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Corée, République de
Affaire résolue Élargit l'expression
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Le 19 février 2021, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Canada) a déclaré l’article 91 de la Loi électorale du Canada (2000) invalide. Cette disposition interdisait la publication de fausses nouvelles, telle que l’association d’un candidat éventuel à une infraction, pendant la période électorale. Cette disposition prévoyait des peines importantes, dont une amende pouvant aller jusqu’à 50 000 $ et une peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans. La Canadian Constitution Foundation a soutenu que cette disposition violait l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit la liberté d’expression puisque la disposition interdisait la diffusion de faussetés accidentelles et inconnues et s’appliquait à une catégorie trop large de personnes et de sujets. La Cour supérieure a accepté cette affirmation et a annulé la disposition tout en observant que la disposition n’établissait pas l’exigence de connaissance de la fausseté, c’est-à-dire qu’une personne pouvait être inculpée en vertu de cette disposition indépendamment du fait qu’elle savait que la déclaration qu’elle avait faite était fausse.
L’affaire a été déposée par la Canadian Constitution Foundation (CCF), un organisme de bienfaisance qui défend les droits et libertés des Canadiens (« le requérant »), pour contester la validité du paragraphe 91(1) de la Loi électorale du Canada L.C. 2000, ch. 9 (« LEC »). PEN Canada, une association littéraire luttant pour la liberté d’expression, est également intervenue en appui au requérant.
L’article 91(1) prévoit qu’il est interdit à toute personne ou entité, pendant la période électorale, de faire ou de publier avec l’intention d’influencer les résultats d’une élection, a) une fausse déclaration selon laquelle un candidat, une personne qui désire se porter candidat, le chef d’un parti politique ou une personnalité publique associée à un parti politique a commis une infraction à une loi fédérale ou provinciale ou à un règlement d’une telle loi, a été accusé d’une telle infraction ou fait l’objet d’une enquête relativement à une telle infraction; ou b) une fausse déclaration concernant la citoyenneté, le lieu de naissance, les études, les qualifications professionnelles ou l’appartenance à un groupe ou à une association d’un candidat, d’une personne qui désire se porter candidat, du chef d’un parti politique ou d’une personnalité publique associée à un parti politique.
Avant 2018, l’article 91(1) interdisait à quiconque de faire ou de publier sciemment de fausses déclarations sur le caractère personnel ou la conduite d’un candidat avant ou pendant les élections. Cet article a ensuite été modifié en 2018 [projet de loi C-76] apportant cinq modifications importantes. Premièrement, l’article 91(1) a introduit une liste énumérant les fausses déclarations interdites. Deuxièmement, il a interdit aux « entités » de faire de fausses déclarations. Troisièmement, l’article a interdit les fausses déclarations concernant une catégorie plus large de personnes, y compris le chef d’un parti politique ou « une personnalité publique associée à un parti politique ». Quatrièmement, l’article n’a interdit de faire ou de publier les fausses déclarations que pendant les périodes électorales. Finalement, l’article ne contenait plus le terme « sciemment ».
Cette affaire a été présidée par le juge Davies de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Canada). La question centrale à prendre en considération était de savoir si l’intention coupable (mens rea) prévue à l’article 91(1) de la LEC comprenait un élément de connaissance, indépendamment du retrait du terme « sciemment » de la disposition en 2018.
Pour trancher la question susmentionnée, le juge a d’abord examiné toutes les dispositions de la LEC afin d’analyser l’esprit général de la loi. Le juge a fait observer que « le législateur a clairement énoncé l’exigence de l’intention criminelle pour chaque infraction » mentionnée dans la loi. Il a ajouté que chaque fois qu’une preuve de connaissance était requise, elle était explicitement mentionnée dans la disposition d’interdiction ou d’infraction ; lorsque la preuve d’un dessein caché était requise, cela était également précisé; et lorsque la preuve de la connaissance et d’un dessein caché était requise, une telle exigence a également été explicitement déclarée [para. 42]. En évaluant les différentes dispositions de la LEC, le juge a noté qu’elle contenait plusieurs interdictions relatives aux déclarations fausses ou trompeuses avec diverses exigences d’actus reus (acte illégal) et de mens rea (intention coupable). Toutefois l’infraction de l’article 91(1) n’exigeait pas de preuve de connaissance dans le cadre de la mens rea puisqu’elle n’était pas explicitement mentionnée dans la loi [para. 37].
