Sécurité nationale, Liberté de la presse, Respect de la vie privée, protection des données et rétention, Surveillance
Manohar c. Union of India
Inde
En cours Élargit l'expression
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La Haute Cour de Gauteng Nord à Pretoria, en Afrique du Sud, a déclaré que l’interception massive de communications constituait une limitation injustifiable du droit à la vie privée et a jugé inconstitutionnels divers aspects de la législation régissant la surveillance. Un journaliste d’enquête avait porté plainte après avoir appris que ses communications avaient été interceptées. L’interception a été portée à sa connaissance lorsque des transcriptions de ses communications avaient été utilisées dans le cadre d’une procédure judiciaire n’ayant aucun rapport avec lui. La Cour a souligné l’exigence constitutionnelle de porter atteinte le moins possible au droit à la vie privée et a souligné la nécessité de protéger le droit des médias à la liberté d’expression en assurant la protection de la confidentialité des sources. Par conséquent, les demandes d’interception doivent préciser si le l’objet de l’interception est un journaliste ou un avocat et préciser que les personnes concernées doivent être avisées dans les 90 jours suivant l’expiration de l’ordonnance d’interception pour permettre la réparation de tout abus allégué. Suivant la décision de la Cour, le Parlement disposait de deux ans pour établir des normes sur le traitement des données personnelles, renforcer l’indépendance du juge désigné qui émet l’ordonnance d’interception et établir un mécanisme pour mettre en équilibre les droits de la personne concernée. La décision est en attente de confirmation par la Cour constitutionnelle.
En 2015, une affaire impliquant la décision d’abandonner des poursuites pour corruption contre le président sud-africain de l’époque, Jacob Zuma, a révélé par inadvertance que les communications d’un journaliste d’investigation, Sam Sole, et du procureur général, Billy Downer, avaient été interceptées en 2008. La découverte s’est faite lorsque l’avocat de Zuma a joint au dossier judiciaire des extraits de conversations interceptées de manière officielle entre Sole et Downer. Sole enquêtait sur la décision d’abandonner les charges contre Zuma – une décision extrêmement controversée en Afrique du Sud à l’époque. Sole est le directeur général du Centre AmaBhungane de journalisme d’investigation, un média d’enquête indépendant en Afrique du Sud qui vise à « développer le journalisme d’investigation pour promouvoir des médias libres et compétents et une démocratie ouverte, responsable et juste ». En plus de ses activités de journalisme, AmaBhungane milite pour l’accès à l’information et la liberté des médias.
L’interception des communications de Sole et Downer a été effectuée en vertu de la loi de 2002 sur la réglementation de l’interception des communications et la fourniture d’informations relatives aux communications (RICA). La RICA a été adoptée dans le but de protéger la confidentialité des communications, à l’exception des crimes graves ou des menaces à la sécurité nationale. Bien que la RICA prévoie une interdiction par défaut de l’interception de signaux ou du stockage de communications reconnaissant ainsi le droit à la vie privée et les abus potentiels à travers de telles pratiques, le législateur a « reconnu qu’il existait également des motifs honorables pour l’interception des communications » [para. 29].
La RICA reconnaît que le pouvoir d’intercepter les communications étant intrusif, il doit être accordé qu’aux forces de police et de sécurité et seulement après avoir demandé et obtenu l’autorisation d’intercepter les communications. La RICA exige qu’une demande d’interception soit évaluée par un « juge désigné » qui est un juge à la retraite, et « donc implicitement un juge expérimenté » choisi par le ministre de la Justice à sa discrétion [para. 32]. Le juge est tenu de présenter un rapport annuel au Parlement et est rémunéré pour ce travail. L’article 16 de la RICA régit la nature de la demande et les renseignements qui doivent y figurer, notamment les renseignements sur le demandeur, l’agent d’application de la loi qui exécutera l’interception, l’objet de l’interception, les motifs de la demande, si d’autres procédures d’enquête ont été utilisées et la période pour laquelle l’interception est demandée. La disposition exige également que le juge désigné soit convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction grave a été ou sera commise, que l’interception est nécessaire et que le but visé par l’interception sera atteint.
