Cybersécurité / cybercriminalité, Respect de la vie privée, protection des données et rétention, Violence contre les orateurs / impunité
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Pays-Bas
En cours Élargit l'expression
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Le ministère public de Colombie a déclaré que l’enlèvement, la torture et les agressions sexuelles commis contre Jineth Bedoya, journaliste du quotidien El Espectador, par des paramilitaires en collusion avec des agents de l’État constituaient des crimes contre l’humanité. Avant son enlèvement, Jineth Bedoya Lima enquêtait sur une série de crimes commis par des paramilitaires et des agents de l’État dans la prison Modelo à Bogota. La phase préliminaire de l’enquête sur les crimes commis contre elle a duré 11 ans sans donner de résultats. Par conséquent, le délai de prescription des crimes contre Jineth Bedoya avait expiré et pour engager des poursuites, les procureurs devaient déterminer si les crimes contre elle relevaient des crimes contre l’humanité, prolongeant ainsi la prescription.
Jineth Bedoya Lima, journaliste au journal El Espectador, menait une enquête sur une série de crimes commis par des membres de groupes paramilitaires et des responsables gouvernementaux dans la prison de Modelo à Bogota. Les articles de la journaliste ont mis la lumière sur de graves violations des droits de l’homme dont des exécutions extrajudiciaires et autres crimes tels que le trafic d’armes.
Plusieurs jours avant l’enlèvement de Jineth Bodoya, d’autres journalistes enquêtant sur les mêmes affaires ont reçu des menaces envoyées par voie postale vers les bureaux du journal. En réponse à ces menaces, Jineth Bodoya a essayé de contacter des membres des groupes paramilitaires qui sont en prison. Le 25 mai 2000, Jineth Bedoya a reçu un appel téléphonique qui l’invitait à se présenter pour une réunion en face-à-face dans la prison de Modelo avec un membre d’un groupe paramilitaire pour obtenir des informations qui soi-disant devaient l’intéresser.
Aux portes de la prison, un homme l’a menacée avec un pistolet et l’a emmenée de force dans un dépôt où elle a été retenue pendant 16 heures avec les yeux bandés et a été maltraitée physiquement et insultée et on lui a dit qu’elle était traitée de la sorte pour donner une leçon aux journalistes d’El Espectador. Elle a ensuite été violée et abandonnée sur une route menant vers Bogota. Le rédacteur juridique d’El Espectador a porté plainte au nom de Jineth Bodoya. La police a ouvert une enquête dont l’étape préliminaire a duré 11 ans sans aboutir à aucun résultat.
Lors d’un entretien avec un enquêteur du bureau du procureur général, Alejandro Cárdenas Orozco a reconnu avoir été envoyé par un groupe paramilitaire (le Bloque Centauros) pour “tuer” la journaliste Jineth Bedoya mais que l’ordre a changé à la dernière minute et c’est pour cette raison qu’elle avait été relâchée. Lors de la procédure probatoire, la journaliste a identifié Alejandro Cárdenas Orozco comme étant l’un de ses agresseurs.
L’affaire est encore en cours d’enquête.
Les délais de prescription pour les crimes commis à l’encontre de Jineth Bedoya avaient expiré et les procureurs devaient déterminer si les crimes en question entraient dans le cadre de l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité. Le code pénal et le code des procédures pénales de la Colombie n’incluent pas le concept des crimes contre l’humanité comme motif pour empêcher l’expiration des délais de prescription dans les procédures pénales.
Le bureau du procureur général devait déterminer si les crimes d’enlèvement, de torture et d’agression sexuelle commises à l’encontre de Jineth Bedoya pouvaient être considérés comme crimes contre l’humanité ce qui permettrait de ne plus prendre en considération les délais de prescription dans les actions pénales.
Pour prendre sa décision, le bureau du procureur public a commencé par rappeler l’obligation générale de l’état de garantir la vérité, la justice, le dédommagement et les garanties de non reproduction des crimes contre les victimes de violations graves des droits humains.
