Affaire de la suspension des communications et coupure d’Internet pendant la révolution égyptienne de 2011

Affaire Résolue Expression contractuelle

Key Details

  • Mode D'expression
    Communication électronique / basée sur l'internet
  • Date de la Décision
    mars 24, 2018
  • Résultat
    Jugement en faveur du défendeur, Acquittal, Annulation d'une juridiction inférieure
  • Numéro de Cas
    37702/57, 37759/57, 38259/57 & 38400/57
  • Région et Pays
    Égypte, Moyen-Orient et Afrique du Nord
  • Organe Judiciaire
    Cour suprême administrative
  • Type de Loi
    Droit des télécommunications, Droit administratif, Droit Constitutionnel
  • thèmes
    Expression politique, Fermeture d'internet, Sécurité Nationale
  • Mots-Cles
    Suspension de la télécommunication, Droit d'accès à Internet, Printemps Arabe, Filtrage et blocage

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Analyse de Cas

Résumé du Cas et Résultat

La Cour administrative suprême égyptienne a annulé la décision du tribunal administratif de première instance qui avait infligé une amende de 540 millions de livres égyptiennes à l’ancien président Moubarak, à son premier ministre et à son ministre de l’intérieur pour avoir imposé une suspension complète des services mobiles le 28 janvier 2011 et une coupure générale des services Internet le même jour et jusqu’au 2 février. La Cour a statué que l’ordre de fermeture était conforme à la loi et avait pour fondement légitime le maintien de la sécurité nationale et de l’intégrité territoriale. L’affaire a été intentée contre l’ancien président Mohamed Hosni Moubarak, l’ancien premier ministre Ahmed Nazif, l’ancien ministre de l’intérieur Habib Al-Adly et d’autres personnes pour avoir ordonné aux opérateurs de télécommunications de couper l’ensemble des services mobiles et de l’accès à Internet, sans préavis, en violation de la Constitution et de la loi.


Les Faits

Sous le régime de Moubarak, l’Égypte a vécu une ère de corruption politique, de violations des droits de l’homme et d’injustice sociale. La police a imposé un état de surveillance et de répression dans tout le pays pour faire taire les voix opposées au régime et les prisons étaient remplies de détenus politiques. La désinformation médiatique était répandue et le régime a eu un contrôle total sur le parlement pendant des années. Même les nombreuses décisions judiciaires liées à la manipulation des élections n’ont pas réussi à empêcher la fraude lors des élections législatives de 2010, ce qui a porté atteinte au principe de l’État de droit et à l’autorité du pouvoir judiciaire.

Ainsi, à la lumière de ces circonstances, les Égyptiens ont trouvé que la situation devenait insupportable et ont décidé de briser le silence en lançant, via les médias sociaux, un appel à manifester de manière pacifique et civilisée le 25 janvier 2011 (Journée nationale de la police) sur la place Tahrir et dans d’autres gouvernorats pour exprimer leurs aspirations au changement, à la liberté, à la démocratie et à la justice sociale, chose qui a étonné le monde entier. Les manifestations se sont poursuivies du 25 janvier 2011 au 11 février 2011, date à laquelle Moubarak a démissionné de son poste de président, laissant le Conseil suprême des forces armées aux commandes.

Le vendredi 28 janvier 2011, l’un des jours marquants de la révolution, également connu sous le nom de «Jour de la colère », les Égyptiens ont connu une coupure complète, sans préavis, de tous les services mobiles, y compris l’accès à Internet, par les trois opérateurs de télécommunications, à savoir Vodafone, Mobinil et Etisalat dans le but de limiter l’ampleur des manifestations. Ce jour-là, les manifestants ont été accueillis par une violence sans précédent de la part de la police, des centaines de morts et des milliers de citoyens ont été blessés à cause des violences policières mais finalement, la police s’est retirée devant la persistance du public et les forces armées ont été appelées dans la rue.

La suspension des services mobiles a duré une journée, mais la coupure d’Internet s’est prolongée jusqu’au 2 février. Par la suite, les entreprises de télécommunications ont expliqué que la coupure soudaine avait été entreprise conformément aux ordres des autorités compétentes en vertu des contrats entre les entreprises et le gouvernement, qui donnent droit à ce dernier à émettre de tels ordres en cas de menaces pour la sécurité nationale.