Le régime de surveillance de la RICA permet une surveillance en temps réel, mais permet également aux fonctionnaires d’obtenir l’historique des communications de la personne concernée. Les opérateurs téléphoniques en Afrique du Sud sont légalement tenus de stocker le contenu des communications pendant les périodes prescrites par le ministre de la Justice. Les informations obtenues par le biais de l’interception ne peuvent être transmises qu’aux personnes autorisées et la personne surveillée ne serait jamais avertie. L’interception de la communication d’une personne peut rester secrète indéfiniment. La RICA a également créé un bureau des centres d’interception chargé du stockage et de la gestion des données collectées par les opérateurs téléphoniques.
La preuve que les communications de Sole avaient été interceptées a permis à AmaBhungane et Sole de contester la constitutionnalité du RICA. Sole a expliqué que ses préoccupations étaient lié au fait qu’il ne savait pas qu’il avait été surveillé jusqu’à ce que l’avocat de Zuma ait rendu publics ces extraits et que, sans notification indiquant qu’il avait fait l’objet d’une interception, il lui était impossible d’agir pour faire valoir son droit à la vie privée. De plus, Sole n’a pas été en mesure de déterminer les motifs pour lesquels l’ordonnance d’interception avait été accordée et il ne savait pas ce qu’il était advenu du contenu de ses communications interceptées. Sole était particulièrement préoccupé par la confidentialité de ses sources en tant que journaliste, d’autant plus qu’une grande partie de son travail de journalisme d’enquête impliquait des conflits avec le gouvernement et que les communications interceptées pouvaient mettre en danger la confidentialité et la sécurité de ses sources.
En avril 2017, AmaBhungane et Sole ont déposé une requête auprès de la Haute Cour de Gauteng Nord à Pretoria pour que diverses dispositions de la RICA soient déclarées inconstitutionnelles. L’affaire a été intentée contre les ministres de la Justice, de la Sécurité de l’État, des Communications, de la Défense et des Vétérans militaires, de la Police, des Télécommunications et des Services postaux, ainsi que le Bureau de l’Inspecteur général du renseignement, le Bureau des centres d’interception, le Centre national des communications, le Comité permanent mixte (parlementaire) sur les renseignements et l’Agence de sécurité de l’État. Le mouvement Right2Know Campaign et Privacy International ont été admis comme amicus curiae devant la Cour.
Le juge Sutherland a rendu l’arrêt de la Cour. La question centrale à laquelle la Cour devait répondre était de savoir si les restrictions imposées au droit à la vie privée (protégé par l’article 14 de la Constitution), à la liberté d’expression des médias (protégé par l’article 16), à l’accès à la justice (protégé par l’article 34) et à un procès équitable (protégé par l’article 35) étaient légitimes. Le principal facteur sur lequel la Cour devait se pencher était celui relatif au fait que les dispositions de la RICA soient les moyens les moins intrusifs de porter atteinte à ces droits. La Cour a déterminé que la tension se situait entre « la vie privée et la sécurité des individus et de la société dans son ensemble » [para. 27].
Le Centre AmaBhungane a formulé un certain nombre de suggestions sur la manière d’améliorer le système de surveillance afin de mieux respecter les droits constitutionnels des individus et de renforcer les garanties prévues par la législation. Il a soutenu que l’ajout d’un préavis après la fin de l’interception permettrait au moins une action en dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée, ce qui est nécessaire puisque la nature d’un système de surveillance est toujours susceptible de donner lieu à des abus. Il a plaidé en faveur d’un système dans lequel l’indépendance du juge désigné serait renforcée par la sélection du candidat par la Commission du service judiciaire (comme pour les autres juges en Afrique du Sud) et que le rôle du juge désigné soit assisté par un « avocat public pour introduire un élément contradictoire dans le processus d’évaluation » [para. 40]. Le Centre AmaBhungane a également fait valoir que la période de stockage des données devrait être réduite de trois ans à une période maximale de six mois et que la législation devrait prévoir la manière dont ces données devraient être gérées et aborder la surveillance des fournisseurs de services qui traitent les données. Le Centre a fait valoir que la RICA avait des insuffisances sur la gestion et le stockage des données, sur l’accès à ces données, sur la possibilité que des copies soient faites, sur le partage des données avec d’autres agences gouvernementales et sur le tri et la destruction des données. En outre, le Centre AmaBhungane a soutenu que la RICA devrait permettre la protection du secret professionnel par l’ajout d’une limite particulière dans l’autorisation d’interception des communications des avocats et des journalistes et le recours à un intermédiaire pour filtrer les communications afin d’exclure ce qui serait couvert par le secret professionnel ou l’identification de la source confidentielle d’un journaliste d’enquête.
