Tusalp c. Turquie

Affaire Résolue élargit l'expression

Key Details

  • Mode D'expression
    Presse / Journaux
  • Date de la Décision
    mai 25, 2012
  • Résultat
    Dommages pécuniaires / Amendes, CEDH, Violation de l'article 10
  • Numéro de Cas
    App. Nos. 32131/08 & 41617/08
  • Région et Pays
    Turquie, Europe et asie centrale
  • Organe Judiciaire
    Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH)
  • Type de Loi
    Droit international/régional des droits de l'homme, Droit Civil
  • thèmes
    Diffamation / Réputation, Expression politique
  • Mots-Cles
    Diffamation civile, Journalisme

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Analyse de Cas

Résumé du Cas et Résultat

La Cour européenne des droits de l’homme a statué en faveur du journaliste et chroniqueur turc Erbil Tusalp, estimant que sa condamnation pour la publication d’articles critiques à l’égard du Premier ministre de l’époque, Recep Tayyip Erdogan, constituait une violation de sa liberté d’expression. Tusalp avait été reconnu coupable d’avoir porté atteinte aux droits de la personne d’Erdogan en relation avec deux articles publiés dans le journal de Birgün qui soutenaient qu’Erdogan avait menti sur l’ordre public, s’était livré à la corruption et présentait des troubles psychologiques. La Cour européenne a jugé que les jugements civils étaient en violation de l’article 10 au motif que les remarques de Tusalp, bien qu’offensantes ou inélégantes, étaient des jugements de valeur fondés sur des faits ou des événements particuliers. La Cour a toutefois souligné que les propos offensants peuvent « échapper à la protection de la liberté d’expression s’ils constituent un dénigrement injustifié, par exemple lorsque la seule intention de la déclaration offensante est d’insulter ». Dans ce cas, la Cour a conclu que les remarques contenues dans les articles n’étaient pas de simples attaques personnelles contre le Premier ministre, mais qu’il s’agissait bien d’opinions sur des sujets d’intérêt public.


Les Faits

Le 24 décembre 2005, le journaliste et éditorialiste Erbil Tusalp a rédigé un article intitulé “Stabilité,” pour le quotidien turc Birgün dans lequel il a critiqué le premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Il a dit dans cet article : “ Que cela vous plaise ou non, la stabilité continue.

Chaque mot qu’il prononce choque même s’il est rejeté et corrigé.” Il a ensuite accusé Erdogan de mentir sur les affaires internes, “du revenu national à l’inflation dans le budget.” Il a aussi dit que le premier ministre a accordé une amnistie pour ses amis accusés de corruption.

Le 6 mai 2006, le journal Birgün a publié un autre article de Tusalp dans lequel il affirmait qu’Erdogan souffrait de problèmes psychologiques avec une attitude hostile envers les universitaires, les journalistes et les partis d’opposition. “Eu égard au fait qu’il diffame les oiseaux dans le ciel et les loups dans les montagnes, il répond aux critiques par des jurons, pour lui les professeurs universitaires sont immoraux, le parti d’opposition est chétif, les journalistes effrontés… » avait écrit Tuslap.

En 2006, Erdogan a porté deux plaintes en civil contre Tusalp et la maison d’édition devant le tribunal de première instance d’Ankara aux motifs que les articles constituaient des attaques contre sa personne. Le tribunal a statué en faveur d’Edogan et a ordonné aux défendeurs de payer des dommages-intérêts d’une valeur de 5,000 TRL plus les intérêts pour chacun des articles publiés. Le tribunal a jugé que les articles sont allés au-delà de la limite acceptable de la critique des responsables publics en s’attaquant aux droits des individus.

En 2008, La Cour de cassation a rejeté la requête de Tusalp pour la révision des deux jugements.

Tusalp a donc présenté deux requêtes séparées auprès de la Cour européennes des droits de l’homme arguant que les jugements en civil constituaient une ingérence injustifiées dans son droit à la liberté d’expression aux termes de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.