La plainte a été déposée par Mohamed Abd Elal (avocat), Manal Tiby (directrice du Centre égyptien pour le droit au logement), Alaa Mamdouh et Mohamed Al-Etr contre l’ancien président Mohamed Hosni Moubarak, l’ancien premier ministre, Ahmed Nazif, l’ancien ministre de l’intérieur, Habib Al-Adly, l’ancien ministre des communications et des technologies de l’information et chef de l’Autorité nationale des communications, Tarek Kamel, les dirigeants des trois sociétés de télécommunications et d’autres.

Les requérants ont affirmé que la fermeture violait indûment leurs droits constitutionnels, leur causant de graves dommages physiques et moraux. Ils ont souligné que les services mobiles sont devenus un moyen technologique clé pour faciliter la vie quotidienne des citoyens égyptiens, surtout si l’on considère que le nombre d’Égyptiens qui ont des téléphones portables a atteint près de soixante millions de personnes, et donc les téléphones mobiles ont un impact important sur les aspects économiques et sociaux de leur vie. En conséquence, et pour le préjudice subi par les citoyens égyptiens, certains des requérants ont exigé que les défendeurs versent une indemnité devant être affectée à la création d’une institution civile, qui serait gérée par les requérants, dans le but de développer l’éducation, la recherche scientifique et technologique en Égypte, tandis que d’autres ont exigé que les défendeurs versent une indemnisation au Trésor public.

Le tribunal de première instance a rejeté l’argument des défendeurs selon lequel le tribunal était incompétent et n’a infligé une amende qu’aux personnalités de l’ancien régime pour un total de 540 millions de livres égyptiennes, soit près de 90 millions de dollars américains, répartis comme suit : l’ancien président Moubarak (200 millions de livres égyptiennes), l’ancien ministre de l’intérieur, Al-Adly (300 millions de livres égyptiennes) et l’ancien premier ministre, Nazif (40 millions de livres égyptiennes). Dans sa décision, le tribunal a souligné le fait que « les services de télécommunication et d’internet sont étroitement liés à un ensemble de droits et libertés fondamentaux, tels que la liberté d’expression », le « droit de communiquer », le « droit à la vie privée », le « droit à l’accès à l’internet », le « droit de savoir », le droit connexe « à l’information » et les droits interdépendants : le « droit au développement » et le « droit à la vie ». Par conséquent, restreindre ces services en les supprimant, en les interdisant, en les empêchant ou en les limitant constitue une violation de ces droits et libertés qui porte atteinte à la légitimité de l’ordre de fermeture.

Le tribunal a noté, en outre, que bien que le gouvernement ait invoqué la sécurité nationale pour justifier l’ordre de fermeture, il a dissimulé le véritable motif de cet ordre, qui était la protection du régime, et non de l’État. Le tribunal a finalement statué que l’ordre de fermeture n’avait pas de base légale légitime, représentant un abus de pouvoir et un écart par rapport à l’intérêt public, et violait donc la Constitution et la loi, représentant une atteinte à la liberté d’expression, à la liberté de la presse, au droit à la communication, au droit à l’accès à Internet, au droit à la vie privée, au droit à la connaissance et à la circulation de l’information.

Les défendeurs ont fait appel de la décision devant la Cour administrative suprême.


Aperçu des Décisions

Sous la présidence du juge Ahmed Abdelaziz Ibrahim Aboelazm, chef du Conseil d’État égyptien, la Cour administrative suprême a rendu un arrêt per curiam.

La question centrale soumise à la Cour était de savoir si l’ordre du gouvernement de suspendre tous les services mobiles le 28 janvier 2011 et de couper l’accès à Internet dans tout le pays entre le même jour et le 2 février était légitime et conforme à la loi.

La Cour a rappelé que la responsabilité des organes administratifs est engagée lorsqu’une faute est commise par l’administration lors de l’adoption d’une décision administrative, entraînant un préjudice pour les tiers. Ainsi, un test de de trois critères cumulatifs de faute, de préjudice et de causalité doit être effectué pour que la Cour reconnaisse la responsabilité des autorités administratives.