La Cour a résumé les quatre éléments de contestation de la constitutionnalité de la RICA: l’absence de notification à la personne concernée ; l’insuffisance quant aux garanties dans la sélection et le rôle du juge désigné; les insuffisances sur la tenue et la gestion des données collectées; et l’insuffisance quant à la protection particulière du secret professionnel et de la confidentialité des sources des journalistes d’enquête [para. 26]. Une contestation distincte a été formulée suivant laquelle il n’existait pas de loi régissant la collecte de données de surveillance en masse et que toute collecte de ce type était donc illégale. La Cour a exposé le test applicable à un examen de constitutionnalité d’une loi, soit une « violation du droit » et « l’examen du caractère de la violation et de sa motivation» [para. 36]. En l’espèce, il a été admis que l’article 14 de la Constitution avait été violé et la Cour a souligné que les droits à la liberté d’expression et des médias, au secret professionnel et à l’accès à la justice étaient en cause, de même que le droit à la vie privée. L’article 36 de la Constitution est une clause de limitation générale dans la Constitution et prévoit que « la limitation d’un droit garanti par la Constitution doit être raisonnable et justifiable dans une société ouverte et démocratique fondée sur la dignité humaine, l’égalité et la liberté, en tenant compte de tous les facteurs pertinents » [para. 37]. Un aspect essentiel de l’examen dans la présente affaire était de savoir si la limitation du droit constituait une « atteinte minimale compatible avec les besoins de l’exception ». La Cour s’est référée à l’arrêt Independent Newspapers (Pty) Ltd c. ministre des Renseignements In Re Masetla c. Le président de la république d’Afrique du Sud 2008 (5) SA 31 (CC) qui avait décrit les exigences minimales comme étant « bien adaptées et proportionnées à la fin qu’elles visent » [para. 37].
La Cour a expliqué que le modèle de la RICA reposait sur le principe de l’imputabilité par l’intermédiaire d’une autorité indépendante – un juge désigné – pour autoriser l’interception et sur un « édifice bureaucratique » qui exige que les fonctionnaires consignent leurs activités et rendent compte de leurs activités [para. 27]. En procédant à une évaluation qualitative de la RICA, la Cour a reconnu que « la valeur de la vie privée est privilégiée et qu’il est prévu que lorsque des exceptions au respect de la vie privée doivent être autorisées, un seuil élevé de justification est exigé » [para. 35]. Elle a noté que « l’intrusion dans le domaine privé n’est permise que dans la mesure où une revendication supérieure à cet égard peut être formulée pour des motifs de nécessité » [para. 35]. En ce qui concerne le modèle de garanties de la RICA, la Cour a noté que l’existence d’une autorité indépendante pour approuver les interceptions a assuré une distinction entre la personne qui souhaite l’interception et la personne qui l’approuve et a été conçue pour « prévenir, dans la mesure du possible, les abus du système » [para. 35]. Toutefois, la Cour a noté que l’efficacité du système d’approbation dans la RICA dépend fortement du rôle du juge désigné et a exprimé des préoccupations quant au « rôle du juge pour prévenir efficacement les abus qui se trouve limités par les motifs d’interception avancés, et les ramifications de ces motifs limitent à certains égards ce que le juge peut faire ; c’est-à-dire que le juge doit travailler dans le secret, et non dans le domaine judiciaire public typique » [para. 39].
