Sécurité nationale, Réglementation du contenu / censure, Fermeture d'internet, Accès à l'information publique
Amnesty International Togo and Ors c. Republique Togolaise
Togo
Affaire résolue Élargit l'expression
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La Cour de justice communautaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cour) a jugé que le gouvernement nigérien avait violé le droit des requérants à la liberté d’expression et à l’accès à l’information et aux médias en suspendant l’utilisation de Twitter au pays le 4 juin 2021. Les autorités nigériennes ont affirmé que l’action était nécessaire pour protéger la souveraineté du pays au motif que la plateforme était utilisée par un dirigeant séparatiste pour semer la discorde. Les requérants affirmaient plutôt que la suspension était en représailles à un tweet du président nigérian Muhammadu Buhari, signalé pour avoir violé les conditions d’utilisation. La Cour a jugé que l’accès à Twitter est un « droit dérivé » qui « complète le droit à la liberté d’expression » et a conclu que la suspension des opérations de Twitter n’était pas conforme à la loi et que le gouvernement nigérien avait violé l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte) et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte). La Cour a donc ordonné au défendeur de lever la suspension de Twitter et a ordonné de garantir qu’elle ne se reproduirait pas.
Le 4 juin 2021, le Nigéria a suspendu l’application de microblogage Twitter à travers le pays, déclarant que les opérations de Twitter constituaient des menaces pour la stabilité du pays et que « Twitter porte atteinte l’existence du Nigéria » [p. 8].
Les requérants sont des organisations non gouvernementales et des individus qui avaient, dans différentes poursuites, saisi la Cour pour contester la suspension par le défendeur des opérations de Twitter. Les requérants sont les organisations Socio-Economic Rights and Accountability Project (SERAP), Media Rights Agenda, Paradigm Initiative for Information Technology Development, le Premium Times Centre for Investigative Journalism, l’International Press Centre, Tap Initiative for Citizens Development ainsi que Patrick Eholor, Chief Malcolm Omokiniovo Omirhobo, David Hudeyin, Samuel Ogundipe, Blessing Oladunjoye et Nwakamri Zakari Appollo.
Les requérants ont introduit une action devant la Cour, faisant valoir des violations de l’article 9 de la Charte et de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte).
La Cour devait se prononcer sur quatre questions principales: i) si la Cour était compétente pour statuer sur cette affaire, ii) s’il y avait une contravention à l’article 9 de la Charte et à l’article 19 du Pacte à travers la régulation des médias sociaux et la violation du droit à la liberté d’expression, d’accès aux médias et à l’information, iii) si la suspension des opérations de Twitter par le défendeur était légale et iv) si le Nigéria a violé le droit à un procès équitable garanti par la Charte en entreprenant des poursuites pénales sans référence à une loi existante [p. 20].
Par une motion datée du 5 juillet 2021, le Nigéria a demandé à la Cour de joindre toutes les requêtes. Tous les requérants ont accepté de joindre les requêtes et ont décidé que SERAP se chargerait de présenter leurs revendications par l’entremise de son conseil. Par conséquent, la Cour a ordonné la jonction de toutes les requêtes et le SERAP s’est présenté au nom de tous les requérants. Il y a également eu trois demandes d’intervention à titre d’amicus curiae de la part du Centre Robert F. Kennedy pour la justice et les droits de l’homme, Access Now (et l’Electronic Frontier Foundation et Open Net Association) et Amnistie internationale.
Les requérants ont soutenu que la suspension des opérations de Twitter a été décidée par l’État en réaction au signalement du tweet de son président (le président Muhammadu Buhari), violant ainsi leurs droits à la liberté d’expression et ceux de nombreux Nigériens. Les requérants ont fait valoir qu’aucune loi ou ordonnance d’un tribunal n’avait sanctionné la suspension. Ils ont soutenu que la suspension restreignait le droit à la liberté d’expression et le droit à l’information de nombreux Nigériens. Les requérants ont en outre affirmé que le Nigéria s’était engagé à l’échelle locale, régionale et internationale en faveur des droits de l’Homme et que la suspension de Twitter équivalait à un manquement à ses obligations en vertu des traités et conventions applicables en matière de droits de l’Homme, et que ce manquement « a empêché des millions de Nigériens au pays et à l’étranger de participer à des questions d’intérêt public, en particulier en ce qui concerne les idées et les opinions sur la performance du défendeur par rapport à ses obligations constitutionnelles et internationales en matière de droits de l’homme » [p. 9].
Les requérants ont soutenu que le défendeur a également ordonné à ses fonctionnaires de commencer à octroyer des licences aux médias (OTT) et aux médias sociaux dans le pays, ce qui, selon eux, représenterait une démarche aucunement autorisée par la loi nigérienne et constituerait une violation de leurs droits à la liberté d’expression, et à l’accès à l’information et à la liberté des médias, protégés par les lois nationales et les instruments internationaux des droits de l’Homme, comme la Charte et le Pacte.
