Cybersécurité / cybercriminalité, Respect de la vie privée, protection des données et rétention, Violence contre les orateurs / impunité
Telegraaf Media Nederland Landelijke Media c. Pays-Bas
Pays-Bas
Affaire résolue Élargit l'expression
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Dans lʼaffaire Najafli c. Azerbaïdjan, la première section de la Cour européenne des droits de lʼhomme (CrEDH) a estimé à lʼunanimité que lʼAzerbaïdjan a porté atteinte aux droits de M. Ramiz Huseyn oglu Najafli, journaliste, au titre de lʼarticle 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) et de lʼarticle 10 (liberté dʼexpression) de la Convention européenne des droits de lʼhomme (CEDH). Najafli et cinq de ses collègues ont été sévèrement battus par la police alors quʼils effectuaient un reportage sur une manifestation politique non autorisée à Bakou. Non seulement les maltraitances elles-mêmes, mais aussi le fait que les autorités nʼaient pas mené dʼenquête pénale effective sur lʼincident, ont entraîné une violation de lʼarticle 3 de la CEDH. En outre, le fait que Najafli nʼétait pas un participant à la manifestation, mais un journaliste professionnel exerçant sa mission de diffusion dʼinformations et dʼidées sur des questions dʼintérêt public, a conduit la Cour à conclure à une violation de lʼarticle 10 de la CEDH.
Le requérant, M. Ramiz Huseyn oglu Najafli, était un journaliste azerbaïdjanais et rédacteur en chef du journal Boz Ourd. Le 9 octobre 2005, Najafli et cinq autres journalistes sont allés effectuer un reportage sur une manifestation non autorisée à Bakou, organisée par plusieurs partis dʼopposition. À un certain moment de la journée, la police a dispersé la manifestation par la force et a commencé à distribuer des coups de matraque, y compris aux journalistes. Bien que Najafli ne portait pas de gilet bleu spécifique lʼidentifiant comme journaliste, il portait un badge de journaliste sur la poitrine et a dit à plusieurs reprises aux policiers quʼil était journaliste. Néanmoins, les agents de lʼÉtat ont continué à le frapper jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Selon son certificat médical, Najafli a été diagnostiqué après coup comme souffrant dʼun traumatisme crânio-cérébral fermé, dʼune commotion cérébrale et de lésions à la tête, pour lesquelles il a dû suivre un traitement de longue durée.
Le 9 novembre 2005, le département de police du district de Sabail, puis le bureau du procureur du district de Sabail, ont ouvert une enquête criminelle sur cet incident. Lors de son interrogatoire du 12 janvier 2006, Najafli a présenté une photo du chef de la police anti-émeute de Bakou (« A.V. »), qui était alors présent sur les lieux du passage à tabac. L’A.V. a toutefois nié son implication. Le 28 janvier 2006, lʼenquêteur du bureau du procureur du district de Sabail a ordonné un examen médico-légal de Najafli, qui nʼa en fait jamais eu lieu, Najafli affirmant quʼil nʼavait pas été informé de cette décision.
Le 9 mars 2006, lʼenquêteur a suspendu lʼenquête au motif suivant : les auteurs des violences n’ont pu être identifiés. Najafli nʼa (là encore) pas été informé de cette décision avant mai 2006. Le 12 mai 2006, Najafli a déposé une plainte auprès du tribunal de district de Sabail concernant le manque dʼinformation sur la suspension. La plainte et le recours suivant ont tous deux été rejetés au motif que la décision de suspension de lʼenquête était légale.
Le 9 novembre 2006, Najafli a intenté une action civile distincte contre le ministère de lʼIntérieur afin dʼobtenir une indemnisation pour les dommages causés par le passage à tabac de novembre 2005. La demande a été rejetée pour des raisons formelles, notamment car Najafli nʼa pas identifié de personnes spécifiques en tant que défendeurs. La Cour dʼappel et la Cour suprême ont toutes deux confirmé la décision.