La Cour a d’abord examiné l’argument selon lequel la RICA était inconstitutionnelle dans la mesure où elle ne prévoyait pas le droit d’être informé de la surveillance après l’interception des communications. L’alinéa 7 (a) de l’article 16 de la RICA interdit toute divulgation au sujet de l’interception. La Cour a reconnu que la notification avant la surveillance était « manifestement problématique », car elle irait à l’encontre de l’objectif de l’interception, et elle a expliqué que l’accent était mis sur « la notification après la surveillance » [para. 41]. En référence à l’affaire Klass c. Allemagne CEDH [1978] no. 5029/71, la Cour a souligné que même s’il y a lieu de surveiller, le système adopté doit contenir des « garanties adéquates et efficaces contre les abus » [para. 42]. La Cour a reconnu que sans notification post-surveillance, la personne dont les communications ont été interceptées se voit refuser la possibilité de s’adresser à la justice pour réparer les abus du système de surveillance. En l’espèce, le droit d’accès à la justice en vertu de l’article 34 de la Constitution est compromis et la Cour a statué qu’un avis de surveillance « est d’une importance cruciale pour garantir un droit en vertu de l’article 34 » [para. 44]. La Cour a noté que la question était donc de savoir si l’interdiction totale de la notification post-surveillance, et donc du « secret perpétuel », l’emporte sur les droits constitutionnels prévus à l’article 34, lu avec l’article 14 de la Constitution. La Cour a reconnu « qu’il n’existe évidemment aucun recours pour empêcher l’intrusion, mais qu’au moins des dommages constitutionnels, ex post facto, pour une intrusion abusive devraient être disponibles » [para. 19]. La Cour a fait référence au Canada, aux États-Unis et au Japon, qui exigent de notifier la personne concernée après l’interception de ses communications, sauf s’il y a des raisons (déterminées par une autorité indépendante) de ne pas le faire. La Cour a interprété la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, y compris l’affaire Klass, Weber & Saravia c. Allemagne [2008] 46 EHRR SE5 et Zakharov c. Russie [2016] 63 EHRR 17, comme affirmant « qu’un avis post-surveillance est un élément essentiel d’un modèle de surveillance conforme à l’article 8 de la Convention européenne » [para. 49].
La Cour a estimé que cette analyse de la jurisprudence comparative démontre que « l’opinion mondiale a adopté ce droit comme une facette d’un ordre social démocratique, sous réserve de mesures de sauvegarde contre la défaillance des objectifs mêmes de la surveillance légitime » [para. 51]. La Cour a noté qu’aucune preuve n’avait été fournie pour expliquer pourquoi l’Afrique du Sud devrait s’écarter de ce principe, et a jugé qu’en appliquant l’article 36 de la Constitution, l’examen de l’atteinte minimale signifiait que « le besoin de protection contre les abus par la responsabilisation devant un tribunal peut être réalisé de manière pratique, par une notification post-surveillance comme c’est le cas dans d’autres sociétés démocratiques » [para. 52]. Par conséquent, la Cour a jugé que la RICA était inconstitutionnelle dans la mesure où la loi ne prévoit pas de notification post-surveillance et a ordonné que la RICA, dans l’attente de l’adoption d’une législation pour remédier à ce défaut, devait être interprétée comme incluant l’obligation de notifier la personne concernée dans les 90 jours suivant l’expiration de l’ordonnance d’interception, à moins que le juge désigné n’approuve un report pouvant aller jusqu’à 180 jours. La Cour a précisé que si ces reports s’élèvent à une période de surveillance totale de trois ans, toute demande de nouveau report de la notification doit être présentée devant un panel de trois juges désignés.
En ce qui concerne l’argument selon lequel le rôle du juge désigné en vertu de la RICA était inconstitutionnel, la Cour a reconnu que le fait de restreindre les personnes éligibles à cette mission à des juges expérimentés est une « dimension cruciale de la crédibilité de ce qui est présenté aux citoyens comme la quintessence de l’indépendance, de l’impartialité, des connaissances juridiques et des compétences de prise de décision » [para. 57]. La Cour a reconnu que les détails figurant à l’article 16 RICA indiquaient que les rédacteurs des textes législatifs avaient cherché à élaborer un système comportant des garanties, mais elle a également reconnu que ce modèle présentait des insuffisances, dans la mesure où la nomination du juge désigné et la durée illimitée de son mandat compromettaient de facto l’indépendance du juge. La Cour a noté qu’il n’y avait pas eu de réfutation sérieuse de l’argument du Centre AmaBhungane selon lequel, étant donné que le juge désigné est nommé à la discrétion du ministre de la Justice, exerce ses fonctions en secret, a de facto un mandat à durée indéterminée, et que ses opérations contrastaient tellement avec la « fonction juridictionnelle habituelle ouverte et transparente et de la publication des ordonnances au grand public », l’indépendance du juge désigné était sérieusement compromise [para. 62-63]. La Cour a ordonné que dans, l’attente d’une modification complète par le Parlement, le ministre de la Justice continuerait à nommer le juge désigné, mais uniquement sur proposition du juge en chef et pour un mandat non renouvelable de deux ans.
