Sécurité nationale, Liberté de la presse, Respect de la vie privée, protection des données et rétention, Surveillance
Manohar c. Union of India
Inde
Affaire résolue Élargit l'expression
Ce cas est disponible dans d'autres langues: Voir en : English Voir en : Español Voir en : العربية
La Cour constitutionnelle de Colombie a jugé qu’un organisme d’État avait violé les droits fondamentaux de la requérante en lui refusant l’accès à ses bureaux parce qu’elle avait déjà participé à une manifestation pacifique devant son bâtiment. La requérante a affirmé qu’elle n’avait pas été autorisée à entrer dans le bâtiment pour des raisons de discrimination raciale, à cause de ses origines afro-colombiennes. La Cour a estimé que l’agence, et non la direction de l’immeuble comme affirmé, avait collecté des données personnelles sur la requérante après sa participation aux manifestations. Cela a violé l’habeas data de la requérante et son droit à l’égalité car elle n’a pas été informée ni de la véritable raison pour laquelle l’accès au bâtiment lui avait été refusé, ni de l’existence de « données négatives » la concernant suite à sa participation à la manifestation. De l’avis de la Cour, la situation a été encore aggravée parce que la requérante a également été empêchée d’exercer des activités légitimes au sein de l’organisme public. Pour toutes ces raisons, la Cour a décidé de protéger les droits fondamentaux de la requérante et a ordonné à l’organisme de s’excuser publiquement pour sa conduite inappropriée, de publier une copie de ses excuses dans « un espace facilement accessible au public», de supprimer de ses bases de données les informations négatives sur la requérante et, enfin, de s’abstenir d’agir de la sorte à l’avenir.
Une citoyenne colombienne a participé à une manifestation pacifique contre un organisme public qui gère les bourses d’études et les prêts aux étudiants. Quelques jours plus tard, la citoyenne s’est rendue dans les locaux de l’agence pour demander un prêt-subvention pour poursuivre ses études. À leur arrivée dans le local de l’agence, la requérante et ses compagnons ont été empêchés d’entrer. Après avoir exprimé leurs griefs, tous, à l’exception de la requérante, ont été autorisés à accéder au bâtiment. La requérante a exigé une explication et a été forcée d’attendre à l’extérieur du bâtiment jusqu’à ce qu’un des responsables de l’agence lui dise qu’il pouvait recevoir le dossier de sa demande de prêt, mais à l’extérieur des bureaux de l’agence.
En conséquence, la citoyenne a intenté une action de tutela (une action visant à faire respecter les droits constitutionnels) contre l’organisme public. Selon elle, l’accès au bâtiment lui a été refusé pour des raisons de discrimination raciale, à cause de ses origines afro-colombiennes. La requérante a déclaré que cette situation lui avait causé de l’embarras et de l’humiliation parce qu’elle était la seule personne à qui l’accès aux locaux de l’agence lui avait été refusé.
En réponse à l’action de tutela, l’agence publique a fait valoir que la raison pour laquelle la requérante a été empêchée d’accéder à ses locaux n’est pas imputable à l’agence mais à la direction de l’immeuble. Cette dernière avait été informée que différentes manifestations allaient avoir lieu dans la ville et qu’elle devait adopter des mesures pour protéger les personnes à l’intérieur du bâtiment. L’agence a révélé que parce que la citoyenne avait participé à une manifestation pacifique quelques jours auparavant, sa photo, son nom et son numéro d’identification ont été enregistrés dans les dossiers de sécurité, et lorsqu’elle a tenté d’entrer dans le bâtiment, on lui a refusé l’accès afin d’éviter un quelconque trouble à l’ordre public à l’intérieur de l’immeuble.
La juge de première instance s’est prononcée contre la protection des droits de la requérante. Elle a considéré que les décisions de la direction de l’immeuble ne pouvaient être attribuées à l’agence et, à son avis, la direction de l’immeuble était chargée de bloquer l’accès de la requérante. Toutefois, elle a mis en garde l’agence et lui a demandé de prendre les mesures nécessaires pour garantir qu’à l’avenir, la requérante ou tout autre membre de la communauté d’ascendance africaine puisse accéder à ses locaux. La requérante n’a pas fait appel de la décision.
La Cour a retenu la décision pour révision. Elle a infirmé la décision de première instance et protégé les droits des requérants. En conséquence, elle a ordonné à l’agence de s’excuser publiquement et de s’abstenir de tout acte similaire à l’avenir.
La Cour devait décider si le fait de restreindre l’accès d’un citoyen à un bâtiment public parce qu’il avait participé à une manifestation pacifique devant le bâtiment quelques jours auparavant violait les droits du citoyen à l’égalité et à la liberté d’expression.
