Centre Amabhungane de journalisme d’investigation c. Ministre de la Justice et de la Police

Affaire résolue Élargit l'expression

Key Details

  • Mode D'expression
    Communication électronique / basée sur l'internet
  • Date de la Décision
    février 4, 2021
  • Résultat
    Loi ou action annulée ou jugée inconstitutionnelle
  • Numéro de Cas
    CCT 278/19 and CCT 279/19
  • Région et Pays
    Afrique du Sud, Afrique
  • Organe Judiciaire
    Cour constitutionnelle
  • Type de Loi
    Droit constitutionnel
  • thèmes
    Respect de la vie privée, protection des données et rétention, Surveillance
  • Mots-Cles
    Protection et Conservation des données

Ce cas est disponible dans d'autres langues:    Voir en : English    Voir en : Español    Voir en : العربية

Analyse de Cas

Résumé du Cas et Résultat

La Cour constitutionnelle sud-africaine a déclaré inconstitutionnels et invalides divers éléments de la législation autorisant l’interception des communications. Après avoir appris que ses communications avaient été interceptées, un journaliste s’est adressé, avec un centre de journalisme d’investigation, à la Cour arguant que la législation présentait de graves lacunes et portait atteinte au droit à la vie privée. La Haute Cour a jugé que la loi était inconstitutionnelle et, en appel, la Cour constitutionnelle a confirmé la décision de la Haute Cour. La Cour a souligné que l’absence de garanties dans la loi empêchait la surveillance et la redevabilité, et que le secret qui couvrait le régime d’interception empêchait toute contestation des ordonnances de surveillance. La Cour a noté que ce secret et cette impunité augmentaient le risque d’abus et les violations du droit à la vie privée.


Les Faits

En 2008, un journaliste sud-africain, Sam Sole, a eu des soupçons quant à la surveillance et l’interception de ses communications. En 2009, il a contacté l’inspecteur général des services de renseignement pour tenter de déterminer s’il était sous surveillance. L’inspecteur général l’a informé qu’il « avait trouvé que l’Agence nationale de renseignement (ANR) et la division du renseignement criminel de la police n’étaient coupables d’aucun acte répréhensible », ce qui ne confirmait pas si les communications de M. Sole avaient été interceptées – et confirmait seulement que l’inspecteur général n’ait trouvé aucun acte répréhensible de la part des agences de l’Etat [para. 13].

En 2015, dans une procédure judiciaire n’impliquant pas Sole, un affidavit comprenant des transcriptions d’une conversation entre Sole et un procureur a montré que les communications de Sole avaient effectivement été interceptées en 2008. En conséquence, Sole a contacté l’Agence de sécurité de l’État pour demander des détails sur l’interception. Il a obtenu des informations sur deux prolongations d’autorisations d’interception, mais il n’a reçu aucune autre information sur la raison ou la légalité de l’autorisation initiale.

Sole et le Centre AmaBhungane de journalisme d’investigation se sont alors adressés à la Haute Cour pour obtenir une déclaration selon laquelle la loi qui régissait l’interception des communications – la loi 70 de 2002 sur la réglementation de l’interception des communications et la fourniture d’informations relatives à la communication (RICA) – était inconstitutionnelle car elle « n’offrait pas de garanties adéquates pour protéger le droit à la vie privée » [para. 15].

La RICA avait été introduite pour remplacer la Loi 127 de 1992 sur l’interdiction de l’interception et de la surveillance en raison des progrès technologiques, et s’appliquait aux « conversations orales, courriers électroniques et communications par téléphone mobile (y compris les données, textes et images visuelles) transmis par un service postal ou un système de télécommunication » [par. 7]. L’article 2 interdit l’interception d’une communication, à moins qu’elle ne relève de l’un des processus de la Loi. Les demandes de surveillance ne peuvent être introduites que pour contrer des infractions graves ; les menaces pour la santé ou la sécurité publiques du pays ; la sécurité nationale ou les intérêts économiques nationaux ; ou le crime organisé et le terrorisme. Toutes les demandes sont adressées à un « juge désigné » – un juge nommé à ce poste par le ministre de la Justice – par le biais d’une demande ex parte (« pour une partie »), ce qui signifie qu’il ne peut y avoir de contre-arguments avancés contre la demande de l’agence d’État.

