M. L. et W.W. c. Allemagne

Affaire résolue Résultat mitigé

Key Details

  • Mode D'expression
    Communication électronique / basée sur l'internet
  • Date de la Décision
    juin 28, 2018
  • Résultat
    Violation de l'article 10
  • Numéro de Cas
    App. Nos. 60798/10 and 65599/10
  • Région et Pays
    Allemagne, Europe et Asie Centrale
  • Organe Judiciaire
    Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH)
  • Type de Loi
    Droit international/régional des droits de l'homme
  • thèmes
    Liberté de la presse, Respect de la vie privée, protection des données et rétention
  • Mots-Cles
    Droit à l'oubli, Liberté de la presse

Ce cas est disponible dans d'autres langues:    Voir en : English    Voir en : Español    Voir en : العربية

Analyse de Cas

Résumé du Cas et Résultat

La Cour européenne des droits de l’homme (« CEDH ») a rejeté une requête concernant la violation du droit à la vie privée et une demande de droit à l’oubli, en ce qui concerne une condamnation pour meurtre au titre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (« CEDH »). L’affaire concerne deux individus allemands, Messieurs M.L. et W.W., qui ont été condamnés à perpétuité pour le meurtre d’un acteur allemand célèbre en 1991. En 2000, ces derniers avaient demandé la réouverture de l’affaire, mais sans succès, à la suite de quoi les médias locaux avaient relaté, à l’occasion de l’anniversaire du meurtre, l’histoire et la tentative de réouverture de l’affaire. En 2007, les intéressés ont demandé l’anonymisation de ces reportages. La Cour fédérale allemande a jugé que ceux-ci n’avaient pas droit à l’anonymisation, au motif que cela portait atteinte au droit du public d’être informé des questions d’intérêt public. Les personnes concernées se sont ensuite adressées à la CEDH, qui a confirmé la conclusion de la Cour fédérale allemande selon laquelle il existe un intérêt public permanent pour des événements survenus dans le passé. La Cour a conclu que le droit du public à la liberté d’expression l’emportait sur le droit à la vie privée et ne constituait donc pas une violation de leur droit au titre de l’article 8.


Les Faits

Les requérants, M.L. et W.W., étaient des demi-frères qui ont été condamnés à perpétuité le 21 mai 1993 sur la base de preuves circonstancielles. Ils avaient été condamnés pour le meurtre, en 1991, d’un acteur célèbre, W.S.

Suite à leur condamnation, les requérants ont déposé plusieurs demandes de réouverture de la procédure (Wiederaufnahme), d’abord en 1994, puis en 2000 et 2004. Dans tous les cas, leur demande a été rejetée. M.L. et W.W. ont été libérés sous contrôle judiciaire en août 2007 et janvier 2008 respectivement.

En 2000, une station de radio allemande (Deutschlandradio) a diffusé un reportage concernant la condamnation de deux individus pour le meurtre d’un acteur célèbre en 1991. Le reportage nommait les individus, M.L. et W.W., et indiquait qu’une demande de réouverture de leur dossier auprès de la Cour constitutionnelle avait échoué. La transcription de ce rapport est restée disponible sur le site web de la station de radio, archivée dans la section intitulée « Informations moins récentes » sous Kalenderblatt, au moins jusqu’en 2007.

En 2007, M.L. et W.W. ont intenté une action contre la station de radio devant le tribunal régional de Hambourg, demandant l’anonymisation des données personnelles figurant dans la transcription du reportage de la station de radio datant de 2000. Dans le cadre d’une seconde procédure, les requérants ont également introduit deux plaintes contre l’hebdomadaire Der Spiegel, qui avait publié entre 1991 et 1993 une série d’articles divulguant les noms et prénoms des requérants, donnant un compte rendu détaillé du meurtre de W.S., de sa vie, de l’enquête criminelle et des preuves rassemblées par les autorités chargées des poursuites, et évoquant l’échec des requérants à faire rouvrir leur dossier. Deux de ces articles comportaient des photographies, l’une montrant les deux requérants dans la salle d’audience du tribunal pénal, une autre montrant le premier requérant avec un agent pénitentiaire, et une troisième montrant le second requérant avec W.S. Enfin, dans le cadre d’une troisième procédure, les requérants ont également intenté une action contre le quotidien Mannheimer Morgen pour faire retirer un article divulguant leurs noms et prénoms et publié sur un site Internet.