Le 12 décembre 2006, Najafli a introduit une requête contre la République dʼAzerbaïdjan auprès de la Cour européenne des droits de lʼhomme (CrEDH) en vertu de lʼarticle 34 de la Convention européenne des droits de lʼhomme (CEDH). Il se plaignait « dʼavoir été battu par la police et que les autorités nationales nʼavaient pas mené dʼenquête effective permettant dʼidentifier et de sanctionner les policiers responsables » [§ 30], ce qui constituait une violation de lʼarticle 3 de la CEDH (interdiction de traitements inhumains et dégradants). Najafli a en outre allégué qu’« il avait été maltraité par la police dans le but de lʼempêcher de mener à bien son activité journalistique » [§ 57], qui a violé ses droits au titre de lʼarticle 10 de la CEDH (liberté dʼexpression). Enfin, Najafli se plaint que « le refus des juridictions internes dʼadmettre sa constitution de partie civile a été mal motivé et a violé son droit dʼaccès au tribunal » [§ 71], ce qui a entraîné une violation de lʼarticle 6 de la CEDH (procès équitable).
La première section de la Cour européenne des droits de lʼhomme (ci-après : « la Cour ») a rendu un arrêt unanime. Les principales questions posées à la Cour étaient de savoir si les autorités azerbaïdjanaises avaient violé les articles 3 et 10 de la CEDH.
En ce qui concerne le grief de Najafli au titre de lʼarticle 3, la Cour a examiné deux aspects de lʼinterdiction légale des traitements inhumains et dégradants, à savoir a) les mauvais traitements allégués par la police elle-même (aspect matériel) et b) lʼenquête pénale sur les allégations de mauvais traitements (aspect procédural). a) Mauvais traitements – Fond
Sʼappuyant sur un certificat médical, la photo dʼA.V. prise lors de la manifestation et les déclarations de deux journalistes, Najafli a fait valoir quʼil avait été battu par des agents de police conduits par A.V. et que les agents avaient fait un usage excessif de la force contre lui sans aucune justification. Le Gouvernement azerbaïdjanais a fait valoir que Najafli ne disposait pas de preuves à lʼappui de sa demande, puisquʼil nʼexistait aucune décision de justice à cet égard, et que la police était en droit de recourir à la force pour disperser une manifestation illégale. Citant Irlande c. Royaume-Uni, n° 5310/7, 18 janvier 1978, Kudla c. Pologne, n° 30210/96, 26 octobre 2000 et Peers c. Grèce, n° 28524/95, 19 avril 2001, la Cour a fait remarquer que les maltraitances doivent atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de lʼarticle 3 » [§ 34]. La norme à appliquer pour évaluer les preuves est quʼil existe une preuve « au-delà de tout doute raisonnable » que des maltraitances dʼune telle gravité ont été infligés [§ 36] (voir Avşar c. Turquie, n° 25657/94, 10 juillet 2001). En lʼespèce, la Cour a estimé que Najafli avait produit « des éléments de preuve suffisamment solides et concordants pour établir au moins une présomption selon laquelle le requérant a été frappé à coups de matraque par des agents de police lors de la dispersion de la manifestation », et que le Gouvernement azerbaïdjanais nʼavait pas apporté de « réfutation convaincante de cette présomption » [§ 37]. Sʼagissant du caractère excessif des maltraitances, la Cour a considéré que « le recours à la force physique qui nʼa pas été rendu strictement nécessaire par le comportement de lʼintéressé constitue en principe une atteinte au droit énoncé à lʼarticle 3 de la Convention » (voir Kop c. Turquie, n° 12728/05, 20 octobre 2009 et Timtik c. Turquie, n° 12503/06, 9 novembre 2010) [§ 38]. La Cour a observé que Najafli nʼavait pas usé de violence à lʼencontre de la police et quʼil nʼavait pas non plus représenté une menace pour elle, ce qui rendait la force physique à son encontre « inutile, excessive et inacceptable » [§ 39]. Prenant en compte les graves douleurs physiques et les souffrances mentales de Najafli résultant des coups reçus, la Cour conclut que les maltraitances ont été suffisamment graves pour atteindre un niveau minimal de gravité et quʼil y a eu violation des droits substantiels de Najafli au titre de lʼarticle 3 de la CEDH [§§ 40-41].