Dans sa défense, le Nigéria a déclaré que la suspension de Twitter ne visait pas à violer la liberté d’expression ni à intimider les Nigériens, mais plutôt à assurer que Twitter « se conforme aux lois existantes » [p. 14]. Le défendeur a souligné que la suspension des opérations de Twitter était essentielle pour protéger la souveraineté du Nigéria et empêcher toute atteinte à sa stabilité et son existence. Le défendeur a spécifiquement affirmé que Twitter, en tant que plateforme, était utilisé par un chef séparatiste qui avait perpétré des actes de violence contre des soldats et des policiers nigériens. Le défendeur a aussi soutenu que le mouvement #EndSARS, qui aurait conduit à des violences dans de nombreuses régions du Nigéria, avait été parrainé par le fondateur de Twitter. Il a également fait valoir que le droit à la liberté d’expression n’était pas absolu a justifié la suspension de Twitter en s’appuyant sur ses lois existantes.
L’honorable juge Gberi-Be Ouattara a présidé le panel composé de trois juges de la Cour de justice communautaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Le panel comptait également l’honorable juge Keikura Bangura et l’honorable juge Januaria T. Silva Moreira Costa.
Question 1 : Compétence
Le défendeur a contesté la compétence de la Cour d’entendre et de statuer sur la requête par son objection préliminaire du 21 juin 2021, demandant le rejet de la requête. Après avoir entendu les parties, la Cour a jugé qu’elle était compétente pour connaître de la demande et a rejeté l’objection préliminaire du défendeur.
La Cour a également jugé que l’affaire devait être entendue rapidement et a ordonné au défendeur de s’abstenir d’imposer des interdictions et des sanctions aux médias et d’arrêter de harceler, d’intimider et de poursuivre les requérants et les Nigériens concernés pour l’utilisation de Twitter et d’autres plateformes de médias sociaux en attendant le sort de l’affaire au fond.
Question 2 : Contravention aux dispositions de l’article 9 de la Charte et de l’article 19 du Pacte par la réglementation des médias sociaux
La Cour a noté que l’article 9 de la Charte et l’article 19 du Pacte prévoient le droit à la liberté d’expression sans ingérence. La Cour a également noté que ce dernier crée un droit dérivé qui permet à une personne de jouir de ce droit par le moyen de son choix. La Cour a notamment déclaré qu’elle « considère que l’accès à Twitter, étant l’un des médias sociaux de choix pour recevoir, diffuser et communiquer des informations est un de ces droits dérivés complémentaires à la jouissance du droit à la liberté d’expression conformément aux dispositions de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la CDPH et de l’article 19 du PIDCP » [p.23].
La Cour a décidé qu’une violation de ce droit, y compris l’accès à Twitter, doit être justifiée légalement soit par une loi en vigueur ou une ordonnance de la Cour, et tout autre acte de restriction d’un tel accès constituera une violation du droit à accéder à l’information et aux médias.
Question 3: Légalité de la suspension de Twitter
La Cour a noté que si l’article 9 (2) de la Charte protège le droit d’exprimer et de diffuser des opinions, dans les limites de la loi, l’article 9 (1) garantit le droit accessoire de recevoir des informations. La Cour a expressément noté ce qui suit en tant que moyens d’exprimer ou de diffuser des opinions.
La Cour a souligné comment la technologie, principalement les plateformes de médias sociaux, a permis l’échange d’idées, de points de vue et d’opinions, faisant progresser la portée de l’article 9 de la Charte : « Twitter est d’une grande importance pour la réalisation des objectifs visés par l’article 9 de la CADHP et l’article 19 du PIDCP et, d’une manière similaire, pour la jouissance du droit à la liberté d’expression » [p. 24].
Pour équilibrer son analyse, la Cour a examiné la défense du défendeur quant à la légalité de la suspension de Twitter. Elle a transféré l’obligation de démontrer la légalité de la suspension au défendeur ; les requérants avaient fait valoir que la suspension ne reposait sur aucune loi ni sur une ordonnance de la Cour. Afin de se décharger de ce fardeau, la Cour a noté que le défendeur avait cité les manifestations du mouvement #EndSARS, qui, selon lui, avait été parrainé par le fondateur de Twitter et avait conduit à des actes de violence à travers le Nigéria. Le défendeur est allé plus loin en soutenant que la liberté d’expression n’était pas absolue. Bien que la Cour ait convenu avec le défendeur que la liberté d’expression n’est pas absolue, elle a souligné la nécessité qu’une dérogation soit imposée par la loi. La Cour a noté que le défendeur, tout au long de sa défense, n’a pas présenté de preuve de l’existence d’une justification juridique de la suspension. La Cour est d’avis que la simple référence ou allusion à la protestation #EndSARS et son potentiel de déstabilisation du Nigeria ne peuvent constituer une justification juridique pour la suspension des opérations de Twitter. Citant l’affaire FEMI FALANA & 1 OR c. La République du Bénin & 2ORS (2012) CCJELR, la Cour a jugé « qu’il est clair que le défendeur n’avait démontré, ni par référence à une loi spécifique ni au moyen d’autres preuves ou autrement l’existence d’une telle loi » [p.29]. La Cour a donc estimé qu’en l’absence de toute loi en vigueur ou d’une ordonnance d’un tribunal, la suspension de Twitter par le défendeur était illégale et contrevenait clairement à l’article 9 de la Charte et à l’article 19 du Pacte.
