Jenner c. Département de la Justice des États-Unis

Affaire résolue Élargit l'expression

Key Details

  • Mode D'expression
    Expression non verbale
  • Date de la Décision
    mai 23, 2025
  • Résultat
    Motion accordée
  • Numéro de Cas
    Civil Action No. 25-916 (JDB)
  • Région et Pays
    États-Unis, Amérique du Nord
  • Organe Judiciaire
    Tribunal de première instance
  • Type de Loi
    Droit constitutionnel
  • thèmes
    Discours commerciale, Expression politique
  • Mots-Cles
    Effet dissuasif, Discours lié au travail, Restrictions préalables

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Analyse de Cas

Résumé du Cas et Résultat

La Cour de district de Columbia, des États-Unis, a jugé qu’un décret présidentiel imposant des restrictions aux habilitations de sécurité, aux contrats gouvernementaux, aux enquêtes sur les droits civils, ainsi qu’à l’accès aux installations fédérales et à l’emploi d’un cabinet d’avocats, constituait un acte de représailles inconstitutionnel portant atteinte au Premier Amendement. Le cabinet avait contesté le décret après avoir été sanctionné pour ses plaidoiries et sa représentation pro bono. La Cour a estimé que ces mesures punitives reposaient sur la discrimination des opinions, qu’elles avaient un effet dissuasif sur la liberté d’expression et qu’elles portaient atteinte aux protections du droit à un avocat du Cinquième et Sixième Amendements. Concluant qu’il y a incompatibilité entre le décret avec la doctrine constitutionnelle établie, la Cour a rendu un jugement sommaire en faveur du cabinet et en a interdit l’application. Elle a toutefois refusé de prohiber toute action future fondée uniquement sur les déclarations liminaires du texte, considérées comme un discours gouvernemental protégé dès lors qu’elles n’avaient pas de portée exécutoire.


Les Faits

Le 25 mars 2025, le président Donald J. Trump a publié le décret présidentiel 14246 (EO 14246), intitulé Addressing Risks from Jenner & Block, visant expressément le cabinet d’avocats Jenner & Block LLP (Jenner). Spécialisé en contentieux, Jenner emploie environ 900 avocats et est présent nationalement et internationalement, notamment à Londres. Reconnu pour son importante activité pro bono, le cabinet entre régulièrement en relation avec le gouvernement fédéral à travers des litiges, des contrats et sa participation à des audiences dans les tribunaux et bâtiments fédéraux.

Le décret débutait avec des critiques générales des cabinets engagés dans la représentation pro bono, affirmant que ces pratiques menaçaient la sécurité publique, la sécurité nationale et l’intégrité démocratique. Jenner était accusé d’avoir engagé des litiges « politiques », de contester des politiques sur les personnes transgenres et les demandeurs d’asile, et d’avoir réembauché Andrew Weissmann, ancien associé et procureur fédéral ayant participé à l’enquête sur l’ingérence russe et connu pour ses critiques publiques envers le président Trump. Il présentait également les politiques de diversité et d’embauche du cabinet comme pratiques discriminatoires.

Les dispositions imposaient une série de restrictions pour isoler Jenner du gouvernement et de ses clients. La section 2 imposait la suspension immédiate toutes les habilitations de sécurité de ses employés, sous réserve d’un examen justifié par « l’intérêt national », et ordonnait aux agences de cesser tout bien, service ou ressource fourni au cabinet. La section 3 exigeait la rupture de tous les contrats en cours et décourageait les relations futures, exerçant ainsi une pression sur les tiers pour se dissocier du cabinet. La section 4 soumettait les pratiques de recrutement et de promotion de la firme à une surveillance fédérale en vertu du titre VII de la loi sur les droits civiques de 1964. Enfin, la section 5 interdisait aux avocats de Jenner d’entrer dans les bâtiments fédéraux, de collaborer avec des responsables fédéraux ou d’être embauchés par des agences, sans dérogation officielle. Weissmann y était nommément mentionné, bien qu’il n’était pas employé au sein du cabinet à ce moment.

