Réglementation du contenu / censure, Diffamation / réputation, Expression politique
Lohé Issa Konaté c. République du Burkina Faso
Burkina Faso
Affaire résolue Élargit l'expression
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La Cour suprême d’Argentine a estimé que la publication par un magazine d’un photomontage d’une femme qui s’était enchaînée devant un bâtiment d’État pour protester contre les conditions d’emprisonnement de son mari ne violait pas le droit à l’honneur de cette femme. Après la publication du photomontage, la femme, présidente de l’Association des proches et amis des prisonniers politiques d’Argentine, a poursuivi le magazine en faisant valoir que la publication avait violé ses droits à l’honneur, à la vie privée et à l’intégrité morale et a demandé une injonction pour retirer le magazine de la circulation.
Deux tribunaux inférieurs se sont prononcés en faveur de la femme, mais la Cour suprême a estimé que le photomontage constituait une satire et une critique politique et a souligné que cette forme d’expression permettait un débat politique solide. La Cour a déclaré qu’un tribunal ne devrait se prononcer en faveur de la réputation et de l’honneur d’une personne qui fait l’objet de critiques que lorsque cette critique est incontestablement préjudiciable et sans rapport avec les idées ou les opinions exprimées par cette personne.
Le 4 août 2010, Maria Cecilia Pando de Mercado, épouse d’un officier argentin reconnu coupable de crimes contre l’humanité, faisait partie d’un groupe d’épouses de militaires emprisonnés qui se sont enchaînées à un bâtiment d’État. Elles cherchaient à mettre en exergue les conditions dans lesquelles leurs maris étaient emprisonnés.
Le 13 août 2010, le magazine argentin Revista Barcelona a publié sa 193ème édition avec sur sa couverture un photomontage composé du visage de Pando de Mercado avec le corps attaché et nu d’une autre femme. Cette photo était accompagnée de phrases qui renvoyaient de façon satirique aux événements du 4 août.
Pando de Mercado a poursuivi le magazine en justice et a demandé des dommages et intérêts de l’ordre de 70 000 pesos argentins (environ 750$US en 2021) et une injonction pour retirer le magazine de la circulation. Elle a fait valoir que la photo et les phrases de « teneur pornographique » exposées dans des milliers de kiosques portaient atteinte à son honneur et à celui de sa famille.
Revista Barcelona a fait valoir que Pando de Mercado était une figure publique qui avait exprimé son opinion et utilisé son corps pour défendre les militaires de l’ancienne dictature du pays. Le magazine a soutenu que son travail consiste essentiellement à « redimensionner » un sujet d’actualité qui revêt une importance politique de manière à stimuler la réflexion et le débat parmi les lecteurs. Il a fait valoir que ses publications ne contenaient aucune connotation érotique ou pornographique, et qu’en outre, le corps nu sur la couverture n’était pas celui de Pando de Mercado et ne ressemblait pas au sien. Le magazine a affirmé qu’il n’a fait que publier les nouvelles par le biais de la satire et de la parodie.
Le tribunal de première instance a estimé que le magazine avait porté atteinte à l’honneur de Pando de Mercado car il s’agissait d’une personne privée qui avait volontairement participé à la chose publique. La Cour a souligné que les personnes privées étaient plus vulnérables et qu’elles avaient moins de chances de répondre aux mensonges dans les médias que les fonctionnaires et les personnalités publiques, et que cela exige que la presse soit tenue responsable des moindres manquements à l’obligation de diligence. Le tribunal a estimé que les photos et les phrases allaient au-delà des moqueries et constituaient une exposition excessive de Pando de Mercado. Le tribunal a ainsi condamné Revista Barcelona à verser des dommages et intérêts à Pando de Mercado pour compenser les dommages causés par la diffusion de la publication.
La Cour d’appel en matière civile a confirmé le jugement du tribunal de première instance et a confirmé que le magazine devait verser des dommages et intérêts à Pando de Mercado car la publication portait atteinte à son image et à son honneur. La Cour d’appel s’est distinguée du tribunal de première instance en concluant que Pando de Mercado était une personnalité publique dont la participation à la manifestation lui confère un intérêt général.