Question 4 : Violation du droit à un procès équitable par des poursuites et des sanctions sans référence à une contravention à une loi existante
La Cour a noté que les requérants ont affirmé que les agissements du défendeur les menaçaient et menaçaient fréquemment d’autres Nigériens qui utilisent Twitter et autres applications de microblogage sur les médias sociaux de poursuites pénales. Ce faisant, l’acte de suspendre les opérations de Twitter au Nigeria viole le principe de légalité des peines. Le droit à un procès équitable, garanti par la Charte et le Pacte, est nul et non avenu sans référence expresse à l’article 7 de la Charte.
La Cour a examiné si les défendeurs avaient violé le droit des requérants à un procès équitable. En appliquant les dispositions de l’article 7 (2) de la Charte pour poursuivre ceux qui ont continué à utiliser Twitter après sa suspension. La Cour a noté que, pour qu’une personne puisse invoquer l’article 7 de la Charte, trois conditions doivent être remplies, à savoir :
Pour déterminer si les requérants peuvent invoquer l’article 7 de la Charte, la Cour a examiné l’annexe de la demande des requérants pour voir s’il y avait des preuves à l’appui de cette demande. L’annexe A intitulée « Noms des Nigériens voulant se joindre à la poursuite contre le gouvernement fédéral pour l’interdiction de Twitter », ne contenait qu’une liste de noms sans indiquer si ces personnes ont été poursuivies pour utilisation de Twitter après sa suspension. La Cour a noté de façon remarquable que la liste « ne confère pas la force de persuasion nécessaire pour s’acquitter de la charge de la preuve ». La Cour a donc conclu à l’absence de violation de l’article 7 de la Charte par le défendeur.
Au sujet de la compensation d’une valeur de 500 000 000 N (environ 1 160 000 $ US), la Cour a fait remarquer que, bien que la violation du droit des requérants ait été établie, le demandeur avait le devoir de démontrer que la perte ou le dommage résultait de cette violation. Les demandeurs n’ont pas réussi à prouver le préjudice réel qu’ils ont subi par l’effet de ladite contravention. La Cour a par conséquent rejeté la demande d’indemnisation.
En conclusion, la Cour a déclaré que la suspension de Twitter par le Nigéria était illégale et constituait une violation du droit des requérants à la liberté d’expression en vertu de l’article 9 de la Charte et de l’article 19 du Pacte. La Cour a ordonné au défendeur de lever la suspension et l’a enjoint à prendre les mesures nécessaires pour harmoniser ses politiques afin de donner effet aux droits et libertés contenus dans la Charte et le Pacte. En ce qui concerne la réparation, la Cour a ordonné au défendeur de garantir la non-répétition de l’interdiction illégale de Twitter et lui a ordonné d’entreprendre et d’adopter des mesures législatives pour permettre l’exercice du droit à la liberté d’expression garanti par la Charte.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
La décision élargit l’expression en reconnaissant que l’accès à Twitter est un droit dérivé complémentaire à la jouissance du droit à la liberté d’expression. La Cour a estimé que la suspension des activités de Twitter, qui n’était pas imposée par une loi en vigueur ni par une ordonnance d’un tribunal compétent, violait le droit des requérants à la liberté d’expression. La décision a également établi de manière claire que le fardeau de la preuve pour démontrer que la suspension était légale incombe au défendeur. Enfin, l’interprétation large donnée à la Charte est louable dans la mesure où une telle interprétation protège l’utilisation de Twitter pour préserver la liberté d’expression et l’accès à l’information puisqu’il s’agit d’une plateforme à travers laquelle est exercé le droit à la liberté d’expression. La décision de la Cour s’appuie également sur le Pacte, ce qui renforce l’autorité des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme dans la juridiction nationale et enrichit la jurisprudence de la Cour.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
Sections 1(1)& (2), 36(12), 39 (1) & (2), 45 (1) (a) & (b)
Sections 78(1), (2), 79, 80(1)
Sections 2 1(a), (c), (d), (f), (g), (h), (i), (l), (m), (n), (p)
Section 419, 420 (1), (2) and 421
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