En ce qui concerne l’argument selon lequel un avocat public devrait être nommé pour les audiences devant le juge désigné afin de donner effet au droit à un procès équitable en vertu de l’article 34 de la Constitution et pour permettre au juge d’examiner les positions des deux parties, la Cour a reconnu qu’il s’agissait d’une mesure moins restrictive pouvant être utilisée pour atteindre les objectifs de la RICA. La Cour a reconnu que le système actuel ne tenait pas compte du fait que le juge désigné prononce des ordonnances ex parte, mais n’a pas pour autant accepté que la présence d’un avocat public corresponde à une garantie suffisante.
La Cour a examiné l’argument selon lequel la RICA était inconstitutionnelle dans la mesure où il permettait une intrusion dans les communications passées en exigeant que tous les opérateurs téléphoniques conservent les données pendant une période de trois à cinq ans, tel que spécifié par le ministre. La Cour a expliqué que cela signifiait que « toutes les télécommunications personnelles d’une personne, effectuées jusqu’à trois ans auparavant, sont susceptibles d’être fouillées par l’État si ses fonctionnaires arrivent à convaincre un officier de justice d’autoriser l’accès » [para. 85]. La Cour a fait référence à un rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme daté du 30 juin 2014, dans lequel il se disait préoccupé par les « mesures de sauvegarde, de surveillance et de recours relativement faibles contre l’ingérence illégale dans le droit à la vie privée » de la RICA [para. 91]. La Cour a reconnu que les périodes prévues par la RICA différaient des autres juridictions : l’Australie a une période maximale de deux ans et d’autres juridictions permettent le stockage des données sur une période allant de six mois à un an. Toutefois, la Cour a conclu que cet aspect n’était pas incompatible avec la Constitution.
À l’inverse, la Cour a conclu que la gestion des données stockées était « en décalage avec les normes adoptées par d’autres juridictions démocratiques » [para. 107]. En référence à l’affaire Weber et Saravia c. Allemagne de la Cour européenne des droits de l’homme et à l’affaire Davis c. le Secrétaire d’État chargé des affaires intérieures du Royaume-Uni [2015] EWHC 2092 (17/07/2005), la Cour a souligné que la nature du stockage des données et les systèmes d’imputabilité doivent être explicitement définis dans la législation elle-même afin d’éviter les abus de pouvoir. La Cour a statué que le « régime de surveillance de la RICA est extrêmement léger » en ce sens qu’il n’y a pas de contrôle judiciaire des centres stockant les données, et que la RICA autorise une demande d’accès aux données stockées à tout juge (par opposition à l’exigence qu’une demande soit faite au juge désigné pour une surveillance en temps réel), ce qui représente non pas « une mesure de sauvegarde inefficace, mais plutôt une absence de mesure de sauvegarde » [para. 106].