La Cour a considéré que le droit de manifester publiquement et pacifiquement est protégé par la Constitution et les traités internationaux ratifiés par la Colombie. Elle a déclaré que ce droit est une manifestation de la liberté d’expression et qu’il a pour but « d’attirer l’attention des autorités et de l’opinion publique sur une question précise et sur les besoins de certains secteurs sociaux, généralement une minorité, afin qu’ils puissent être pris en compte par les autorités » [p. 13]. La Cour a ajouté : « La Constitution politique garantit le droit de se rassembler et de manifester publiquement aussi bien dans une dimension statique (réunion) que dynamique (mobilisation), individuellement et collectivement, et sans aucune discrimination, car c’est ce que l’on déduit de l’expression « tout le monde ». Tout cela, sans autre condition que d’être pacifique, c’est-à-dire sans violence, armes ou troubles graves à l’ordre public. Cela signifie que seules les manifestations pacifiques bénéficient d’une protection constitutionnelle. Ainsi, même en reconnaissant qu’il existe une tension entre l’exercice du droit de réunion et de manifestation publique et pacifique et le maintien de l’ordre public, le législateur ne peut aller au-delà des principes du caractère raisonnable et de la proportionnalité lorsqu’il utilise sa marge d’appréciation ou établit une restriction dont l’imprécision fait obstacle à ce droit » [p. 13].
De plus, la Cour a déclaré que tout citoyen a le droit de « connaître, mettre à jour et rectifier les renseignements qui le concernent figurant dans les registres et bases de données publics et privés » [p. 15] ; c’est ce qu’on appelle le droit à l’habeas data, protégé par la Constitution et largement développé par la jurisprudence constitutionnelle. Ce droit comporte également une double dimension qui englobe d’une part, que les personnes concernées consentent à « autoriser la collecte, le stockage et le traitement des données » [p. 15 et 16] et, d’autre part, que les personnes concernées connaissent « les renseignements qui sont recueillis à leur sujet, pour qu’elles soient en mesure de demander leur mise à jour et rectification, au besoin [p. 16].
La Cour a particulièrement souligné que les « listes noires » ne contenant que des données négatives sont interdites dans un État démocratique et transparent [p. 17].
En ce qui concerne le cas d’espèce, la Cour a estimé que si les organismes publics peuvent, en principe, restreindre l’accès à leurs locaux en exerçant leur droit d’admission et de permanence, ils ne peuvent pas exercer ce droit lorsqu’il s’agit d’une classification suspecte, telle que l’origine ethnique ou raciale d’une personne. La Cour a ajouté que l’acte était aggravé parce que l’accès n’avait été refusé qu’à la requérante, en présence d’autres personnes auxquelles aussi l’accès avait été initialement refusé.
Pour la Cour, il était clair que « bien que [l’organisme] ait généralement déclaré que c’était la direction de l’immeuble … qui a pris la décision de refuser l’accès à la requérante … Ce qui ressort clairement des informations figurant dans le dossier, c’est que la raison pour laquelle la requérante a été empêchée d’entrer dans le bâtiment à cette date était en rapport avec les actes qu’elle avait elle-même commis […] lorsqu’elle a participé à l’occupation pacifique desdits locaux et que l’organisme a ajouté à sa base de données la mention « ne pas autoriser l’accès » [p. 27] [en gras dans l’original]. Cela a violé l’habeas data de la requérante et son droit à l’égalité, entre autres droits, car la raison pour laquelle elle ne pouvait pas entrer dans le bâtiment ne lui a jamais été communiquée. En outre, elle n’a pas été informée de l’existence de « données négatives » la concernant suite à sa participation à une manifestation qui a eu lieu quelques jours auparavant. De l’avis de la Cour, la situation est encore aggravée « lorsque non seulement ces renseignements sont cachés à la personne concernée, mais qu’ils sont utilisés pour restreindre davantage les droits fondamentaux de cette personne lorsqu’elle souhaite effectuer une procédure dans les locaux, comme ce fut le cas en l’espèce » [p. 28].
Pour toutes ces raisons, la Cour a décidé de protéger les droits fondamentaux de la requérante et a ordonné à l’organisme de s’excuser publiquement pour sa conduite inappropriée, de publier une copie de ses excuses dans « un espace facilement accessible au public », de supprimer de ses bases de données les informations négatives sur la requérante et, enfin, de s’abstenir d’agir de la sorte à l’avenir.
Le juge Luis Ernesto Vargas Silva a rédigé une opinion concordante. Il a indiqué que, même s’il était d’accord avec la décision de la Cour, celle-ci n’avait pas procédé à une analyse plus rigoureuse du droit de protester en tant que manifestation du droit à la liberté d’expression.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
La décision élargit le droit à la liberté d’expression et en particulier le droit de manifester car elle répond aux normes internationales et introduit des règles fondamentales sur l’utilisation abusive des données personnelles collectées lors d’une manifestation.
La décision contient des considérations précieuses sur le droit de manifester, l’habeas data et l’égalité. Il convient de souligner que la décision a permis à l’activiste, militante des droits humains des communautés d’ascendance africaine, de poursuivre ses programmes sociaux et ses recherches dans ce domaine. En outre, l’avertissement adressé à l’organisme public de s’abstenir de tout comportement discriminatoire constitue un précédent important.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
Faites-nous savoir si vous remarquez des erreurs ou si l'analyse de cas doit être révisée.