L’article 14 de la Constitution stipule que « toute personne a droit à la vie privée, ce qui inclut le droit de ne pas avoir a) sa personne ou son domicile fouillés ; b) ses biens fouillés ; c) ses biens saisis ; ou d) la confidentialité de ses communications violées. »

Devant la Haute Cour, le Centre AmaBhungane a fait valoir que la RICA ne prévoyait aucun système de notification – même après surveillance – pour informer la personne surveillée qu’elle avait fait l’objet d’une surveillance, ce qui signifiait qu’une personne n’est normalement pas informée de la surveillance et ne peut pas contester la légalité d’une telle action. De plus, le Centre AmaBhungane a fait valoir qu’en nommant unilatéralement le juge désigné par le ministre de la Justice sans limite de mandat, et en entendant l’affaire ex parte, la RICA ne garantit pas l’indépendance du juge et « ne dispose d’aucune forme de processus accusatoire ou d’autres mécanismes pour garantir que la personne visée par la surveillance soit protégée dans le processus de demande ex parte » [para. 17]. Le Centre AmaBhungane a souligné les dangers de la RICA qui n’établit pas de paramètres stricts pour le type de données et la manière de collecte et de stockage de ces données, et qu’elle ne compte pas de garanties spécifiques pour les cas où un journaliste ou un avocat est ciblé par la surveillance. Le Centre AmaBhungane a également fait valoir que l’interception en masse effectuée par le « Centre national de communication » n’était pas autorisée par la RICA et était donc illégale.

Trois organisations non gouvernementales locales et internationales – Media Monitoring Africa Trust, Right2Know Campaign et Privacy International – ont été admises en tant qu’amici curiae.

Le 16 septembre 2019, la Haute Cour du Gauteng du Nord a statué que la RICA était inconstitutionnelle, estimant que l’absence de notification à la personne concernée, l’absence de garanties de protection contre l’effet négatif des demandes ex parte et le risque de surveillance des journalistes et des avocats et la compromission de l’indépendance du juge désigné signifiaient que la RICA limitait de manière déraisonnable et injustifiée le droit à la vie privée. La Haute Cour a également estimé que la gestion des données dans le cadre de la RICA était inconstitutionnelle et que la surveillance de masse entreprise par le Centre national de communications était illégale. La Haute Cour a suspendu la déclaration d’invalidité pendant deux ans, pour permettre au Parlement de remédier à ces défauts, mais a interprété certaines dispositions de la loi existante comme mesure provisoire.


Aperçu des Décisions

Le juge Madlanga (avec les juges Khampepe, Majiedt, Mhlantla, Theron, Tshiqi et Mathopo et Victor) a rendu le jugement au nom de la majorité. Les questions centrales soumises à la Cour étaient de savoir si la RICA constituait une limitation injustifiable du droit à la vie privée et s’il existait une base juridique pour la surveillance de masse en Afrique du Sud.

Le Centre AmaBhungane a réitéré les arguments qu’ils avaient présentés devant la Haute Cour – que la RICA était inconstitutionnelle car elle ne prévoyait pas de notification à la personne faisant l’objet de la surveillance, que l’indépendance du juge désigné était compromise, que la nature du processus de demande ex parte ne protégeait pas la cible de la surveillance, que des protections spécifiques devaient être mises en place lorsque le sujet ciblé est  avocat ou journaliste, qu’il n’y avait pas suffisamment de directives dans la RICA sur la manière dont les données devaient être stockées  et que la surveillance de masse en Afrique du Sud était illégale en l’absence de législation pour la réglementer.