La publication du décret EO 14246 a eu des effets immédiats. Le 3 avril 2025, les avocats du gouvernement ont informé l’un des clients de Jenner & Block que leur équipe juridique ne pourrait pas participer à une réunion prévue. Cette décision a ensuite été révoquée par une ordonnance d’interdiction temporaire (TRO) émise par un tribunal, mais au moment de la révocation, le client avait déjà retenu les services d’un autre cabinet. À peu près au même moment, d’autres clients ont exprimé leurs préoccupations quant à la capacité du cabinet à continuer de les représenter, laissant entendre qu’ils pourraient se retirer ou réévaluer leurs engagements. Ces conséquences étaient particulièrement graves étant donné qu’environ 40 % des revenus de Jenner proviennent du travail avec des entrepreneurs gouvernementaux et des entités affiliées.

L’action intentée contre Jenner n’était pas un événement isolé, mais s’inscrivait dans une initiative gouvernementale plus large visant plusieurs grands cabinets d’avocats. D’autres cabinets, notamment Perkins Coie LLP, Covington & Burling, WilmerHale, Susman Godfrey et Paul Weiss, ont soit été directement soumis à des décrets présidentiels, soit engagé des négociations à titre préventif avec l’administration. Dans un exemple significatif, Paul Weiss a accepté d’adapter ses politiques de sélection des clients, de recrutement d’avocats et d’avancement interne afin de privilégier la neutralité politique et des pratiques fondées sur le mérite ; en contrepartie, le gouvernement a annulé le décret le visant. Des accords similaires ont été conclus avec des cabinets qui n’avaient pas été officiellement ciblés ; beaucoup d’entre eux se sont engagés à des contributions pro bono de grande ampleur au bénéfice de causes favorisées par l’administration.

De nombreux mémoires d’amicus curiae (mémoires déposés par des tiers cherchant à présenter à la Cour des arguments juridiques spécialisés ou des points de vue plus larges) ont été présentés à la Cour, notamment par des organisations de défense des droits civiques, des associations du barreau, des organisations médiatiques et des défenseurs de la liberté de presse, des organisations non gouvernementales, des cabinets d’avocats, des universitaires, des étudiants en droit et des organisations étudiantes, ainsi que d’anciens juges. Les différents mémoires affirment que le décret présidentiel de Donald Trump visant Jenner, ainsi que d’autres décrets similaires, « constituent une grave menace pour notre système de gouvernance constitutionnelle et pour l’État de droit lui-même » [Mémoires des cabinets d’avocats, p. 1]. Ils réitèrent que l’impact de ces décrets est considérable, car ces mesures « visent directement plusieurs des principaux cabinets d’avocats du pays et cherchent à intimider tous les autres cabinets, grands et petits, afin qu’ils se soumettent » [Mémoires des cabinets d’avocats, p. 2]. Les décrets présidentiels ont également été décrits comme « une discrimination flagrante à l’égard des cabinets d’avocats [qui] envoie un message clair aux amici : ne contestez pas le président, sinon vous serez les prochains » [Mémoires des ONG, p. 6]. Certains amici ont décrit les conséquences de ces décrets comme une « tentative manifeste d’instiller la peur dans la profession juridique et d’intimider les avocats pour les contraindre à se soumettre » [Mémoires des associations du barreau, p. 35].

En réponse à la publication du décret 14246, Jenner a intenté une action en justice, déposant d’abord une plainte soutenant que le décret contrevenait au Premier Amendement de six manières, ainsi que les Cinquième et Sixième Amendements, la garantie de procédure régulière et le principe de séparation des pouvoirs. Trois jours plus tard, le cabinet a demandé une ordonnance d’interdiction temporaire (TRO).