Le 29 février 2008, le tribunal régional de Hambourg a accueilli la demande de M.L. et W.W. en ce qui concerne le premier ensemble de procédures, déclarant que l’intérêt des deux requérants à ne plus être confrontés à leurs actes après leur condamnation primait sur l’intérêt du public à être informé de la participation des requérants à ces actes. La Cour a souligné que le droit à l’oubli des deux individus était un droit supérieur et que les informations concernant M.L. et W.W. n’étaient plus pertinentes car le public avait été suffisamment informé de l’affaire au moment où elle avait été rapportée pour la première fois.

Le 29 juillet 2008, la Cour d’appel, par deux arrêts, a confirmé la décision du tribunal régional. La Cour a noté que les droits de la personnalité des requérants avaient été violés et qu’ils avaient droit à une « protection spéciale » en vue de leur permettre de se réintégrer dans la société. Étant donné que les requérants couraient le risque que d’autres personnes (c’est-à-dire des collègues, des voisins, etc.) puissent identifier leurs noms et contribuer à l’ébruitement de leur implication dans cette affaire, il était alors essentiel de leur accorder une telle protection. Le fait que les informations sur Internet soient souvent impossibles à effacer n’était pas suffisant pour modifier la décision. En ce qui concerne la liberté d’expression de la station de radio, la Cour a également estimé que l’atteinte au droit de la station de radio était minime, car la décision n’interdisait pas la diffusion de matériel mais posait simplement la condition de ne pas divulguer leurs noms.

Le 15 décembre 2009, la Cour fédérale de justice a, dans deux arrêts, annulé la décision de la cour d’appel et du tribunal régional, estimant que les juridictions inférieures n’avaient pas pris en considération l’effet dissuasif sur le droit à la liberté d’expression du radiodiffuseur (la station de radio) que l’interdiction demandée par les requérants pourrait représenter, ainsi que l’intérêt public à être informé de la condamnation. Plus précisément, la Cour d’appel a estimé qu’il existe un intérêt public permanent pour les événements qui se sont produits dans le passé, étant donné que les rapports concernant les infractions pénales font partie de « l’histoire contemporaine » dont les médias ont la responsabilité de rendre compte. En se référant à l’arrêt Österreichischer Rundfunk c. Autriche (no 35841/02, § 68, 7 décembre 2006), la Cour a également souligné que même si les délinquants avaient purgé leur peine, ils ne pouvaient pas revendiquer un droit absolu à ne pas être confrontés à leurs actes. En tout état de cause, celle-ci a estimé que le rapport contenant les noms de M.L. et W.W. ne pouvait être trouvé par les utilisateurs qu’en recherchant des informations directement liées aux deux individus. [p. 8]

En ce qui concerne la deuxième série de procédures, la Cour fédérale de justice a adopté le même raisonnement dans ces affaires que dans l’affaire contre la station de radio. La Cour a estimé que les délinquants ne bénéficient pas du droit de faire supprimer les reportages les désignant, et surtout pas dans le contexte de meurtres. Quant aux photographies, la Cour a convenu qu’en vertu de l’article 23(1)(1) de la loi sur le droit d’auteur, la personne dont le droit est violé est autorisée à demander la protection contre la publication de photographies si ses intérêts légitimes ont été violés. Toutefois, en l’espèce, les photographies – premièrement, celle des requérants dans le box des accusés dans la salle d’audience ; deuxièmement, celle du premier requérant accompagné d’un agent pénitentiaire ; et, troisièmement, celle du deuxième requérant avec W.S. – servaient à illustrer les articles authentifiant les rapports et ne portaient pas plus atteinte aux requérants qu’une photographie montrant leur profil et prise dans un contexte neutre. Par conséquent, la Cour a conclu que les requérants n’avaient aucun intérêt légitime, au sens de l’article 23(2) de la Loi sur le droit d’auteur, à interdire la publication des photographies. [Les autres procédures des requérants ont également été rejetées par les tribunaux.]