Les défendeurs ont reconnu que la RICA limitait le droit à la vie privée, mais ont soutenu que cette restriction était justifiée par le but et l’importance de la surveillance pour « enquêter sur les crimes graves et les combattre, garantir la sécurité nationale, maintenir l’ordre public et, partant, assurer la sécurité de la République et de son peuple » [par. 29]. Le ministre de la Police a ajouté que la RICA permet à la police de s’acquitter de ses obligations en vertu de l’article 205(3) de la Constitution, « prévenir, combattre et enquêter sur la criminalité, maintenir l’ordre public, protéger et sécuriser les citoyens et leurs biens, et faire respecter et appliquer la loi». Les défendeurs ont également soutenu qu’il n’y avait aucun souci à se faire quant à l’indépendance du juge désigné qui est nommé parmi les magistrats et est donc présumé indépendant – comme l’est le pouvoir judiciaire– et qu’aucune autre garantie n’était donc nécessaire. Le ministre de la Sécurité d’État a fait valoir que la surveillance de masse était autorisée par la loi 39 de 1994 sur le renseignement stratégique (NSIA) et que la RICA offrait des garanties suffisantes contre les abus. La NSIA permet aux agences de l’État de « collecter, corréler, évaluer et analyser … les renseignements intérieurs, les renseignements sur la criminalité, les renseignements ministériels, les renseignements étrangers, les renseignements militaires étrangers et les renseignements militaires nationaux » [para. 131].

La Cour a reconnu l’historique de la surveillance et de la sécurité nationale en Afrique du Sud et comment, sous le régime de l’apartheid, une « notion biaisée de la sécurité nationale a été utilisée comme une arme pour subvertir la dignité de la majorité des sud-africains » [para. 1]. Elle a ajouté que, bien que la surveillance de l’époque de l’apartheid soit axée sur un aspect physique, les nouvelles technologies avaient permis aux organismes de l’État « d’envahir la « sphère personnelle intime » de la vie des gens » [para. 1] et a souligné, en référence à l’arrêt Gaertner c. Ministre des Finances 2014 (1) SA 442 (CC), que le droit à la vie privée         « englobe le droit d’être à l’abri des intrusions et des ingérences de l’État et d’autrui dans sa vie privée» [para. 2].

En examinant l’incidence de la RICA sur le droit à la vie privée, la Cour a qualifié la surveillance par interception de la RICA de « clandestine » et a souligné que les individus communiquent en partant du principe que le contenu de ces communications reste privé et le fait qu’ils pensent qu’ils communiquent sans intrusion leur permet de communiquer confortablement [para. 23]. Se référant à son arrêt Hyandai Motor Distributors (Pty) Ltd c. Smit N.O. 2001 (1) SA 545 (CC), la Cour a souligné que le droit à la vie privée augmente à mesure que les intrusions se rapprochent de la sphère personnelle intime des individus et a qualifié l’affaire RICA comme suit : « si jamais il y a eu une atteinte à la vie privée d’une manière grave et troublante, c’est bien celle-ci » [para. 24].

La Cour a reconnu que les défendeurs n’ont pas nié que la RICA viole le droit à la vie privée et a donc entrepris une analyse des limites en vertu de l’article 36 de la Constitution. L’article 36 de la Constitution est une clause de limitation générale et ne permet de limiter les droits protégés par la Constitution que dans certaines circonstances. L’article  36(1) stipule que « [l]es droits énoncés dans la Déclaration des droits ne peuvent être limités qu’en vertu d’une loi d’application générale dans la mesure où la restriction est raisonnable et justifiable dans une société ouverte et démocratique fondée sur la dignité, l’égalité et la liberté humaines, compte tenu de tous les facteurs pertinents », y compris la nature du droit ; l’importance, le but, la nature et l’étendue de la restriction ; le rapport entre la limitation et son objet ; et s’il existe des moyens moins restrictifs pour atteindre l’objectif de la limitation.

La Cour a examiné la nature du droit à la vie privée et, citant l’affaire de l’époque de l’apartheid, Mistry c. Interim National Medical and Dental Council of South Africa 1998 (4) SA 1127 (CC), a fait remarquer que ce droit est l’un des droits qui garantissent une rupture avec l’État policier de l’apartheid et qu’il occupe donc une place particulièrement importante dans l’Afrique du Sud constitutionnelle. La Cour a également souligné les liens étroits entre les droits à la vie privée et à la dignité.

En examinant l’importance de la restriction, la Cour a reconnu la nécessité de prévenir le crime et que  « l’interception des communications est devenue essentielle à l’exécution de ces obligations » et a noté que le Botswana, le Kenya, le Canada et les États-Unis ont tous autorisé l’interception de communications [para. 30].

