Droits numériques, Liberté de la presse, SLAPPs
Guerra c. Ruiz-Navarro
Colombie
Affaire résolue Élargit l'expression
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La Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud (Cour) a statué que la défense de poursuites-bâillons (« SLAPP ») existe en droit sud-africain à titre de mesure interdisant l’abus de procédure. Suite aux poursuites en diffamation intentées par deux sociétés minières australiennes contre des avocats et des militants environnementaux, les écologistes ont opposé une fin de non-recevoir, soutenant que les actions en diffamation constituaient des poursuites-bâillons. La Haute Cour a déclaré qu’il s’agissait d’un moyen de défense recevable en Afrique du Sud. Les sociétés ont donc fait appel de cette décision devant la Cour constitutionnelle. La Cour a jugé que les poursuites intentées contre ceux qui s’expriment sur des questions d’intérêt public à titre de moyen de réduire au silence ou de dissuader l’opposition constituent en Afrique du Sud, une poursuite-bâillon interdite lorsque le but de la procédure n’est pas de faire valoir un droit. Toutefois, la Cour a conclu que les activistes environnementaux dans cette affaire n’avaient pas satisfait toutes les exigences démontrer qu’il s’agissait d’une poursuite-bâillon.
En 2014 et 2015, John Clarke, un militant environnemental en Afrique du Sud, a publié deux livres numériques détaillant les activités minières de Mineral Commodities Limited et de Mineral Sands Resources (Pty) Ltd sur la Côte Sauvage en Afrique du Sud. Clarke avait également participé à des entrevues à la radio et en ligne, publié des vidéos sur YouTube, rédigé des articles de presse en ligne et écrit au ministre des Ressources minérales. En avril 2016, Mzamo Dlamini, un autre activiste, et Cormac Cullinan, avocat écologiste, ont participé à un débat radio, auquel a pris part également un représentant de Mineral Commodities, dans lequel Dlamini et Cullinan ont critiqué les activités minières.
Le 18 juillet 2016, Mineral Commodities a entrepris une action en diffamation contre Clarke réclamant des dommages- intérêts de 10 millions de Rands (près de 670 000 USD en février 2021). Le 18 août 2016, Dlamini et Cullinan ont été visés par le même type de procédure pour un montant de 3 millions de Rands (près de 200 400 USD en février 2021).
Le 25 janvier 2017, Christine Reddell, Tracey Davies (toutes deux avocates environnementales) et Davine Cloete (activiste) ont donné une série de conférences à l’Université du Cap dans lesquelles elles ont critiqué les activités minières de Mineral Sands Resources. Le 2 mai 2017, Mineral Sands a entrepris une action en diffamation réclamant des dommages-intérêts de 1 250 000 Rands (environ 83 500 USD en février 2021).
Au total, le montant des dommages-intérêts réclamés dans les trois affaires était de 14,25 millions de Rands (environ 950,000 USD en février 2021).
Tous les avocats et militants ont défendu leur cause en plaidant que les poursuites entreprises par les sociétés minières constituaient un abus de procédure, conçu pour faire taire l’opposition farouche aux activités minières qu’elles menaient. Ils ont fait valoir que les procédures étaient des poursuites-bâillons (« SLAPP suits » ou « poursuites stratégiques contre la mobilisation publique ») et qu’une défense pour abus de procédure dans ce type de poursuites devrait être autorisée par la loi sud-africaine.
Le Centre d’Études juridiques appliquées et l’Université du Cap ont été admis comme amici curiae.
Le 9 février 2021, la juge Golitah, présidente adjointe de La Haute Cour du Cap occidental (Haute Cour), a rendu le jugement de la Haute Cour.
Les écologistes plaidaient que l’action des sociétés minières constituait un abus de procédure et que leur utilisation du système judiciaire visait une « fin inappropriée » (faire taire les militants) et violait ainsi leur droit à la liberté d’expression. Ils ont fait valoir que l’intention derrières les procédures étaient pertinent dans la détermination d’un abus de procédure et que l’objectif des sociétés était ici d’intimider et de réduire au silence les militants rendant les procédures irrecevables. Ils ont ajouté que les sociétés ne devraient pas être autorisées à engager une action en diffamation lorsqu’elles savent qu’il n’y aucun moyen raisonnable d’obtenir les dommages-intérêts qu’elles réclament. En se référant à l’affaire Company Secretary of Arcelormittal South Africa Ltd c. Vaal Environmental Justice Alliance 2015 (1) SA 515 (SCA), les écologistes ont souligné que les tribunaux ont reconnu les dangers du secret autour de la dégradation de l’environnement et que les entreprises opérant en Afrique du Sud doivent respecter les valeurs constitutionnelles du pays. Ils ont soutenu que « les débats sur les droits miniers, les dommages environnementaux et le pouvoir économique des grandes sociétés commerciales nécessitent un examen minutieux et un engagement public sérieux » [para. 20].