Contre le jugement des juridictions inférieures, M.L. et W.W. ont déposé un recours constitutionnel auprès de la Cour constitutionnelle fédérale. Le 6 juillet 2010, la Cour constitutionnelle fédérale a refusé d’entendre le recours. En octobre 2010, M.L. et W.W. ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, arguant que le fait de ne pas avoir rendu anonymes les références à leurs noms dans les médias constituait une violation de leur droit à la vie privée au titre de l’article 8 de la CEDH.

 


Aperçu des Décisions

La cinquième section de la Cour européenne des droits de l’homme (« CEDH ») a rendu l’arrêt de la Cour. La question principale qui se posait à la CEDH était de savoir si le droit à la vie privée de M.L. et W.W. primait sur le droit à la liberté d’expression dont jouissaient les médias/radiodiffuseurs.

L’article 8 de la CEDH détaille le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas où l’exercice de ce droit est prévu par la loi et constitue une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Considérant qu’en vertu de l’article 17 du Règlement général sur la protection des données (« RGPD »), les personnes concernées ont le droit d’obtenir des éditeurs l’effacement des données à caractère personnel les concernant.

En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 8 de la CEDH, les requérants se sont plaints du fait que le fait d’être étiquetés en permanence comme des meurtriers sur Internet rendrait leur réintégration dans la société impossible. Ils ont également fait valoir qu’une demande expresse d’anonymat ne restreindrait pas la liberté d’expression des radiodiffuseurs. Le gouvernement, quant à lui, a affirmé qu’imposer aux médias une obligation permanente de vérifier leurs archives numériques afin de rendre les reportages anonymes constituerait une ingérence excessive [p. 24]. [Il est intéressant de noter que le gouvernement a fait valoir que la directive 95/46/CE et la loi fédérale sur la protection des données (ayant transformé la directive) ne garantissaient pas le droit à l’oubli mais se contentaient de fixer les conditions dans lesquelles les données personnelles devaient être supprimées.]

La Cour a observé que l’affaire impliquait un conflit entre deux droits fondamentaux protégés par la CEDH : le droit de M.L. et W.W. au respect de leur vie privée en vertu de l’article 8 et le droit à la liberté d’expression des médias en vertu de l’article 10. Elle a noté que le droit à la liberté d’expression ne se référait pas seulement au droit dont jouissaient les médias spécifiques en l’espèce, mais qu’il incluait la liberté générale de la presse d’informer le public.

La Cour européenne des droits de l’homme a observé que l’ingérence dans la jouissance par les requérants du droit au respect de leur vie privée était, à première vue, une conséquence de la décision des médias de publier des informations et de les maintenir disponibles sur leur site web. D’emblée, la Cour a distingué les obligations des moteurs de recherche envers l’individu qui fait l’objet de l’information de celles de l’entité qui a initialement publié l’information. Elle a estimé que la Cour doit accorder des critères d’appréciation différents pour une demande de suppression concernant l’éditeur initial de l’information, dont l’activité est généralement au cœur de ce que la liberté d’expression vise à protéger, par rapport à un moteur de recherche dont l’intérêt principal n’est pas de publier l’information initiale sur la personne concernée, mais notamment de permettre l’identification de toute information disponible sur cette personne et d’établir son profil. [p. 30]

Par conséquent, la Cour a placé cette affaire dans le contexte des canaux de communication numériques ayant augmenté le risque d’atteinte à la vie privée. Tout en examinant le conflit entre les deux droits, elle a appliqué un critère de mise en balance en considérant la contribution des articles à un débat d’intérêt général, la notoriété des personnes concernées et l’objet du reportage, le comportement antérieur de M.L. et W.W. à l’égard des médias, ainsi que le contenu, la forme et l’impact de la publication.

La Cour a estimé qu’il existait un intérêt pour les informations relatives au crime et à la condamnation ainsi que pour les tentatives de réouverture de l’affaire, et qu’il existe un intérêt public à être informé des événements passés. La Cour a observé que le fait d’exiger des fournisseurs de contenu qu’ils contrôlent leurs archives pour en retirer les informations personnelles ou qu’ils cessent d’archiver leur travail aurait un effet dissuasif sur la jouissance de la liberté d’expression.