La Cour a examiné de manière approfondie la nature et l’étendue de la restriction. Elle a souligné que « les tentacules aveugles des interceptions atteignent les communications de quelque nature que ce soit, y compris les plus privées et les plus intimes » et a conclu que – puisque la communication interceptée peut n’avoir aucun rapport avec le motif de l’interception et peut inclure des « victimes collatérales » – « la restriction du droit est manifestement intrusive » [para. 31]. En ce qui concerne l’arrêt Ministre de la sûreté et de la sécurité c. Van der Merwe 2011 (5) SA 61 (CC), la Cour a demandé si la RICA avait prévu des garanties suffisantes pour garantir que toute atteinte au droit à la vie privée ait lieu dans les limites constitutionnelles. Elle a noté que bien que le chapitre 9 de la RICA criminalise les interceptions qui dépassent les limites prescrites et que les demandes présentées au juge désigné devaient inclure une description de la surveillance prévue, la protection prévue par la Loi souffrait de lacunes. Elle a fait référence au rapport du Comité des droits de l’homme des Nations Unies sur la RICA daté de 2015 qui avait exprimé son inquiétude quant au « seuil relativement bas pour mener une surveillance … et la faiblesse relative des mesures de sauvegarde, de surveillance et de réparation contre l’atteinte illégale au droit à la vie privée » [para. 36].

La Cour a entrepris une analyse approfondie des arguments soulevés par AmaBhungane sur les points d’inconstitutionnalité de la RICA. La Cour a fourni trois exemples démontrant la faiblesse du système existant: l’interception des communications de deux journalistes, Mzilikazi wa Africa et Stephen Hofstatter, qui enquêtaient sur la corruption de la police et dont la surveillance a été autorisée parce que la police a mal informé le  juge désigné en lui disant que les numéros de téléphone à intercepter  appartenaient  à des poseurs de bombes au niveau des distributeurs automatiques de billets ; et la falsification de courriels prétendument obtenus à travers l’interception des communications d’un homme d’affaires qui ont ensuite été utilisés par l’Agence nationale de renseignement pour tenter de « révéler » certaines conspirations. La Cour a expliqué que ces exemples démontrent que « le mensonge flagrant peut être à la base d’une démarche auprès du juge désigné » et que le juge n’est alors pas en mesure de vérifier les renseignements qui lui sont présentés [para. 41].

La Cour a examiné l’absence au niveau de la RICA de notification de la personne concernée par surveillance à quelque moment que ce soit avant, pendant ou après la surveillance. La Cour a admis que la notification préalable pouvait bien aller à l’encontre des objectifs de la surveillance, mais a demandé si la notification post-surveillance pouvait remédier aux dangers d’impunité causée par la RICA sans aller à l’encontre de l’objectif de la législation. Les articles 42(1) et 51 de la RICA criminalisent la divulgation et la notification des instructions d’interception, et la Cour a souligné que si l’on ne prend pas connaissance de la surveillance, sa légalité ne peut jamais être contestée. Elle a ajouté que l’absence de redevabilité « doit certainement encourager ou faciliter les abus qui, nous le savons, ont lieu » [para. 43].

La Cour a analysé les législations étrangères qui exigent la notification après la surveillance et a fait remarquer que, bien qu’il n’y ait « pas de consensus sur le moment et la manière dont la notification après surveillance constitue une garantie absolument nécessaire du droit à la vie privée, une pratique comparative considérable appuie la conclusion qu’une certaine forme de notification est essentielle pour réduire au minimum les abus » [para. 46]. Il existe un système de notification dans les 90 jours suivant la surveillance aux États-Unis et au Canada, et le Danemark et l’Allemagne exigent une notification si cela ne nuit pas à l’objectif de la surveillance. La Cour s’est référée aux affaires de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdzhiev c. Bulgarie n° 62540/00 (2007) et Weber et Saravia c. Allemagne n° 54934/00 (2006) en notant que la Cour européenne des droits de l’homme « lie la notification à la question de savoir si elle ne compromet plus l’objectif de la surveillance » [para. 47].