Les sociétés minières faisaient valoir qu’en se concentrant sur un prétendu abus de procédure, les défendeurs s’appuyaient exclusivement sur les intentions des sociétés plutôt que sur le bien-fondé des allégations de diffamation ce qui représente selon elles une approche « juridiquement non fondée » [para. 10]. Ils ont ajouté qu’en demandant à la Haute Cour de ne pas examiner le fond de l’affaire, les défendeurs cherchaient à refuser aux sociétés l’accès à la justice. De plus, les sociétés ont fait valoir que toute modification de la loi sud-africaine en matière de diffamation visant à introduire cette forme de défense de procédure-bâillon devrait être effectuée par le Parlement et non par les tribunaux.
L’Université du Cap s’est concentrée sur la protection de la liberté académique protégée par l’article 16 (1) (d) de la Constitution et faisait valoir que « les universitaires ne devraient pas encourir de responsabilité si la réputation d’une société est entachée … et les sociétés ne devraient pas être autorisées à poursuivre les activistes pour diffamation pour ce qu’ils ont déclaré dans le cadre d’un cours et des discussions à l’université » [para. 26]. L’université ajoutait qu’il devrait y avoir une « immunité relative » pour le discours académique et que les universitaires devaient être protégés contre les poursuites en diffamation intentées par les sociétés. Il a ajouté que les procédures bâillons auraient un « effet dissuasif » et « décourageraient les universitaires d’enquêter et de contester les comportements nuisibles » en matière environnementale [para. 27].
La Haute Cour a examiné le cadre constitutionnel applicable à cette affaire et a indiqué que la protection accordée à la liberté d’expression en vertu de l’article 16 de la Constitution inclut la protection du discours académique, et que l’article 24 protège le droit à « un environnement qui ne nuit pas à la santé et au bien-être de chacun, ainsi que le droit de protéger l’environnement de la pollution et de la dégradation écologique » [para. 36].
La Cour s’est référée aux affaires sud-africaines Khumalo c. Holomisa 2002 (5) SA 401 (CC), South African National Defence Union c. Ministre de la défense 1999 (4) SA 469 (CC) et Midi Television (Pty) Ltd t/a E-TV c. Director of Public Prosecutions (Western Cape) 2007 (5) SA 540 (SCA) qui avaient mis en évidence l’importance du droit à la liberté d’expression pour favoriser le débat sur des questions d’importance publique et que la l’interdiction de déclarations prétendument diffamatoires ne peut avoir lieu que lorsque cela est nécessaire pour prévenir une « injustice grave » [para. 38].
La Haute Cour a examiné les caractéristiques des poursuites-bâillons, décrites comme « des poursuites injustifiées ou exagérées visant à intimider les défenseurs de la société civile, les défenseurs des droits de l’Homme, les journalistes, les universitaires et les particuliers ainsi que les organisations agissant dans l’intérêt public » [para. 39]. La Cour a constaté que le terme avait été utilisé pour la première fois par Pring et Canan dans un livre de 1996 et que les recherches de Pring et Canan avaient démontré que les poursuites-bâillons prennent le plus souvent la forme de poursuites civiles en diffamation tout particulièrement en réponse à l’activisme environnemental. La Haute Cour a qualifié les poursuites-bâillons de poursuites qui utilisent le système judiciaire « déguisé en une action civile ordinaire » et sont souvent longues, coûteuses et nécessitent beaucoup de temps, d’énergie, d’argent et de ressources [para. 40]. La Cour a ajouté que les poursuites-bâillons ont pour effet de transformer l’appareil judiciaire en une arme. Elles convertissent des questions d’intérêt public en litiges juridiques techniques dans lesquels les plaignants sont souvent avantagés financièrement par rapport aux défendeurs. Les dommages-intérêts demandés sont souvent exorbitants et inhibent ainsi le débat public en envoyant « un message clair aux activistes que la participation à la chose publique risque souvent d’engendrer des risques financiers inabordables » [para. 42]. La Haute Cour a souligné que la simple menace d’intenter une poursuite-bâillon peut « engendrer de la peur et intimider la cible des poursuites »[para. 43].