La quatrième contestation était fondée sur le fait que la RICA n’abordait pas de manière adéquate le secret professionnel ou la nécessité de protéger la confidentialité des sources journalistiques. La Cour a reconnu que l’analyse à cet égard « a dépassé le point où il est admis, ne serait-ce qu’à contrecœur, que la protection de la vie privée peut être compromise pour un intérêt concurrent et soi-disant supérieur » [para. 112]. La Cour a souligné la distinction entre le rôle des avocats et celui des journalistes et a ainsi traité les deux questions séparément. La Cour a confirmé que l’obligation pour les avocats de ne pas révéler les communications entre eux et leurs clients est une notion galvaudée et constitue un privilège qui appartient au client et non à l’avocat. La présente affaire concernait la possibilité pour des tiers d’accéder à des communications privilégiées et les conséquences d’un tel accès. La Cour a noté que l’accès aux communications d’un client est une intrusion plus restreinte que l’accès aux communications d’un avocat, car ce dernier pourrait révéler par inadvertance des informations confidentielles sur d’autres clients. La Cour a jugé que la RICA n’avait pas répondu à cette préoccupation. Le Centre AmaBhungane avait suggéré le recours à un intermédiaire qui pourrait trier les communications interceptées et supprimer les informations non pertinentes ou autrement privilégiées. La Cour a reconnu qu’il n’existait aucun précédent international pour un tel système, mais a reconnu que « dans certaines circonstances, le recours à un intermédiaire serait non seulement utile, mais le seul moyen pratique d’éviter les divulgations indésirables » [para. 126]. La Cour a également souscrit à la suggestion du Centre AmaBhungane d’inclure une exigence explicite selon laquelle le statut de la personne concernée par l’interception en tant qu’avocat doit être divulgué dans la demande d’interception « étant donné la sensibilité des implications d’une ordonnance d’interception » [para. 127].
La Cour a reconnu le rôle important que jouent les journalistes d’enquête, décrivant leur travaille comme « une fouille des faits par le biais d’enquêtes, en grande partie auprès des lanceurs d’alerte et d’autres personnes qui dénoncent leurs collègues et leurs patrons » et a souligné la nécessité de protéger la confidentialité des sources [para. 129]. La Cour a noté que malgré la protection du droit à la liberté d’expression des médias dans la Constitution « il y a eu une réticence à prendre la prochaine mesure nécessaire pour reconnaître les journalistes comme une catégorie spéciale de personnes dont les méthodes de travail intrinsèques justifient une protection particulière, comme celle dont jouissent les avocats » [para. 130]. La Cour a déterminé que la question en l’espèce n’était pas tant d’obliger les journalistes à révéler leurs sources, mais plutôt la capacité des tiers à identifier ces sources en interceptant les communications du journaliste. La Cour a reconnu que l’article 16 de la Constitution ne protège pas expressément la confidentialité des sources, mais a noté que « si le résultat est si hautement valorisé, pourquoi devrions-nous être réticents à reconnaître le rôle essentiel des sources confidentielles dans la production de ce précieux résultat ? » [para. 131]. Elle a ajouté qu’il « est quelque peu farfelu de proclamer la presse comme un bastion de la démocratie et de choisir par la suite d’ignorer les réalités de la manière dont les informations sont collectées pour permettre à la presse de remplir ce rôle » [para. 131]. En l’espèce, la Cour s’est appuyée sur la mention expresse de la presse à l’article 16 pour démontrer la reconnaissance constitutionnelle de sa valeur et de son rôle. La Cour s’est référée à l’affaire Bosasa Operations (Pty Ltd) c. Basson 2013 (2) SA 570 (GSJ) et a statué qu’une interprétation large de l’article 16 pourrait garantir la protection des sources journalistiques contre les ingérences et qu’une telle approche donnerait effet à l’exigence voulant que le rôle des médias soit « favorisé et non pas dénigré » [para. 133]. La Cour a ajouté que le droit de ne pas voir divulguer ses sources journalistiques s’étend au droit de ne pas être espionné. La Cour a également fait référence à la Déclaration de la Commission africaine sur les principes de la liberté d’expression en Afrique, qui prévoit expressément que les médias ne devraient pas être tenus de révéler leurs sources, sauf dans des circonstances exceptionnelles.
La Cour a évoqué la corruption en Afrique du Sud et a noté que « dans un pays qui est aussi ravagé par la corruption dans ses institutions publiques et privées, et où la découverte des actes répréhensibles est en grande partie le travail des journalistes d’investigation dans un domaine apparemment vide, il est paradoxal de faire à la fois l’éloge de la presse et ignorer ses besoins particuliers pour être un soutien efficace au processus démocratique [para.131] ». Elle a ajouté que les journalistes d’enquête en Afrique du Sud ont attiré l’attention de personnes puissantes qui sont « capables de soudoyer l’appareil d’État pour traquer leurs adversaires », et que cela exacerbe les risques d’abus dans le système RICA actuel [para. 138]. En référant explicitement aux faits en l’espèce, la Cour a déclaré que le fait que l’État ait obtenu des instructions d’interception lui permettant d’espionner Sole et Downer démontre la vulnérabilité de la RICA (à savoir que les juges désignés peuvent être trompés). La Cour a estimé qu’une telle vulnérabilité pouvait être corrigée en obligeant le juge désigné à examiner la justification de l’instruction d’interception à l’encontre d’un journaliste.