Cette demande visait à empêcher l’application de certaines dispositions du décret, notamment celles touchant aux relations avec la clientèle, aux activités contractuelles et à l’accès du personnel aux locaux fédéraux. La Cour a fait droit à la requête le jour même, estimant que Jenner avait de fortes chances de démontrer que le décret contrevenait au Premier Amendement par des représailles et la discrimination fondée l’opinion. Elle a également jugé que le cabinet faisait face à un « préjudice imminent et irréparable » et que « l’intérêt public ainsi que l’équilibre des équités » penchaient nettement en sa faveur [p. 9]. Enfin, la Cour a relevé que les lacunes constitutionnelles du décret présidentiels concernaient aussi le Cinquième Amendement (procédure régulière et protection contre l’auto-incrimination) et le Sixième Amendement (droit à l’assistance d’un avocat et à un procès équitable), en particulier en raison de l’entrave à la représentation juridique et de l’ingérence dans la relation avocat-client.

En vertu de ces éléments, l’ordonnance d’interdiction temporaire a suspendu l’application des sections 3 et 5 du décret et interdit toute utilisation punitive des déclarations de la section 1, y compris contre les clients ou le personnel de Jenner. La Cour a décidé, à l’unanimité, de maintenir cette ordonnance jusqu’à la décision définitive.

Le gouvernement a ensuite déposé une requête en irrecevabilité. Jenner a répliqué en déposant une requête en jugement sommaire (demande adressée au tribunal afin qu’il statue rapidement sur l’affaire, car les faits et le droit soutiennent clairement l’une des parties) et une demande d’injonction permanente (ordonnance du tribunal interdisant au gouvernement d’appliquer l’ordonnance à l’avenir). Étant donné que les parties s’étaient mises d’accord sur le fait que la communication préalable des pièces n’était pas nécessaire et compte tenu des éléments de preuve présentés par les deux parties, la Cour a interprété la requête du gouvernement comme une demande reconventionnelle de jugement sommaire.

Une audience sur les requêtes s’est tenue le 28 avril 2025.


Aperçu des Décisions

Le juge John D. Bates a rendu le jugement de la Cour de district de Columbia. La question centrale était de déterminer si le décret présidentiel 14246 contrevenait aux droits constitutionnels de Jenner, en le ciblant pour son activisme, ses clients et son association passée avec un avocat controversé. La Cour devait déterminer si les dispositions relatives aux habilitations de sécurité, aux contrats publics, à l’application des lois anti-discrimination et aux restrictions d’accès aux biens et emplois fédéraux constituaient des représailles contraires au Premier Amendement et portaient atteinte aux protections garanties par les Cinquième et Sixième Amendements.

Jenner a contesté le décret EO 14246 au motif qu’il constituait une mesure de représailles inconstitutionnelle à l’encontre de la liberté d’expression de l’entreprise, protégée par le Premier Amendement. Le cabinet a affirmé que la publication du décret visait ses activités contentieuses et pro bono, notamment dans des dossiers sensibles tels que l’immigration et les droits des personnes transgenres. Il a également souligné que son ancien emploi d’Andrew Weissmann, critique du président Trump, avait motivé la sanction. Selon Jenner, le décret punissait sa relation avec Weissmann et ses opinions, constituant une discrimination manifeste fondée sur le point de vue, un effet dissuasif sur l’expression et une menace pour l’indépendance du barreau. Le cabinet a aussi fait valoir que ces mesures violaient les droits des clients à choisir librement leur avocat et compromettaient l’indépendance de la profession. Il a donc demandé une injonction permanente et un jugement déclaratoire annulant le décret dans son intégralité, ses dispositions étant selon lui interdépendantes.