La Cour a également noté que M.L. et W.W. étaient des personnalités connues en raison de leur condamnation et que cela créait une attente légitime pour le public d’être informé des développements. Citant la jurisprudence, elle a conclu que l’intérêt légitime du public à accéder aux archives publiques de la presse sur Internet est protégé par l’article 10 de la Convention et que des raisons particulièrement fortes doivent être invoquées pour toute mesure limitant l’accès aux informations que le public est en droit de recevoir. [p. 31]

Plus particulièrement, en ce qui concerne l’argument des requérants – à savoir qu’ils ne demandaient pas que les reportages contestés soient supprimés, mais seulement que leurs noms n’y figurent plus – la Cour a invoqué la liberté journalistique au titre de l’article 10 pour déclarer que la CEDH laisse aux journalistes le soin de décider quels détails doivent être publiés pour assurer la crédibilité d’une publication sous réserve que les choix que ceux-ci opèrent à cet égard soient fondés sur les règles d’éthique et de déontologie de leur profession.

En outre, M.L. et W.W. ont cherché à impliquer la presse dans leurs tentatives de réouverture de l’affaire. La Cour s’est référée aux reportages en question et a observé qu’ils avaient décrit la décision judiciaire de manière objective et a noté que les informations contenues dans les articles étaient limitées puisqu’elles étaient restreintes aux pages d’actualités des sites web et à ceux qui avaient un accès payant. En outre, étant donné l’attention publique considérable dont les requérants ont fait l’objet en raison de la nature et des circonstances du crime et de la notoriété de la victime, la Cour a également conclu que les requérants n’étaient pas de simples particuliers inconnus du public au moment où ils ont demandé l’anonymat.

Il est également important de noter qu’en ce qui concerne l’exigence d’une attente légitime au titre de l’article 23(1)(1) de la loi sur le droit d’auteur, la Cour européenne des droits de l’homme a également estimé que, compte tenu du comportement des requérants à l’égard de la presse, il n’était possible de conclure qu’à une attente légitime limitée d’obtenir l’anonymat dans les rapports ou même un droit à l’oubli en ligne. Par conséquent, l’intérêt des requérants à ne plus être confrontés à leur condamnation à travers les informations stockées sur les portails Internet d’un certain nombre de médias a été considéré par la Cour comme « moins important » en l’espèce. [p. 33]

Dès lors, compte tenu de l’importance du maintien de l’accès aux reportages, du comportement des requérants à l’égard de la presse et au vu de la marge d’appréciation dont disposent les autorités nationales pour mettre en balance des intérêts contradictoires, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 de la CEDH.

 


Direction De La Décision

Info Rapide

La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.

Résultat mitigé

Dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a soutenu la protection des archives des médias en mettant en balance l’article 8 et l’article 10 de la CEDH, concluant que l’effet dissuasif potentiel découlant de la demande d’anonymisation à l’encontre des organisations de médias pour les articles archivés ferait pencher la balance en faveur de l’article 10. Cependant, comme indiqué ailleurs, tout en représentant une forte affirmation des droits des éditeurs initiaux dans le contexte des publications relatives aux condamnations, la Cour a également souligné que les opérateurs de moteurs de recherche ne jouissent pas des mêmes droits et que leurs intérêts n’ont pas le même poids dans de tels cas. Ceci est cohérent avec le raisonnement de la CJUE dans l’affaire Google Spain. Par conséquent, l’affaire n’est pas très susceptible d’aider les revendications en matière de protection de la vie privée contre les éditeurs initiaux (par opposition aux plateformes de moteurs de recherche).

Perspective Globale

Info Rapide

La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.

Tableau Des Autorités

Lois internationale et/ou régionale connexe

Importance du Cas

Info Rapide

L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.

La décision établit un précédent contraignant ou persuasif dans sa juridiction.

La décision a été citée dans:

Documents Officiels du Cas

Pièces Jointes:

Vous avez des commentaires?

Faites-nous savoir si vous remarquez des erreurs ou si l'analyse de cas doit être révisée.

Envoyer un Retour D'information