Le juge a poursuivi en citant des exemples de dispositions différentes de la LEC dans lesquelles de telles exigences étaient explicitement mentionnées, comme l’article 92 de la LEC interdisant à toute personne ou entité de publier une fausse déclaration selon laquelle un candidat s’est retiré d’une élection, ou l’alinéa 486(3) d) qui crée une infraction pour le fait pour une personne de contrevenir « sciemment » à l’art. 92 [para. 38]. De même, l’article 482.1 érige en infraction le fait d’entraver le Commissaire aux élections fédérales en faisant « sciemment » une déclaration fausse ou trompeuse [para. 39]. L’alinéa 56 (a) de la LEC interdit de son côté à quiconque de faire sciemment une déclaration fausse ou trompeuse sur sa qualité d’électeur. L’intention coupable (mens rea) exige ici une preuve que la personne savait que la déclaration était fausse ou trompeuse [para. 41]. En analysant ces dispositions, le juge a conclu « qu’il serait donc incompatible avec la structure de la LEC dans son ensemble d’interpréter les articles 91 et 486(3) (c) comme exigeant une preuve de connaissance lorsque cela n’était pas explicitement prévu ni dans l’interdiction ni dans l’infraction » [para. 43].
À ce stade, le procureur général a soutenu que, même si le Parlement avait décidé de supprimer le terme « sciemment » de l’article 91(1) de la LPC, il n’avait pas l’intention de modifier de façon substantielle la mens rea de l’infraction en procédant ainsi. Il a, en outre, soutenu que la suppression du terme sciemment n’était qu’une « mesure administrative visant à éliminer la redondance et à éviter la confusion ». À l’appui de sa position, le Procureur général s’est basé sur des déclarations faites par des politiciens et des représentants du gouvernement, y compris la ministre des Institutions Démocratiques Karina Gould, le Commissaire aux élections fédérales Yves Côté et un conseiller principal du Bureau du Conseil privé Jean-François Morin au dans le cadre du processus législatif [para. 44].
La Cour a rejeté la position du Procureur général pour les motifs suivants : 1) les commentaires de la ministre Gould et du Commissaire Côté ne traitaient pas de la suppression du terme « sciemment » [para. 53]. 2) L’avis donné au Comité permanent par monsieur Morin selon lequel l’inclusion du terme sciemment dans l’article 91(1) était inutile et redondante était « incorrect et potentiellement trompeur » [para. 54] parce que l’inclusion du terme sciemment dans l’interdiction antérieure à 2018 n’était pas redondante. Monsieur Morin avait déclaré que l’article 91 prévoyait déjà l’exigence d’intention, c’est-à-dire d’influencer les résultats de l’élection et, par conséquent, le terme sciemment n’était pas requis, car il entraînerait deux exigences de mens rea. Cependant, le juge a fait remarquer que la preuve d’un dessein caché – l’intention d’affecter le résultat d’une élection – était distincte de la preuve de connaissance et que le fait qu’une infraction nécessite la preuve d’un dessein caché ne signifie pas qu’elle nécessite également la preuve de connaissance. Selon le juge, il y avait deux types différents d’intention : l’une concernant les conséquences de l’acte prohibé et l’autre concernant les circonstances dans lesquelles l’acte prohibé a été commis [para. 55].