La Haute Cour a examiné les poursuites-bâillons et la législation interdisant les poursuites bâillons dans d’autres juridictions, en particulier aux États-Unis, au Canada et en Australie, et a noté que, bien que les poursuites- bâillons n’aient pas été reconnues au sein de l’Union européenne, il y a eu une certaine forme de soutien au profit d’une législation contre les poursuites-bâillons (anti-SLAPP) et la Cour s’est référée aux affaires de la Cour européenne des droits de l’homme Handyside c. Royaume-Uni et Steel et Morris c. Royaume-Uni [para. 51]. La Haute Cour a reconnu que les principes centraux de la défense contre les poursuites-bâillons aux États-Unis reposent sur une violation du droit à la liberté d’expression et de pétition et a décrit la législation interdisant les poursuites-bâillons comme « un moyen de fournir un mécanisme rapide, efficace et peu coûteux pour décourager de telles poursuites » puisqu’elle protège la participation du public, le droit à la liberté d’expression et atténue les effets négatifs des poursuites.
La Cour a déterminé qu’il y a généralement trois éléments à prouver pour la défense dans une poursuite- bâillon : « le défendeur s’est engagé dans une question d’intérêt public »; le demandeur « poursuit un but illégitime »; et que « la poursuite est sans fondement » [para. 45]. Les tribunaux appliquent le test de la « personne raisonnable » pour déterminer le but du demandeur et se demandent si une personne raisonnable considérerait que la poursuite est intentée principalement pour décourager la participation publique, détourner l’attention des activistes de la participation publique ou punir les activistes pour s’être engagés dans cette action publique. Dans ces cas, il incombe d’abord au défendeur de prouver le but illégitime, puis au demandeur de prouver le bien-fondé substantiel du litige [para. 46]. La Haute Cour s’est dite en accord avec les tribunaux canadiens dans l’affaire 1704604 Ontario Ltd c. Pointes Protection Association qui avaient confirmé qu’il ne sera statué sur des poursuites-bâillons que si le demandeur réussi un « test rigoureux pour montrer qu’il a subi un préjudice réel qui l’emporte sur l’intérêt public à ce que ces expressions puissent être formulées » et qu’il existe un « droit de prendre part à l’activisme environnemental » qui a servi à protéger le droit à la liberté d’expression [para. 56].
La Haute Cour a ensuite discuté de la façon de distinguer les poursuites-bâillons des poursuites civiles non-bâillons et a souligné qu’il fallait tenir compte les « considérations opposées pour déterminer quelles activités devraient être protégées contre une action en justice » [par. 58]. Elle a ajouté que, comme l’activisme environnemental nécessite de contester une conduite qui menace l’environnement, « il est inévitable que des informations ou des allégations préjudiciables émergent » et que cet activisme nécessite le partage d’informations « même si ces informations ne sont pas toujours exactes »[para. 58]. La Cour a fait remarquer qu’une caractéristique commune des poursuites-bâillons est que les demandeurs réclament des excuses aux défendeurs comme alternative aux dommages-intérêts, et que les tribunaux devraient donc examiner les affaires de diffamation pour voir si elles sont intentées dans une « véritable tentative de protéger la réputation d’un plaignant » [para. 57].
En examinant la conduite des sociétés minières dans la présente affaire, la Haute Cour a noté que les trois affaires avaient été intentées en même temps (même si Clarke s’était déjà engagé auparavant dans l’activisme). La Haute Cour a également constaté que les sociétés disposaient de vastes ressources financières et humaines et pouvaient donc amortir les frais du contentieux, alors que les avocats et les activistes n’avaient tout simplement pas de ressources comparables, et a qualifié ce « rapport de force vertical et inégal » de « flagrant » [para. 60]. La Haute Cour a reconnu que la « stratégie visant à cibler un groupe d’activistes environnementaux plus ou moins simultanément peut avoir pour effet de les intimider à un point tel qu’ils risquent d’arrêter tout engagement après avoir été poursuivis en justice pour dommages-intérêts » [para. 61]. La Haute Cour a souligné l’effet dissuasif ressenti par les activistes et plus largement par la communauté. La Haute Cour a également noté que les sociétés minières ciblaient les activistes les plus actifs (Clarke en l’occurrence) en leur réclamant les sommes les plus élevées en dommages-intérêts.