Najafli a également fait valoir que les autorités azerbaïdjanaises nʼavaient pas mené dʼenquête effective sur ses allégations de maltraitances, puisquʼelles avaient ignoré toutes les preuves et ne lʼavaient informé dʼaucune des décisions prises par lʼenquêteur. Le Gouvernement azerbaïdjanais, quant à lui, a fait valoir que les autorités avaient effectivement mené une enquête effective, puisque lʼenquêteur avait engagé des poursuites pénales, quʼil avait entendu Najafli, A.V. et deux témoins, quʼil avait pris toutes les mesures appropriées pour identifier ceux qui avaient battu les journalistes et quʼil avait ordonné un examen médico-légal. Se référant à lʼarticle 1 de la CEDH, la Cour a rappelé que lʼarticle 3 exige implicitement lʼexistence dʼune enquête officielle effective – qui doit être « susceptible de conduire à lʼidentification et à la sanction des responsables » – afin de rendre lʼinterdiction des traitements inhumains et dégradants effective dans la pratique (voir Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998 et Labita c. Italie, n° 26772/95, 6 avril 2000) [§ 45]. Une telle enquête doit être «indépendante et impartiale, en droit et en pratique » (voir Boicenco c. Moldova, n° 41088/05, 11 juillet 2006, Kolevi c. Bulgarie, n° 1108/02, 5 novembre 2009, et Oleksiy Mykhaylovych Zakharkin c. Ukraine, n° 1727/04, 24 juin 2010) [§ 46] et « minutieux » (voir Assenov et autres c. Bulgarie, Tanrikulu c. Turquie, n° 23763/94, 8 juillet 1999 et Gül c. Turquie, n° 2267/93, 14 décembre 2000) [§ 47]. Le plaignant doit avoir un accès effectif à la procédure dʼenquête [§ 48].
En appliquant ces principes à la présente affaire, la Cour a constaté que lʼenquête sur les allégations de maltraitances formulées par Najafli avait échoué pour de nombreuses raisons. Tout dʼabord, il y a eu dʼimportants retards de procédure (3 mois) et des doutes sérieux quant à savoir si Najafli a toujours eu un accès effectif à la procédure dʼenquête et sʼil a été informé de toutes les étapes de la procédure en temps utile. Avant tout, lʼenquête nʼa été ni indépendante ni impartiale : lʼenquêteur a délégué la tâche dʼidentifier les personnes qui avaient maltraité le requérant à lʼautorité qui auraient commis lʼinfraction. En dʼautres termes, des collègues enquêtaient sur des collègues (voir Ramsahai et autres c. Pays-Bas, n° 52391/99, 15 mai 2007, Aktas c. Turquie, n° 24351/94, 24 avril 2003, et McKerr c. Royaume-Uni, n° 28883/95, 4 avril 2000) [§ 52]. En outre, lʼenquêteur nʼavait pas pris de mesures dʼinvestigation indépendantes, tangibles et efficaces visant à identifier les coupables, mais sʼétait contenté de suspendre la procédure, en sʼappuyant sur le rapport « sans résultat » des services de police [§ 54]. Enfin, Najafli a été privé de la possibilité de demander effectivement des dommages-intérêts dans le cadre dʼune procédure civile en raison dʼexigences formelles que la Cour a considérées comme des « obstacles insurmontables » [§ 55]. Compte tenu de lʼensemble de ces lacunes, la Cour a conclu à une violation des droits procéduraux de Najafli au titre de lʼarticle 3 de la CEDH [§ 56].
Le Gouvernement azerbaïdjanais a fait valoir que Najafli nʼavait pas épuisé les voies de recours internes et quʼil aurait pu remédier au non-respect des conditions de forme. Najafli a fait valoir quʼil avait déposé lʼaction civile en bonne et due forme. La Cour a réitéré ses considérations au titre de lʼarticle 3 de la CEDH (« obstacles insurmontables ») et a conclu que Najafli avait fait tout ce quʼon pouvait attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes.