La Cour a noté qu’en l’espèce, les défendeurs n’ont donné aucune « raison convaincante » pour laquelle il ne devrait pas y avoir de notification après la surveillance et a fait remarquer que c’était parce qu’il ne peut y avoir « aucune raison légitime pour laquelle l’État voudrait garder le fait de la surveillance passée secrète à jamais » [para. 48].

Par conséquent, la Cour a jugé que l’absence de possibilité de recours post-surveillance, lorsque cela ne porterait pas atteinte à l’objectif de la surveillance, signifiait que le RICA avait une portée excessive et qu’une notification post-surveillance constituerait une limitation moins restrictive du droit à la vie privée. La Cour a fait remarquer qu’une telle notification aurait deux objectifs : donner à la personne visée par la surveillance la possibilité de contester la surveillance ; et décourager l’abus de la procédure par les organismes de l’État.
La Cour a précisé que la notification post-surveillance devait être la position par défaut, et qu’on ne pouvait y déroger qu’avec l’autorisation du juge désigné. La Cour a fait remarquer qu’une garantie possible qui pourrait être adoptée par le Parlement consisterait en un examen automatique des instructions d’interception, étant donné que la plupart des sud-africains n’avaient tout simplement pas les moyens financiers pour engager des poursuites judiciaires, mais a souligné que l’absence d’examen automatique ne rendait pas la RICA inconstitutionnelle.

La Cour a ensuite examiné la question de l’indépendance du juge désigné et a souligné que l’existence de garanties relatives à la nomination, à la durée du mandat et à la fonction du juge était « essentielle pour déterminer si la RICA satisfait au seuil prévu à l’article 36 » [para. 56]. La Cour a reconnu les arguments de l’État selon lesquels on s’attend généralement à ce que les juges agissent en toute indépendance, mais a noté que « cela ne signifie pas que les juges sont infaillibles » et que des mesures supplémentaires pour protéger l’indépendance sont donc nécessaires [para. 89]. La Cour a critiqué le « pouvoir discrétionnaire illimité » dont dispose le ministre de la Justice dans la nomination du juge désigné et a statué que « la désignation par un membre de l’exécutif dans des circonstances mal définies ou dans des circonstances qui ne sont absolument pas décrites ne donne pas lieu à une perception raisonnable d’indépendance » [para. 92]. La Cour a également statué que, comme les nominations avaient été faites en secret, il n’y avait aucune possibilité de surveillance externe et de redevabilité et que la RICA était « inconstitutionnelle dans la mesure où elle n’assure pas des garanties adéquates pour une autorisation judiciaire indépendante d’interception » [para. 94].

La Cour a également statué que la RICA était inconstitutionnelle dans la mesure où « elle ne contient pas de garanties suffisantes pour tenir compte du fait que des instructions sont demandées et obtenues ex parte » [para. 100]. La Cour a reconnu qu’AmaBhungane acceptait que l’objectif de la surveillance serait annulé si le sujet de la surveillance lui-même était informé avant la demande, le souci étant que le juge désigné prenne la décision sur la seule base des arguments présentés par l’agence d’État qui demande la surveillance. AmaBhungane a soutenu que la nature finale et ex parte des demandes présentées au juge désigné violait la règle audi alteram partem [entendre les deux parties] et que certains processus contradictoires devaient être introduits, peut-être via l’introduction d’un « avocat public » [para. 97].  Tout comme la Haute Cour, la Cour n’a pas prescrit la manière dont cette lacune constitutionnelle devait être corrigée et renvoyée au Parlement.