La Haute Cour a déclaré que puisque les sociétés minières avaient demandé des dommages-intérêts exorbitants qui ne pouvaient être payés par les activistes environnementaux et qu’elles accepteraient, à défaut, des excuses, l’objectif n’était pas d’obtenir compensation, « signe distinctif de nombreuses poursuites-bâillons » [par. 62]. La Haute Cour a conclu « qu’il devient incontestablement clair que la poursuite a été intentée contre les défendeurs parce qu’ils se sont exprimés et ont pris une position spécifique à l’égard des activités minières du demandeur »[para. 62].
En se référant à l’affaire Jameel (Mohamed) c. Wall Street Journal Sprl [2007] 1 AC 359 (HL), la Haute Cour a souligné l’importance de l’activisme environnemental et du débat public la conformité des sociétés minières à leurs obligations légales (en particulier lorsque ces sociétés détiennent un pouvoir social et économique aussi important). La Haute Cour a noté que les poursuites-bâillons menacent gravement la capacité d’agir contre les actes répréhensibles des entreprises et que le débat public et la participation à des questions telles que la protection de l’environnement doivent être à la fois protégés et encouragés [par. 64].
La Haute Cour a noté qu’il n’existe pas de loi interdisant les poursuites-bâillons en Afrique du Sud et que, par conséquent, il y avait des limites à la façon dont les tribunaux pouvaient réagir. La Cour a souligné que cette absence pourrait conduire les entreprises à abuser de la situation actuelle, et que « les intérêts de la justice ne devraient pas être compromis en raison d’une lacune ou de l’absence de cadre législatif » [para. 65].
La Haute Cour a conclu qu’il était « évident » qu’il y avait un abus de procédure en l’utilisant à des fins inavouées et a critiqué les sociétés minières pour avoir utilisé à mauvais escient le système judiciaire pour cibler leurs opposants [para. 66]. Elle a jugé qu’en l’espèce « la poursuite en diffamation n’est pas véritable et de bonne foi, mais simplement un prétexte dans le seul but de réduire au silence les opposants et les critiques [des sociétés minières] » et constituait donc un abus de procédure [para. 66].
La Haute Cour s’est dite « convaincue que cette action correspond à l’ADN d’une poursuite-bâillon » et que le moyen de défense des défendeurs était valide. Ce faisant, la Haute Cour a déclaré que « les poursuites-bâillons constituent un abus de procédure et sont incompatibles avec nos valeurs et notre régime constitutionnels », et a rappelé l’importance de la liberté d’expression pour une société démocratique [par. 66]. La Cour a donc rejeté l’argument des sociétés minières selon lequel elles étaient autorisées à poursuivre des activistes pour diffamation dans le « seul but de réduire les activistes au silence » et a considéré l’argument « insoutenable selon notre régime constitutionnel, lequel prône la liberté d’expression, l’engagement actif du public dans les questions d’évaluation environnementale et l’examen public actif des grandes entreprises multinationales » [para. 20].
Les sociétés minières ont demandé à faire appel directement devant la Cour constitutionnelle.
Le juge Madjiedt a rendu le jugement unanime de la Cour. La question centrale pour la Cour était de savoir si les poursuites-bâillons relevaient de la catégorie d’abus de procédure.