Jenner a fait valoir que la procédure sur mesure prévue dans la section 2 pour suspendre et réexaminer ses habilitations de sécurité était justiciable, car elle visait spécifiquement l’entreprise sans évaluation individualisée ni garanties procédurales, en se fondant sur le motif peu convaincant de l’éloge et de la réembauche de Weissmann par l’entreprise plutôt que sur une préoccupation légitime en matière de sécurité nationale. Il a également dénoncé le refus d’accès aux installations sécurisées comme une mesure de représailles. Au titre de la section 3, Jenner a fait valoir qu’elle avait qualité pour contester la décision en raison du préjudice économique imminent résultant de sa dépendance à l’égard des entrepreneurs publics et a soutenu que le fait de contraindre des parties tierces à se dissocier de l’entreprise afin d’obtenir un financement fédéral violait le Premier Amendement et ne pouvait être justifié par l’autorité chargée des marchés publics ou par des allégations non fondées de discrimination en matière d’emploi. Contestant la section 4, Jenner a dénoncé une enquête de l’EEOC déclenchée en représailles, en dehors des procédures normales, et rappelé que des initiatives comme la règle Mansfield étaient largement pratiquées et légales. Enfin, pour la section 5, il a soutenu que les restrictions d’accès aux bâtiments et au personnel fédéraux nuisaient déjà à sa capacité de représenter ses clients, en violation du Cinquième et Sixième Amendements, et que même le préambule du décret pouvait servir de base à des mesures préjudiciables.

Le gouvernement a défendu EO 14246 comme une réponse nécessaire à un comportement jugé préoccupant de certains cabinets, en particulier leurs choix d’affaires pro bono considérés comme menaçant la sécurité nationale, la sécurité publique et l’intégrité démocratique. Il a justifié le ciblage de Jenner par son implication dans des litiges politiquement sensibles, la réembauche d’un procureur critique du président et des allégations de pratiques discriminatoires en matière d’emploi. Selon l’administration, ces considérations, présentées comme des politiques non punitives, suffisaient à passer l’examen constitutionnel, et la présence d’un intérêt gouvernemental légitime, quelle qu’en soit la nature, permettait d’écarter le contrôle strict du Premier Amendement. Le gouvernement a fait valoir que les suspensions d’habilitation de sécurité prévues dans la section 2 relevaient clairement de la compétence exclusive du président et impliquaient des jugements prévisionnels en matière de sécurité nationale que les tribunaux n’avaient ni l’expertise ni la compétence pour remettre en question. Il a tenté d’établir un lien entre les éloges passés de l’entreprise à l’égard d’un avocat controversé et sa réembauche, d’une part, et de véritables préoccupations en matière de sécurité, d’autre part. Il a également fait valoir que les décisions du gouvernement en matière de passation de marchés sont discrétionnaires et reflètent le fait que le gouvernement agit comme un acheteur privé sur le marché plutôt que comme un régulateur ou un censeur, et qu’elles ne relèvent donc pas du Premier Amendement.

Le gouvernement a soutenu que les préoccupations liées à la discrimination en matière d’emploi constituaient un motif distinct, suffisant à justifier les mesures contractuelles mises en œuvre. Concernant la section 4, il a minimisé l’impact du décret en le présentant comme une simple réitération de l’application existante des lois sur les droits civils. Il a ajouté que Jenner était déjà soumis à la surveillance de l’EEOC, de sorte que cette disposition n’entraînait aucun traitement particulier. S’agissant de la section 5, il a affirmé que la contestation était prématurée, cette section exigeant l’adoption de directives futures avant l’application de restrictions concrètes.

La Cour a souligné que EO 14246, « à l’instar d’autres décrets similaires, vise à dissuader la représentation juridique qui déplaît à l’administration » [p. 2]. Elle a procédé à une analyse globale des violations constitutionnelles, examinant chacune des sections contestées (2, 3, 4 et 5) et évaluant les critères d’une injonction.

La Cour a conclu que EO 14246 visait Jenner en raison de ses déclarations passées et cherchait à entraver ses futures expressions, ce qui est intrinsèquement inconstitutionnel au regard du Premier Amendement. Le caractère répréhensible du décret était renforcé par sa discrimination fondée sur les opinions et par le fait qu’il ciblait spécifiquement les avocats. Elle a ajouté qu’aucune des dispositions ne pouvait être sauvée par le pouvoir discrétionnaire habituellement reconnu à l’exécutif, y compris en matière de sécurité nationale, de contrats, d’enquêtes anti-discrimination ou d’emploi.