La Cour a examiné si la RICA contenait des garanties suffisantes pour protéger les informations interceptées. L’article 35 de la RICA exige que le directeur du Bureau des centres d’interception détermine les éléments qui doivent être conservés, mais la Cour a noté qu’aucune des dispositions de la RICA ne précisait quelles données il faut stocker, comment et où le faire ; les finalités de l’accès aux données stockées ; et la destruction des données stockées. La Cour s’est à nouveau référée à l’affaire Weber de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a énoncé les « normes minimales pour la bonne gestion des données de surveillance » et a noté que sans ces normes dans la RICA, il existait un risque d’abus [para. 107]. En appliquant cette donnée à l’analyse des limitations, la Cour a statué que la RICA ne prévoit pas de mesures moins intrusives ce qui rendait la restriction du droit « plus flagrante » et a souligné qu’il n’y avait aucun lien entre l’objectif de la surveillance et l’absence de garanties sur la protection des données obtenues [para. 108]. Là encore, la Cour a réitéré l’effet que l’éventualité d’une poursuite pourrait avoir pour empêcher les abus et, par conséquent, protéger la vie privée, et a fait remarquer que des informations sur l’application, l’ordre et le résultat réels de la surveillance seraient essentielles pour toute personne demandant un examen de l’ordre d’interception. Ainsi, la Cour a statué que la RICA était « inconstitutionnelle dans la mesure où elle ne prescrit pas de manière adéquate les procédures visant à garantir que les données obtenues dans le cadre de l’interception de communications sont gérées de manière légale et ne sont pas utilisées ou manipulées de manière illégale » [para. 108].

La Cour a refusé d’évaluer l’argument soulevé par Privacy International selon lequel la Cour devrait ordonner que la RICA donne des directives à des organismes publics et privés sur la manière de gérer les données, car la Cour n’a pas été saisie correctement de la question et il n’était donc pas opportun de la trancher.

En examinant la question de savoir si la RICA devrait inclure une protection spécifique pour les journalistes et les avocats faisant l’objet d’une surveillance, la Cour a reconnu que ces groupes n’avaient pas le droit absolu de ne pas voir leurs communications interceptées, mais a souligné que le droit à la liberté d’expression protège les sources des journalistes et qu’une interception des communications avocat-client sans reconnaissance de ce privilège juridique porterait atteinte à l’État de droit. La Cour a souligné que le Canada et le Royaume-Uni prévoient des garanties législatives lorsque l’interception concerne des communications de journalistes et d’avocats et a déclaré que « la confidentialité des communications avocat-client et des sources des journalistes est particulièrement importante dans notre régime constitutionnel » [para. 119]. La Cour s’est référée à l’arrêt Khumalo c. Holomisa 2002 (5) SA 401 (CC) et Bosasa Operation (Pty) Ltd c. Basson 2013 (2) SA 570 (GSJ) en ce qui concerne la protection des sources des journalistes et à Thint (Pty) Ltd. c. National Director of Public Prosecutions, Zuma c. National Director of Public Prosecutions 2009 (1) SA 1 (CC), pour rappeler l’importance du privilège de confidentialité. La Cour a noté que le fait de tenir compte de ces atteintes flagrantes au droit à la vie privée équivaudrait à des mesures moins intrusives pour atteindre l’objectif de surveillance tout en prévenant les atteintes déraisonnables au droit. La Cour a reconnu que les droits spécifiques à la confidentialité d’autres professions n’avaient pas été soulevés devant la Cour et a refusé de se prononcer sur les communications des acteurs de la société civile. Elle a fait référence à l’arrêt Centre for Child Law c. Media 24 Limited 2020 (4) SA 319 (CC) qui avait noté que « l’analyse du droit à la vie privée est encore plus urgente lorsqu’il s’agit d’enfants », mais avait également statué qu’elle n’était pas en mesure de se prononcer sur les dispositions de la RICA en matière de communications des enfants [para. 122]. En conséquence, la Cour a statué que la RICA est « inconstitutionnelle dans la mesure où, lorsque la personne visée par la surveillance est un avocat en exercice ou un journaliste, elle ne prévoit pas de garanties supplémentaires pour minimiser le risque de violation de la confidentialité des communications entre l’avocat en exercice et son client les sources des journalistes » [para 119].

La Cour s’est ensuite penchée sur la question de la constitutionnalité de la surveillance en masse des communications– définie par la Cour comme « l’interception de tout le trafic Internet qui entre en Afrique du Sud ou en sort, y compris les renseignements les plus personnels tels que les courriels, les appels vidéo, la localisation et l’historique de navigation » [para. 124]. La Cour a statué que l’article 2 de la NSIA était ambigu et n’énonçait pas la « collecte, la compilation, l’évaluation et l’analyse » des renseignements ni la façon dont ces renseignements devaient être « saisis, copiés, stockés ou distribués » [para. 134]. Elle a ajouté que la RICA interdit expressément l’interception de communications sans directive en vertu de la RICA. Par conséquent, la Cour a statué que la surveillance en masse est « illégale et invalide, car aucune loi ne l’autorise » [para. 135].