La Cour a statué que la RICA était constitutionnellement déficiente parce que « la position particulière des journalistes n’est pas expressément prise en compte » et, comme pour les avocats, « espionner un journaliste reviendrait à enquêter sur les personnes avec lesquelles ce journaliste est en contact », ce qui ne peut pas être approprié [para. 136]. La Cour a rejeté l’argument selon lequel il n’existe pas de droit constitutionnel spécial pouvant être revendiqué par les journalistes en soulignant que l’article 16 de la Constitution se réfère expressément aux médias.
La cinquième et dernière contestation portait sur les interceptions de masse (« bulk interceptions ») que la Cour a définie, en référence à l’affaire Centrum For Rattvisa c. Suède [2019] 68 EHRR 2, comme l’interception de renseignements par des liaisons radio, des satellites et des câbles. La surveillance de masse a été décrite par le Centre AmaBhungane comme étant : « une méthode de surveillance stratégique des signaux transnationaux acceptée à l’échelle internationale, afin de les filtrer par certains mots ou phrases clés » pour protéger la sécurité nationale contre les menaces transnationales [para. 143]. La Cour a noté que les deux questions auxquelles il fallait répondre en ce qui concerne la surveillance de masse étaient de savoir s’il existait une loi autorisant la collecte, et si une telle loi était constitutionnelle. Il est généralement admis que la RICA n’autorise pas l’interception de masse, mais l’État faisait valoir que la Loi de 1994 sur les renseignements nationaux stratégiques (NSIA) l’autorisait en vertu de son article 2 qui permettrait aux services de sécurité et de police de « collecter, corréler, évaluer et analyser les renseignements nationaux et étrangers ». Cependant, la Cour a jugé que la NSIA n’autorise pas les interceptions sauf dans le cadre de vérifications en vue d’accorder des habilitations individuelles de sécurité, mais que cela ne concerne que les interceptions ciblées et non les interceptions de masse, ce qui nécessiterait l’application de la RICA. Par conséquent, la Cour a jugé que la NSIA ne pouvait pas être interprétée comme autorisant les interceptions de masse. La Cour a pris note de l’affirmation du directeur général des renseignements selon laquelle les interceptions de masse constituent une pratique courante dans le monde entier, en tant que « fait notoire », mais a souligné qu’en l’absence d’une loi sud-africaine autorisant de telles interceptions, elles ne peuvent être autorisées.
En conclusion, la Cour a jugé que la RICA était inconstitutionnelle dans la mesure où elle ne permettait pas la notification post-surveillance, que le système actuel de nomination du juge désigné n’assurait pas son indépendance, et qu’elle n’exigeait pas que le demandeur d’autorisation informe le juge que la personne visée était avocat ou journaliste. Toutefois, la période de conservation des données n’a pas été jugée incompatible avec la Constitution. La Cour a reconnu que le système actuel posait un problème puisqu’il ne permettait que des ordonnances ex parte, mais a rejeté l’argument selon lequel l’inclusion d’un avocat public dans les procédures réglerait cette question.
Le Centre AmaBhungane s’est adressé à la Cour constitutionnelle pour demander la confirmation des déclarations d’inconstitutionnalité.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
La Haute Cour de Gauteng Nord a confirmé que l’interception de communications sans notification post-surveillance constituait une violation injustifiable du droit à la vie privée. La Cour a fait des déclarations particulièrement fermes en faveur du droit des médias et de la liberté d’expression, estimant que même si la Constitution ne protégeait pas expressément la confidentialité des sources journalistiques, l’inclusion expresse des médias dans le droit constitutionnel à l’expression signifiait que le droit devait être interprété d’une manière qui donne véritablement effet aux droits des médias.
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