Selon le Gouvernement azerbaïdjanais, M. Najafli ne portait pas de gilet bleu spécial lʼidentifiant comme journaliste lors de la manifestation, ce qui a conduit les policiers à penser quʼil faisait partie des participants à la manifestation contre lesquels ils étaient en droit de faire usage de la force. Najafli, au contraire, a fait valoir quʼil portait un badge de journaliste sur sa poitrine et quʼil avait dit à plusieurs reprises aux agents quʼil était journaliste.
Citant Castells c. Espagnen° 1798/85, 23 avril 1992, Thorgeir Thorgeirson c. Islande, n°°13778/88, 25 juin 1992, Goodwin c. Royaume-Unin° 17488/90, 27 mars 1996, Jersild c. Danemark n° 15890/89, 23 septembre 1993, Fatullayev c. Azerbaïdjan, n° 40984/07, 22 avril 2010, Observer et Guardian c. Royaume-Uni, n° 13585/88, 26 novembre 1991 et The Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 2)n° 13166/87, 26 novembre 1991, la Cour a souligné le rôle vital de la presse comme « gardien de l’intérêt public ». Il incombe à la presse de diffuser des informations et des idées sur des questions dʼintérêt public – y compris les rassemblements et les manifestations de lʼopposition – que le public a le droit de recevoir [§ 66]. La Cour a également déclaré que « les mesures publiques empêchant les journalistes de faire leur travail peuvent soulever des questions au titre de lʼarticle 10 » (voir Gsell c. Suisse, n° 2675/05, 8 octobre 2009) [§ 67].
La Cour nʼa pu accepter lʼargument du Gouvernement selon lequel les policiers nʼavaient pu déterminer que Najafli était un journaliste, puisquʼil portait un badge et quʼil avait spécifiquement dit aux policiers quʼil était journaliste. En faisant un usage excessif de la force, même après sʼêtre rendu compte quʼils avaient affaire à des journalistes, les policiers ont empêché Najafli et ses collègues de faire leur travail, entravant ainsi lʼexercice de leur droit de recevoir et de communiquer des informations [§§ 67-68]. Selon la Cour, une telle ingérence dans les droits à la liberté dʼexpression ne pouvait être justifiée au titre de l’alinéa 2 de lʼarticle 10, car il nʼavait pas été démontré de manière convaincante quʼelle était légale ou quʼelle poursuivait un quelconque but légitime. Et même si tel avait été le cas, lʼingérence ne pouvait pas en tout état de cause être considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » [§ 69]. La Cour a donc conclu à une violation de lʼarticle 10 de la CEDH.
En ce qui concerne la plainte de Najafli au titre de lʼarticle 6 de la CEDH, la Cour a brièvement noté quʼelle avait déjà examiné essentiellement les mêmes questions au titre de lʼaspect procédural de lʼarticle 3 de la CEDH, ce qui rendait inutile un examen des questions potentielles au titre de lʼarticle 6.
Conclusion et dommages
En conclusion, la Cour a estimé à lʼunanimité quʼil y avait eu violation des droits substantiels et procéduraux de Najafli au titre de lʼarticle 3 de la CEDH et de ses droits au titre de lʼarticle 10 de la CEDH. Elle a condamné la République dʼAzerbaïdjan à verser à Najafli 10 000 euros au titre du préjudice moral et 3 000 euros au titre des frais et dépens.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
La décision élargit la liberté dʼexpression, car elle adhère aux principes et aux normes développés dans la jurisprudence antérieure, largement cités par la Cour tout au long de lʼarrêt. La Cour a non seulement souligné la nécessité de mener des enquêtes pénales indépendantes et impartiales de manière générale [§ 52], il a également souligné lʼimportance dʼun reportage journalistique protégé sur les rassemblements et les manifestations (de lʼopposition) [§ 66] avec lʼassurance que les violences contre les journalistes seront sanctionnées.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
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