Revista Barcelona a déposé un recours extraordinaire devant la Cour suprême, qui a été accepté.
La question centrale qui se présentait devant la Cour suprême était de savoir si la publication satirique du photomontage de Pando de Mercado, une personne présentant un intérêt public, et les expressions qui l’accompagnent bénéficient d’une protection constitutionnelle ou si le droit individuel à l’honneur de la personne doit prévaloir.
La Cour a souligné que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu et que la protection du droit à l’honneur est constitutionnellement consacrée par l’article 33 de la Constitution nationale, et a noté que la protection de la sphère privée accordée par l’article 19 de la Constitution inclut le droit à la protection de sa propre image. La Cour a également fait référence à l’article 52 du Code civil et commercial et aux traités internationaux auxquels l’Argentine est partie, à savoir les articles 11 et 13.2.a de la Convention américaine relative aux droits de l’homme ; les articles 17 et 19.3.a du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les articles V et XXIX de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme et l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les traités internationaux font partie de la hiérarchie constitutionnelle argentine depuis la réforme constitutionnelle de 1994.
La Cour suprême a déclaré que Pando de Mercado devait être considérée en sa qualité de présidente de l’Association des proches et amis des prisonniers politiques d’Argentine, et que la question devrait donc être tranchée en se fondant sur sa qualité en tant que personnalité publique à cause de sa participation active au débat public sur les procédures judiciaires et les politiques relatives aux crimes contre l’humanité commis pendant le régime politique précédent. La Cour a jugé que l’origine de la publication du magazine était une protestation qui a eu lieu dans la sphère publique contre la procédure pénale engagée pour les crimes contre l’humanité commis pendant la période du dernier gouvernement militaire et ses politiques.
En examinant le contexte dans lequel la publication a eu lieu, la Cour a souligné qu’il est important de considérer la manière dont la publication anticipe la façon par laquelle le lecteur interagirait avec son contenu. La Cour a noté que Revista Barcelona constitue un support graphique qui utilise la satire pour transmettre un message critique du pouvoir, et que la satire génère chez ceux qui la lisent ou l’observent la perception que quelque chose n’est pas vrai ou exact, et en a conclu que ce moyen d’expression des idées n’est pas exclu de la protection constitutionnelle de la liberté d’expression.
Pour l’examen des limites du droit à la liberté d’expression, la Cour s’est référée à sa jurisprudence et a noté que la balance ne penchera en faveur de la réputation et l’honneur d’un individu soumis à la critique que lorsque la critique est strictement et incontestablement préjudiciable et sans aucun rapport avec les idées ou les opinions exprimées par l’individu en question. La Cour a déclaré que les personnes reconnues pour leur participation à des affaires d’intérêt public doivent s’attendre à des critiques, et même à des critiques agressives, parce que cela permet un débat solide, lequel débat est indispensable pour le développement de la vie républicaine et démocratique protégée par la Constitution nationale.
La Cour a conclu que la publication du photomontage et des phrases ne violait pas le droit à l’honneur de Pando de Mercado car elle constituait une critique politique qui ne dépasse pas les limites de la protection que la Constitution accorde à la liberté d’expression et ne constituait pas une injure gratuite ou une vexation injustifiée. Par conséquent, la Cour a infirmé les jugements des tribunaux inférieurs et rejeté la demande de dommages et intérêts de Pando de Mercado.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
La décision a élargi la portée du droit à la liberté d’expression, car, contrairement aux instances précédentes, elle a accordé une protection constitutionnelle à la satire en tant que forme légitime de critique des questions d’intérêt public. Elle a également reconnu un seuil élevé pour limiter ce droit : ce n’est que lorsque les expressions sont strictement et incontestablement préjudiciables et sans rapport avec les idées ou les opinions exprimées que le droit à l’honneur doit prévaloir sur le droit à la liberté d’expression.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
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