Bien que la Cour ait déclaré la RICA inconstitutionnelle, elle a suspendu l’invalidité pendant trois ans pour laisser au Parlement le temps d’adopter une nouvelle loi. La Cour a accepté les préoccupations relatives à la séparation des pouvoirs dans le cadre de l’ordonnance de mesures provisoires, mais elle a conclu que, compte tenu des atteintes importantes au droit à la vie privée et du temps accordé au législateur pour remédier à ces lacunes, «la justice et l’équité dictent que l’effet de la violation intrusive du droit à la vie privée soit atténué en accordant des mesures provisoires appropriées » [para. 144]. La Cour a interprété des articles comme exigeant de divulguer éventuellement que la personne concernée par la surveillance est un journaliste ou un avocat lorsqu’une demande d’interception est demandée, et que dans les 90 jours suivant l’expiration d’une instruction d’interception, le sujet de la surveillance doit être informé d’une telle surveillance.

Le juge Jafta a rendu un jugement minoritaire, en désaccord avec la majorité uniquement sur la question de savoir si la RICA avait effectivement habilité le ministre de la Justice à nommer le juge désigné.


Direction De La Décision

Info Rapide

La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.

Élargit l'expression

La Cour constitutionnelle sud-africaine a rendu un jugement décisif, confirmant que, si la surveillance a un rôle à jouer dans la lutte contre la criminalité, elle ne peut pas fonctionner d’une manière qui porte atteinte de manière déraisonnable au droit à la vie privée. Le jugement fournit des informations clés sur ce que la loi doit contenir pour assurer une protection adéquate contre les abus et les violations des droits.

Perspective Globale

Info Rapide

La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.

Tableau Des Autorités

Lois internationale et/ou régionale connexe

Normes, droit ou jurisprudence nationales

  • S. Afr., Const., sec. 14
  • S. Afr., Gaertner & others v Minister of Finance & others, [2013] ZACC 38
  • S. Afr., Investigating Directorate: Serious Economic Offences v. Hyundai Motor Distributors (Pty) Ltd: In re Hyundai Motor Distributors (Pty) Ltd v Smit NO, 2001 (1) SA 545 (CC)
  • S. Afr., Mistry v. Interim National Medical and Dental Council of South Africa, 1998 (4) SA 1127 (CC)
  • S. Afr., Minister of Safety and Security v. Van der Merwe, 2011 (5) SA 61 (CC)
  • S. Afr., Centre for Child Law v. Media 24 Limited, 2020 (4) SA 319 (CC)
  • S. Afr., National Coalition for Gay and Lesbian Equality v. Minister of Justice, 1999 (1) SA 6 (CC)
  • S. Afr., President of the Republic of South Africa and Another v. Hugo, 1997 (4) SA 1 (CC)
  • S. Afr., McBride v. Minister of Police, 2016 (2) SACR 585 (CC)
  • S. Afr., Glenister v President of the Republic of South Africa and Others, 2011 (3) SA 347 (CC)
  • S. Afr., Justice Alliance of South Africa v. President of the Republic of South Africa, 2011 (5) SA 388 (CC)]
  • S. Afr., Khumalo and others v Holomisa, 2002 (5) SA 401 (CC).
  • S. Afr., Bosasa Operations (Pty Ltd) v. Basson, 2013 (2) SA 570 (GSJ).
  • S. Afr., Thint (Pty) Ltd. v. National Director of Public Prosecutions, Zuma v. National Director of Public Prosecutions 2009 (1) SA 1 (CC)

Autres normes, lois ou jurisprudences nationales

  • Can., R v. Valente, (1985) 24 DLR (4th) 161 SCC

Importance du Cas

Info Rapide

L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.

La décision établit un précédent contraignant ou persuasif dans sa juridiction.

La décision a été citée dans:

Documents Officiels du Cas

Rapports, Analyses et Articles D'actualité :


Pièces Jointes:

Vous avez des commentaires?

Faites-nous savoir si vous remarquez des erreurs ou si l'analyse de cas doit être révisée.

Envoyer un Retour D'information