En opposant une fin de non-recevoir pour poursuite-bâillon, les activistes faisaient valoir que les sociétés minières avaient intenté les poursuites pour diffamation alors qu’elles n’avaient pas allégué de préjudices patrimoniaux ou que les déclarations diffamatoires étaient fausses, et que les sociétés « ne croyaient pas honnêtement » qu’elles obtiendraient les dommages et intérêts qu’elles réclamaient [para. 13]. Ils plaidaient que les poursuites faisaient partie d’un « modèle de comportement » dans lequel les sociétés minières ont intenté des poursuites pour diffamation dans le but occulte de décourager les critiques du public à l’égard de leurs activités et d’intimider et de réduire au silence les opposants. Il s’agissait selon eux d’un abus de procédure judiciaire parce que cherchant à réaliser « une fin répréhensible » et utilisait le procès uniquement pour faire taire les écologistes ce qui enfreint leur droit à la liberté d’expression. Ils soutenaient que le principe d’abus de procédure existant prévoit une défense en matière de poursuites-bâillons et que le motif des sociétés minières était la seule question à examiner par la Cour. Quant au fond de la poursuite en diffamation, il ne devrait pas être pris en compte dans la décision de la Cour.
Les sociétés minières faisaient valoir que les écologistes n’avaient pas satisfait aux exigences relatives à l’abus de procédure en vertu du droit sud-africain. Ils ajoutaient que le bien-fondé de l’affaire en diffamation devait être pris en considération et que les écologistes ont eu tort de faire valoir que le motif d’un demandeur d’intenter une procédure de diffamation était le seul facteur pour évaluer si l’affaire constitue une poursuite-bâillon.
La Cour s’est référée à l’affaire canadienne Pointes Protection Association pour définir les poursuites-bâillons comme étant: « des poursuites intentées contre des individus ou des organisations qui s’expriment ou qui prennent position sur une question d’intérêt public … non pas comme moyen direct de faire valoir le bien‑fondé d’une demande légitime, mais comme moyen indirect de limiter l’expression d’autres personnes… et dissuader ces personnes (ou d’autres personnes intéressées) de participer à des discussions sur des affaires d’intérêt public » [para. 2]. La Cour a reconnu que les poursuites-bâillons sont utilisées pour intimider, « faire taire ou perturber » un opposant et « le noyer sous la paperasse ou le mettre en faillite avec des frais de justice » et que le principal objectif du demandeur n’est pas de faire valoir un droit [para. 43].
La Cour a reconnu que les médias, les lanceurs d’alerte et les militants sont le plus souvent visés par des poursuites-bâillons et a souligné l’importance de la société civile en notant que « l’une des caractéristiques les plus positives de notre ordre démocratique naissant est la participation dynamique, vigilante et bruyante de la société civile aux affaires publiques » [para. 1].
La Cour a ensuite évalué la nature de l’abus de procédure en droit sud-africain et a classé les formes d’abus comme abus flagrant de procédure judiciaire, le recours à des litiges frivoles et vexatoires et le recours à des poursuites pénales pour poursuivre des objectifs spécifiques. La Cour a expliqué qu’il y avait « certainement lieu d’argumenter » que la Cour devrait reconnaître les poursuites-bâillons comme une nouvelle catégorie ou une variante d’une catégorie d’abus de procédure parce qu’il s’agirait simplement pour un tribunal de « réglementer ses propres procédures » [para. 83]. Par conséquent, la Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire de reconnaître spécifiquement la défense de poursuite-bâillon puisque le droit sud-africain en matière d’abus de procédure la permet déjà.
En examinant les éléments d’abus de procédure qu’aurait une défense en matière de poursuite-bâillon, la Cour a posé la question suivante : « Quels rôles doivent jouer l’intention et le bien-fondé, si tant est qu’ils existent ? » des poursuites-bâillons dans la catégorie d’abus de procédure [para. 77]. Les sociétés minières ont fait valoir que l’intention ne devrait jamais jouer un rôle et que les écologistes ont soutenu que le bien-fondé n’était pas pertinent. La Cour a jugé que les arguments de toutes les parties « ne tiennent pas compte de la définition d’une poursuite-bâillon » [para.79]. Elle a rejeté la comparaison par les sociétés minières entre les affaires en matière pénale et les poursuites-bâillons et a déclaré que si le motif d’une poursuite pénale n’a pas d’incidence sur la légalité d’une arrestation, ce n’est pas le cas dans une poursuite en diffamation. La Cour a également rejeté l’amalgame proposé par les écologistes quant aux poursuites engagées à des fins inavouées et a souligné qu’une poursuite-bâillon ne devrait pas être confondue avec d’autres affaires comportant un objectif inavoué (qui s’appuient sur l’intention) ou avec des procédures frivoles et vexatoires (qui ne s’appuient que sur le bien-fondé) [para. 79]