Le juge a fait remarquer que, bien que dans certaines circonstances, un élément de connaissance puisse être nécessairement sous-entendu par le dessein caché spécifié, le dessein caché de l’article 91 (1) était différent : l’intention d’influencer le résultat des élections. Selon le juge, le fait de savoir que la déclaration était fausse ne sous-entendait pas nécessairement un dessein caché dans l’article 91(1) parce qu’on pouvait chercher à influencer le résultat d’une élection en publiant des déclarations qui sont effectivement fausses sans savoir ou croire nécessairement qu’elles sont fausses [para. 56]. En outre, le juge a déclaré que l’exigence de deux mens rea ne représente pas une mauvaise rédaction et ne crée pas de confusion. Elles peuvent toutefois être source de difficultés d’interprétation ou de confusion si le Parlement fait défaut de les établir clairement dans sa législation comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada [para. 57]. E n outre, le juge était d’avis que la ministre et le Commissaire n’ont fait aucune mention de la suppression du terme « sciemment » dans leurs commentaires sur le projet de loi C-76 et que par conséquent leurs déclarations ne pouvaient pas être considérées comme reflétant la véritable intention du Parlement [para. 59].
Le Procureur général s’est également appuyé sur la preuve présentée par madame Gigou, directrice des enquêtes au Commissaire aux élections fédérales au sujet de l’intention et de la signification des modifications apportées à l’article 91(1) du projet de loi C-76. Mme Guigou a témoigné que malgré la suppression du terme sciemment de l’article 91 (1) de la LEC, le Commissaire a interprété les articles 91 (1) et 486(3) c) comme exigeant toujours la preuve que la personne savait que la déclaration était fausse [para. 60]. Le juge a également rejeté cette affirmation pour les raisons suivantes :
D’abord, madame Gigou a affirmé que le législateur voulait que l’article 91(1) soit une infraction de mens rea et non une infraction de responsabilité stricte. Cependant, selon le juge, cette déclaration était juridiquement erronée, car la connaissance n’avait pas besoin d’être interprétée dans l’infraction de contravention à l’article 91(1) pour en faire une infraction intentionnelle, par opposition à une infraction de responsabilité stricte. Le juge a déclaré que « l’exigence d’une preuve de mens rea sous quelque forme que ce soit, qu’il s’agisse d’une intention générale ou spécifique, garantit qu’une infraction n’est pas une infraction à responsabilité stricte. Qualifier une infraction d’infraction intentionnelle n’implique ni n’exige aucune forme particulière de mens rea. La contravention à l’article 91 (1) constitue une infraction intentionnelle du fait qu’elle exige la preuve d’un dessein caché, que la connaissance soit également un élément requis de mens rea » [para. 62].
Ensuite, le témoignage de madame Gigou était intrinsèquement incohérent quant à la façon dont l’élément connaissance était compris par le Commissaire. Dans un paragraphe de sa déclaration sous serment, madame Gigou affirmait que l’article 91 (1) visait uniquement les fausses déclarations faites sciemment. Elle a déclaré que le Commissaire était d’avis « qu’une fausse déclaration doit avoir été faite sciemment pour être visée par l’interdiction à l’article 91 ». Elle a cependant laissé entendre dans un autre paragraphe que l’article 91 (1) visait également les fausses déclarations faites par mégarde. Madame Gigou a déclaré que pour prouver une contravention à l’article 91 (1), le demandeur devait démontrer que la personne ou l’entité « savait que la déclaration était fausse, ou bien que la personne ou l’entité avait volontairement ignoré ou était insouciante quant à la véracité de la déclaration » [para. 63]. Ici, le juge a relevé une divergence entre la position du Commissaire et celle du gouvernement, qui soutenait que la disposition ne visait que les déclarations réputées être fausses [para. 63].
Le juge a fait remarquer que si une infraction incluait la connaissance de la fausseté comme élément de mens rea, la preuve d’insouciance ne suffisait pas. Pour développer ce point, le juge a établi une distinction entre l’ignorance volontaire et l’insouciance : l’ignorance volontaire impute la connaissance à un accusé dont les soupçons sont éveillés au point où il voit la nécessité d’enquêter davantage, mais choisit délibérément de ne faire ces enquêtes ce qui équivaut à la connaissance parce que l’accusé a pris la décision de rester délibérément ignorant [para. 64]. Toutefois, l’insouciance ne correspond pas à l’intention dans la mesure où l’accusé réalisait que sa conduite comportait un certain risque, mais il a décidé d’agir malgré ce risque. Le juge a souligné que « si l’insouciance était la mens rea de la contravention à l’article 91 (1), le demandeur n’aurait pas à prouver une connaissance subjective ou une ignorance volontaire. Le demandeur n’aurait qu’à prouver que la personne comprenait qu’il y avait un risque que la déclaration soit fausse, mais la publiait quand même. Ce n’est pas la même chose que de prendre la décision délibérée de publier une déclaration en sachant qu’elle est fausse » [para. 65].