La Cour s’est référée à l’article 67 de la loi égyptienne n° 10 de 2003 sur la réglementation des télécommunications comme base juridique sur laquelle le gouvernement égyptien s’est basé pour émettre l’ordre de suspension des services mobiles et de coupure d’Internet. L’article habilite les autorités compétentes à « soumettre à leur administration tous les services et réseaux de télécommunication de tout opérateur ou fournisseur de services et à mobiliser les employés d’exploitation et de maintenance de ces services et réseaux en cas de catastrophes naturelles ou environnementales ou pendant les périodes déclarées de mobilisation générale conformément aux dispositions de la loi n° 87 de 1960 ou dans tout autre cas concernant la sécurité nationale ».

La Cour n’a jamais rappelé ni fait référence, dans son raisonnement, aux articles pertinents de la Constitution égyptienne relatifs aux droits de l’homme. Néanmoins, elle s’est largement appuyée sur l’arrêt de la Cour de cassation égyptienne n° 655/85 dans l’affaire n° 1227/2011 dans laquelle la Cour de cassation a confirmé l’acquittement de Habib Al Adly, ancien ministre de l’intérieur, accusé d’avoir ordonné, en date du 28 janvier 2011, aux opérateurs de télécommunications de couper tous les moyens de communication. La Cour a souligné que l’arrêt de la Cour de cassation prouvait au-delà de tout doute raisonnable que la raison pour laquelle le régime de Moubarak avait décidé de suspendre tous les services mobiles et la coupure d’Internet avait un fondement matériel et juridique et était motivée à juste titre par le maintien de l’intérêt public et de la sécurité nationale.

La Cour a noté que l’arrêt de la Cour de cassation a souligné que la notion de sécurité nationale est définie comme « la capacité globale de l’État à protéger ses valeurs et ses intérêts contre les menaces internes et externes, ce qui signifie que la sécurité nationale a des dimensions politiques, économiques, sociales, militaires, idéologiques et géographiques, et que chaque dimension a ses propres caractéristiques. Ainsi, la légalité de la décision de couper les services mobiles et l’accès à Internet n’est réalisée que si l’une de ces dimensions est impliquée » , et que la Cour de cassation a pris en compte dans sa décision plusieurs témoignages de fonctionnaires qui ont confirmé que l’ordre de suspension et de fermeture était justifié et n’avait été imposé qu’en raison de menaces posées à la sécurité nationale et cherchait à prévenir les émeutes et les actes de sabotage coordonnés et à arrêter tout mouvement organisé. Les témoignages ont fourni différents exemples de ces menaces à la sécurité nationale, telles que « l’intrusion dans les prisons avec usage de la force et avec la participation d’éléments terroristes étrangers et de certains groupes bédouins actifs dans la criminalité, ainsi que les attaques contre des postes de police ». Ils ont également attesté qu’un certain nombre d’éléments étrangers étaient présents sur la place Tahrir parmi les manifestants et qu’un espion juif américain travaillant pour le Mossad y a été arrêté et a finalement été échangé contre 35 prisonniers égyptiens dans les prisons israéliennes. Cela s’ajoute à la contrebande d’armes à partir de la bande de Gaza vers l’Égypte dans le but de créer des troubles dans le pays ».

Par conséquent, la Cour de cassation a estimé que le critère d’aspect idéologique de la sécurité nationale était rempli, ce qui nécessitait de faire face à de telles menaces à la sécurité intérieure et extérieure. Par conséquent, un comité ministériel a été formé pour enquêter et traiter ces menaces, et le Comité ne s’est pas opposé à l’ordre de suspension et de fermeture, ce qui prouve clairement que l’ordre visait à prévenir une menace à la sécurité nationale. La Cour de cassation s’est également appuyée sur le témoignage du chef de l’Autorité nationale égyptienne de régulation des télécommunications qui a confirmé la légalité de l’ordre de suspension et de coupure fondé sur l’article 67 de la loi sur les télécommunications, déclarant que « le monde a été témoin d’ordres de suspension et de coupure similaires, et personne n’a été poursuivi pour cela ».

