime et ne devrait être utilisé qu’en présence de faits matériels justifiant son application.
La Cour a rejeté les arguments des requérants selon lesquels les restrictions de circulation et de communication imposées au Jammu-et-Cachemire restreignaient directement la liberté de la presse et la capacité des journalistes de faire leur travail. La Cour a tout d’abord souligné l’importance de la liberté de la presse. Elle a rappelé que la liberté de la presse a été reconnue en Inde depuis 1914. Dans l’affaire Channing Arnold c. The Emperor, (1914) 16 Bom LR 544, le Conseil privé a déclaré que : « La liberté du journaliste est une partie ordinaire de la liberté de tout sujet et toutes les libertés permises au sujet, le sont aussi au journaliste, mais en dehors des textes législatifs, son privilège n’est ni différent ni supérieur. La portée de ses affirmations, de ses critiques ou de ses commentaires est aussi large que celle de tout autre sujet » [para. 142]. Il n’y avait donc aucun doute sur le fait que la liberté de la presse constitue un droit précieux et sacré protégé par la Constitution indienne.
La Cour a interprété la prétention des requérants comme signifiant que les restrictions imposées n’avaient pas nécessairement un effet direct, mais plutôt indirect et dissuasif sur leur liberté d’expression. Cependant, la Cour a estimé que les requérants n’avaient pas apporté la preuve que les restrictions limitaient la publication de journaux au Jammu-et-Cachemire ni contesté l’argument de l’État selon lequel les journaux étaient publiés et distribués pendant la durée des restrictions : « Au vu de ces faits, et considérant que le requérant susmentionné a maintenant repris la publication, nous ne jugeons pas opportun de nous attarder davantage sur la question, si ce n’est pour affirmer que les gouvernements responsables sont tenus de respecter la liberté de la presse à tout moment. Il faut apporter des réponses aux journalistes quand ils font leur travail et rien ne justifie de laisser une épée de Damoclès planer indéfiniment sur la presse » [para. 151].
Conclusions
Sur la base de ce qui précède, la Cour a conclu que :
1.La liberté d’expression et la liberté d’exercer n’importe quelle profession en ligne sont protégées par la Constitution de l’Inde.
2.Bien que le gouvernement puisse suspendre l’accès à l’Internet, il devait en prouver la nécessité et imposer une limite temporelle, ce qu’il n’a pas fait dans ce cas. Ainsi, le gouvernement doit revoir ses ordonnances de suspension et lever celles qui n’étaient pas nécessaires ou qui n’avaient pas de limite temporelle.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
Although the Court did not go as far as to lift the restriction on internet and movement, its judgment still expanded freedom of expression by reiterating that internet access was integral to freedom of expression and could not be restricted indefinitely even in the name of national security. The Court thoroughly outlined the principles and tests to strike a balance between fundamental rights and national security. Just as importantly, the Court stressed that orders that impact fundamental rights such as freedom of expression cannot be passed arbitrarily and in secret, but must be available to the public and subject to judicial scrutiny.
The Internet Freedom Foundation (IFF) has listed a range of negative aspects of the ruling, namely that the “Court has allowed the State to get away with frustrating the fundamental right to judicial review by unjustifiably witholding orders,” those that have suffered losses under the shutdown have no recourse or remedy, and under specific circumstances, a complete prohibition of speech could be considered as “reasonable.” Of particular note, the Court rejected the argument that journalists’ freedom of the press had been curtailed. As IFF wrote, “[t]he direct and inevitable consequence of disabling telecom services and physically stopping journalists from entering certain areas is violation of press freedom and it cannot be characterized solely as a chilling effect.”
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
The decision was given by a three-judge bench of the Indian Supreme Court. Therefore, it establishes a binding precedent on all Courts within its jurisdiction, unless overruled by a larger bench of the Supreme Court.
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