Pour souligner ce point, le juge a cité la décision de la Cour suprême R. c. Zundel où le défendeur avait été reconnu coupable d’infraction du Code criminel d’avoir sciemment diffusé de fausses nouvelles et publié un tract niant l’existence de l’Holocauste. Le juge de première instance a demandé au Ministère public de prouver hors de tout doute que monsieur Zundel ne croyait pas sincèrement à la véracité de la brochure. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que ne pas croire sincèrement qu’une déclaration est vraie diffère du fait de savoir que la déclaration est fausse : « l’état d’esprit de celui qui publie un faux document sans croire honnêtement en sa vérité, sans se soucier de savoir s’il est vrai ou faux, constitue une conduite inconsciente quant à sa fausseté, mais pas une connaissance de sa fausseté ». La Cour d’appel de l’Ontario avait établi que l’irresponsabilité quant à la véracité ou à la fausseté de la déclaration n’était pas suffisante parce que la mens rea exigeait expressément la preuve de la connaissance [para. 66].
Dans la présente affaire, le juge a observé qu’avant 2018, lorsque l’article 91 (1) comprenait le terme « sciemment », la preuve d’insouciance n’aurait pas été suffisante pour établir la mens rea de la contravention à l’article 91 (1). Tout en notant l’incohérence des arguments du Commissaire et du Procureur général, le juge a souligné que « si l’interprétation du Commissaire est correcte à savoir que la mens rea de l’article 91(1) peut maintenant être satisfait en prouvant l’insouciance, le projet de loi C-76 a modifié substantiellement l’exigence de mens rea et la connaissance réelle n’est plus requise. Par ailleurs, si l’on accepte la position du Procureur général selon laquelle l’infraction de contravention à l’article 91 (1) exige toujours la preuve de la connaissance, l’interprétation du commissaire est juridiquement erronée. Bien que l’interprétation du commissaire de l’art. 91 (1) ne soit ni déterminante ni contraignante pour la Cour, elle démontre la confusion qui s’est installée du fait que le Parlement n’ait pas mentionné clairement la mens rea [para. 67].
En raison de cette omission, le juge a conclu que le législateur a choisi de laisser le terme « sciemment » dans d’autres dispositions de la LEC et a intentionnellement supprimé le terme de l’article 91(1) pour refléter un changement substantiel à l’interdiction et à l’infraction et que, par conséquent, l’infraction de contrevenir à l’article 91(1) de la LEC n’exigeait pas la preuve que la personne ou l’entité savait que la déclaration faite était fausse [para. 70]. En se basant sur ce raisonnement, le juge a conclu que l’interdiction énoncée à l’article 91(1) ne satisfaisait pas à l’exigence d’atteinte minimale prévue à l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte ») et, par conséquent, l’article 91(1) de la LEC violait l’article 2(b) de la Charte, qui garantit la liberté d’expression et garantit que les gens participent pleinement et librement au processus décisionnel politique au Canada.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
La Cour supérieure de justice de l’Ontario (Canada) a élargi la liberté d’expression en invalidant une loi qui, sous prétexte d’interdire les fausses nouvelles, pourrait être utilisée à mauvais escient pour réduire au silence les dissidents et les critiques. La disposition accordait de larges pouvoirs au gouvernement, car la disposition n’exigeait pas la connaissance de la fausseté, c’est-à-dire qu’une personne pouvait être inculpée indépendamment du fait qu’elle savait ou non que la déclaration qu’elle avait faite était fausse. De telles restrictions excessives sur le contenu ont un effet dissuasif sur la liberté d’expression. La décision d’invalider la disposition renforce alors la liberté d’expression politique.
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