La Cour a fait remarquer que « les véritables poursuites-bâillons, telles qu’elles sont exercées dans d’autres juridictions, présentent des caractéristiques particulières qui nécessitent une approche plus nuancée qu’un simple objectif inavoué » [para. 82]. Elle a fait référence à la législation de la Californie, du Connecticut et du Missouri et a décrit la loi canadienne sur la protection de la participation du public de la province de l’Ontario comme « un excellent exemple » [para. 87]. La Cour a noté que ces lois sont conçues pour prévenir les poursuites-bâillons et prévoient un mécanisme rapide pour les combattre. La législation américaine impose au défendeur le fardeau « de prouver qu’il mérite d’être protégé et que la demande du demandeur manque de substance véritable ou de perspectives de succès » [para. 85]. La Cour a souligné que dans ces affaires, le bien-fondé joue un rôle. Une fois que le défendeur s’est acquitté de cette obligation, le demandeur est alors tenu de démontrer la « perspective raisonnable » de succès de la poursuite. Dans les lois de l’Ontario, il incombe au défendeur de démontrer que « la procédure engagée contre lui découle d’une expression relative à une question d’intérêt public » et, par la suite, le demandeur doit démontrer « qu’il a des motifs de croire que sa démarche a un bien-fondé substantiel et que le défendeur n’a pas de défense valable » et que « le préjudice susceptible d’être subi et l’intérêt public rattaché au maintien de la procédure l’emportent sur l’intérêt public dans la protection de l’expression » [para. 87]. Comme la Cour l’a souligné, l’exemple canadien démontre que « tant l’intention que le bien-fondé jouent un rôle décisif » [para. 87].
La Cour a introduit le concept de « litige abusif » et a donné l’exemple d’un demandeur qui intente une poursuite en diffamation « lorsqu’il y a très peu, voire aucune, possibilité d’établir une action en diffamation » et lorsque le but est de réduire le défendeur au silence ou de l’accabler [para. 94]. Elle a noté qu’une telle poursuite ne violerait pas le droit d’accès à la justice prévu dans la Constitution, car elle porterait simplement sur « le recours à la procédure judiciaire et aux frais juridiques y étant relatif comme moyen à des fins inadmissibles, susceptibles de causer un préjudice appréciable aux droits fondamentaux » [para. 94]. Ce type de poursuite implique « l’intention et la conséquence » [para. 94]. La Cour a déclaré que ce litige abusif « relèverait de la doctrine de common law en matière d’abus de procédure » [para. 95]. Elle a ajouté que le bien-fondé de l’affaire déterminerait si le demandeur est en « droit de faire valoir ses droits » et que l’intention est pertinente pour déterminer le « véritable objet du litige » [para. 95].
Par conséquent, la Cour a statué que l’interprétation actuelle de l’abus de procédure peut inclure la défense de poursuite-bâillon. La Cour a expliqué qu’une « défense en matière de poursuite-bâillon garantit que les tribunaux peuvent protéger leur propre intégrité en veillant à l’utilisation de leurs procédures [et] garantit que la loi sert son objectif principal, qui est celui de veiller à ce que justice soit rendue et qu’elle ne soit pas utilisée à des fins odieuses et occultes » [para. 100].
Cependant, en l’espèce, pour que la défense de la poursuite-bâillon soit accueillie, les activistes devaient prouver que la poursuite en diffamation “(a) constitue un abus de procédure judiciaire; (b) n’est pas intentée pour faire valoir un droit; (c) équivaut à l’utilisation de la procédure judiciaire pour parvenir à une fin inappropriée et à utiliser le litige pour causer aux défendeurs un préjudice financier et/ou autre afin de les réduire au silence; et (d) viole ou est susceptible de violer de manière substantielle, le droit à la liberté d’expression consacrée à l’article 16 de la Constitution » [para. 96]. La Cour a estimé que les activistes n’avaient pas satisfait l’ensemble de ces critères.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
Cet arrêt confirme l’existence d’une défense contre les poursuites-bâillons en cas de diffamation en Afrique du Sud, mais la Cour constitutionnelle a axé son raisonnement sur le droit des tribunaux à réglementer leur propre procédure et à agir contre les atteintes à la procédure plutôt que de discuter de l’importance de la défense contre les poursuites-bâillons pour le droit à la liberté d’expression.
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