La Cour administrative suprême a donné raison à la Cour de cassation et a réitéré que les événements troublants entourant la révolution de janvier représentaient des forces internes et externes cherchant à «compromettre l’ordre public, l’unité nationale et la paix sociale » et constituaient donc un fondement légitime pour cet ordre. La Cour a également noté que ces forces visaient à « réaliser les ambitions de certaines puissances régionales, à saper l’autorité de l’État, à semer le chaos et à entraver l’équilibre stratégique militaire de l’État, ce qui porterait atteinte à la capacité de l’État de maintenir sa souveraineté et son intégrité territoriale». Par conséquent, il était impératif d’accorder la priorité à l’intérêt public plutôt qu’aux intérêts individuels et privés.

La Cour a conclu que, compte tenu de tout, il est évident que le critère de « faute » du test cumulatif à trois critères n’était pas rempli, de sorte que l’ordre de suspension et de fermeture avait un fondement légitime et était conforme à la loi.

Après avoir examiné tous ces aspects, la Cour a annulé la décision du tribunal de 1ère instance, annulant l’amende infligée à Moubarak, Al Adly et Nazif.


Direction De La Décision

Info Rapide

La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.

Expression contractuelle

Bien que la Cour ait estimé dans cette affaire que la décision de suspension et de fermeture avait pour but légitime de protéger la sécurité nationale, elle n’a pas tenu compte de la conclusion du tribunal de 1ère instance selon laquelle le véritable motif de cette décision était de « paralyser et disperser stratégiquement 1) les manifestations, 2) les empêcher de communiquer et d’exprimer leurs revendications pacifiques, 3) couper tous les moyens de secours et l’accès aux ambulances pour transférer ceux qui ont été blessés ou tués vers les hôpitaux, et 4) permettre aux voyous d’attaquer les manifestants ». Cette conclusion a été étayée par divers rapports d’organisations de défense des droits de l’homme et de commissions d’enquête nationales.

En outre, la Cour a commis une erreur en souscrivant à l’argument des défendeurs selon lequel l’ordre de suspension et de fermeture préservait la sécurité nationale, car les faits prouvaient le contraire puisque les forces internes et externes présumées avaient réussi à pénétrer dans les prisons et à libérer leurs membres et que des postes de police avaient été attaqués et que certains avaient été détruits ou incendiés, ce qui ne laissait aucun autre choix que de recourir aux forces armées égyptiennes pour prendre en charge la protection de la sécurité intérieure. D’autre part, les manifestants pacifiques et même ceux qui n’ont même pas quitté leur domicile ont été ceux qui ont souffert de cet ordre lorsque cette suspension complète et la fermeture générale ont été associées au retrait de la police des rues, abandonnant ainsi son obligation principale de maintenir l’ordre public et la sécurité.

L’économie égyptienne a subi de lourdes pertes en raison de l’ordre de suspension et de fermeture, estimé par l’OCDE à près de 90 millions de dollars.

Cette décision marque une déviation claire par rapport non seulement aux normes internationalement reconnues en matière de droits de l’homme et aux limitations justifiables énoncées par les différents instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, mais aussi aux normes fondamentales en matière de droits de l’homme stipulées dans la Constitution égyptienne.

Perspective Globale

Info Rapide

La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.

Tableau Des Autorités

Normes, droit ou jurisprudence nationales

  • Egypt, The Constitution of the Arab Republic of Egypt
  • Egypt, Telecommunication Regulation Law No. 10 of 2003
  • Egypt, Administrative Court of Justice, Seventh Circuit, Economic and Investment Disputes, Case No. 21855/65
  • Egypt, Court of Cassation Decision number 655/85 in case number 1227/2011

Importance du Cas

Info Rapide

L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.

La décision établit un précédent contraignant ou persuasif dans sa juridiction.

Documents Officiels du Cas

Rapports, Analyses et Articles D'actualité :

  • Isolation: The cutting of communication during the January 2011 revolution by the Association on Freedom of Thought and Expression
    https://bit.ly/3UBH8al

Pièces Jointes:

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