Le bureau du procureur général a ensuite déterminé le contexte dans lequel les crimes avaient été commis et a spécifié que les crimes étaient en lien direct avec le conflit armé interne en Colombie. Le bureau du procureur a déclaré que dans le contexte d’un conflit armé interne, le droit pénal doit être interprété à la lumière des instruments du droit pénal international et du droit international humanitaire et notamment les lignes directrices du Comité international de la Croix rouge, les manuels sur le concept et le champ d’application du droit international humanitaire et la jurisprudence du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.
Ensuite, le bureau du procureur général a essayé de voir si les crimes commis à l’encontre de Jineth Bedoya répondaient aux critères qui permettent d’identifier les crimes contre l’humanité. Il a été déclaré que les preuves montrent que des violations graves contre l’humanité avaient eu lieu lors du conflit interne de la Colombie dans le cadre d’attaques volontaires, généralisées et systématiques contre certains groupes de la population civile et notamment contre les journalistes. Le bureau du procureur général a souligné le fait que les instruments internationaux considéraient que la torture et la violence sexuelle commises en période de conflit armé interne constituaient des crimes contre l’humanité et que par conséquent il était permis dans cette affaire d’appliquer les statuts des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda et le statut de Rome de la Cour pénale internationale. Ces statuts qualifient un ensemble d’actes inhumains dont l’homicide volontaire, l’emprisonnement, la torture, la disparition forcée et la violence sexuelle commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre un quelconque civil , en temps de guerre comme en temps de paix, de crimes contre l’humanité.
Ainsi, le procureur public a conclu que bien que la loi pénale colombienne ne prévoit pas les crimes contre l’humanité comme délits spécifiques, cette catégorie de crimes fait partie des traités sur les droits de l’homme, les traités de droit pénal et les normes impératives connexes qui ont été adoptées dans les arrêts de la Cour suprême nationale et dans la Constitution colombienne. A ce propos, le bureau du procureur général a cité les arrêts de la Cour suprême ayant amené le droit interne à se conformer aux dispositions des traités internationaux même si la législation nationale n’avait pas encore adopté lesdits traités. (Chambre criminelle de la cour de cassation, Arrêt du 3 mai 2010, Juge María del Rosario González de Lemos)
Par ailleurs, le bureau du procureur général a exposé les éléments qui constituent les crimes contre l’humanité :
Pour le bureau du procureur général, l’affaire de la journaliste Jineth Bedoya répond aux conditions sus mentionnées :
Le bureau du procureur public a donc conclu qu’en vertu de la loi pénale colombienne il était possible de considérer les crimes tels que ceux commis à l’encontre de Jineth Bedoya comme crimes contre l’humanité, ce qui a immédiatement suspendu la prescription des procédures pénales.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
La décision étend la protection de la liberté d’expression parce qu’elle (i) accorde une meilleure protection pour la liberté d’expression dans le contexte d’un conflit armé interne, et elle (ii) permet aux autorités judiciaires de se conformer à leur obligation générale de poursuivre l’enquête, la poursuite et la pénalisation des responsables des crimes commis à l’encontre des journalistes.
Déclarer les agressions en tant que crimes contre l’humanité sur la base du droit international permet de réaffirmer l’importance de l’exercice de la liberté de presse et le rôle des journalistes dans le contexte d’un conflit armé, de souligner le besoin de combattre l’impunité pour ces crimes étant donné la censure qui en a résulté. Une telle déclaration constitue une forme de compensation pour la famille de la victime parce qu’elle reconnait la gravité du crime et cherche ainsi des résultats plus concluants sur la base d’une enquête structurée dans le contexte qui conduit au crime.
La décision est particulièrement révolutionnaire parce qu’elle constitue un pas en avant unique et important dans la législation nationale étant donné les dizaines d’affaires de meurtres ou d’agressions de journalistes ayant couvert le conflit armé colombien qui n’ont pas été élucidées ou qui ont été classées pour cause de prescription.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
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