Aperçu des Décisions

Tusalp a affirmé que ses articles visaient à critiquer Erdogan en sa qualité officielle de premier ministre qui doit être plus tolérant envers de telles critiques plutôt que d’engager des poursuites en civil en guise de pression sur la fonction journalistique.

D’un autre côté, le gouvernement a soutenu que l’ingérence avec le droit de Tusalp à la liberté d’expression était faite dans la poursuite d’un but légitime, celui de protéger la réputation et les droits reconnus aussi en vertu du même article 10 de la Convention. Il a également maintenu que les remarques portées dans les articles dépassaient les limites acceptables de la critique. Le gouvernement truc s’est spécifiquement référé à la jurisprudence de la Cour dont les affaires Brasilier c. France, requête n° 71343/01 (2006) et Vides Aizsardzības Klubs c. Lettonie, requête n° 57829/00 (2004), réitérant la notion selon laquelle la protection de la réputation s’étend aussi aux politiciens. [para. 34]

La première question à laquelle la Cour devait répondre concernait l’ingérence et si elle était prévue par la loi. La Cour a statué que les poursuites civiles contre Tusalp étaient engagées en vertu de l’article 49 du code des obligations turc.

La deuxième question cherchait à savoir si l’ingérence poursuivait un but légitime et reconnu en vertu de l’article 10 de la Convention. La Cour a jugé que les actions entreprises contre Tusalp poursuivaient un objectif légitime consistant en la protection de la réputation ou des droits d’autrui au sens de l’article 10(2).

Enfin, la Cour a évalué si l’ingérence était “nécessaire dans une société démocratique” ce qui nécessitait de déterminer si l’action faisant l’objet de la plainte correspondait à un « besoin social pressant ” [para. 41], et plus précisément “si les raisons avancées par les autorités nationales pour justifier l’ingérence étaient ‘pertinentes et suffisantes’ et si les mesures prises étaient ‘proportionnelles aux buts légitimes poursuivis ” [para 42] (citant Chauvy et al. c. France, requête n° 64915/01 (2004). Dans le cas présent, la Cour a maintenu sa position par rapport à la presse en notant que même si la presse est tenue de ne pas dépasser ses limites et notamment en ce qui concerne la réputation d’autrui, sa mission consiste à diffuser l’information et les idées et que “la liberté journalistique couvrait aussi l’éventuel recours à un certain degré d’exagération ou même à la provocation.” [para. 44]

En appliquant cela aux articles de Tusalp, la Cour a d’abord conclu que les remarques exprimées contre le premier ministre pouvaient être considérées insultantes ou manquant d’élégance mais elles étaient suffisamment factuelles parce qu’elles étaient “en grande partie des jugements de valeur fondés sur des faits particuliers, des évènements ou des incidents déjà connus par le grand public.” [para. 47] Deuxièmement, la Cour a souligné que l’article 10 de la Convention ne s’appliquait pas seulement aux formes d’expression favorables mais également « à celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ; ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». [para. 48] Toutefois, l’expression outrageante n’est pas protégée par la Convention “ si elle équivaut à un dénigrement gratuit et lorsque le seul objectif de la déclaration outrageante est d’insulter.” [para. 48] A ce niveau, la Cour a trouvé que les critiques acerbes de Tusalp portaient sur l’état actuel des choses dont la corruption dans le gouvernement et son intolérance par rapport à des points de vue opposés et n’étaient pas de simples attaques personnelles contre Erdogan. Elle en a conclu que les tribunaux nationaux de la Turquie avaient dépassé la marge d’appréciation qui leur était réservées et les jugements prononcés étaient disproportionnés par rapport au but légitime de protection de la réputation personnelle du premier ministre.

Partant, la Cour a déclaré que la Turquie avait violé l’article 10 de la Convention.


Direction De La Décision

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La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.

élargit l'expression

Perspective Globale

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La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.

Tableau Des Autorités

Lois internationale et/ou régionale connexe

Normes, droit ou jurisprudence nationales

  • Turk., Turkish Code of Obligations, Law No. 6098 (2011)

    Article 49

Importance du Cas

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L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.

La décision établit un précédent contraignant ou persuasif dans sa juridiction.

La décision a été citée dans:

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