La Cour a qualifié la « plainte pour représailles au titre du Premier Amendement » de Jenner de « victoire incontestable » [p. 11]. Elle a appliqué le critère établi dans Scahill c. District of Columbia : prouver (1) une conduite protégée, (2) une mesure de représailles suffisante pour dissuader une personne de fermeté ordinaire de s’exprimer à nouveau, et (3) un lien de causalité entre cette conduite et la mesure défavorable [p. 11]. Elle a jugé le premier élément rempli, les activités contentieuses et pro bono de Jenner, ainsi que son association avec Weissmann, relevant du Premier Amendement. Elle a estimé que le deuxième élément était également satisfait, la sévérité des sanctions prévues et l’exemple de cabinets ayant modifié leur conduite démontrant un effet dissuasif clair. Pour le troisième, elle a relevé un lien de causalité direct, la section 1 mentionnant expressément les activités protégées de Jenner comme motif de désapprobation. Enfin, elle a rejeté l’argument du gouvernement invoquant des objectifs neutres, rappelant que la simple affirmation d’un but non punitif ne pouvait masquer une discrimination fondée sur le point de vue, forme de restriction particulièrement inadmissible.

La Cour a qualifié l’affaire de « cas de représailles hors du commun » et souligné que le principal danger résidait dans leur « effet dissuasif prospectif », décrivant l’approche de l’administration comme un système de censure informelle inconstitutionnel [p. 15]. Elle a observé que les négociations avec l’administration Trump montraient que Jenner pouvait éviter des sanctions « en compromettant son discours », preuve que les représailles demeuraient effectives. Elle a rapproché cette analyse de l’affaire NRA c. Vullo, où un système de censure informelle avait été reconnu, et conclu que ce type de représailles s’apparentait à une restriction préalable, décrite dans Nebraska Press Association c. Stuart comme « la plus grave et la moins tolérable » des violations du Premier Amendement [p. 16].

La Cour a aussi noté que le ciblage des avocats posait un risque constitutionnel aggravé au regard des Cinquième et Sixième Amendements, notamment en ce qu’il portait atteinte au droit à un avocat. Elle a affirmé que toute entrave à l’indépendance de la profession juridique constituait une menace directe pour l’indépendance judiciaire et, par conséquent, pour « la capacité d’une branche du gouvernement à fonctionner » [p. 18]. Le décret mettait en péril cette indépendance en plaçant les cabinets devant un choix biaisé : rester loyaux envers leurs clients ou céder à l’apaisement du gouvernement. Enfin, elle a jugé que la section 5, en restreignant l’accès aux installations fédérales, constituait une atteinte au droit des clients de choisir leur avocat. Elle a souligné que l’accent mis sur les « opinions spécifiques » de Jenner représentait une discrimination manifeste fondée sur les opinions, soit une « forme flagrante de discrimination fondée sur le contenu », comme défini dans Rosenberger c. Rector & Visitors of University of Virginia.

En conséquence, la Cour a conclu que le décret sanctionnait et cherchait à museler la liberté d’expression protégée par le Premier Amendement, qu’il mettait l’action du gouvernement à l’abri de tout contrôle et qu’il violait les garanties constitutionnelles fondamentales. Elle a toutefois examiné si l’ordonnance, ou certaines de ses sections, pouvait néanmoins être maintenue [p. 19].

La Cour a reconnu que la contestation de Jenner concernant la section 2 était justiciable, malgré la déférence généralement accordée aux décisions de l’exécutif en matière de sécurité nationale. Elle a précisé que l’affaire soulevait des questions juridiques, et non politiques, puisque la procédure instaurée visait exclusivement Jenner par un mécanisme ad hoc dépourvu d’examen individualisé, initié « en représailles aux déclarations de Jenner » [p. 23]. La Cour a mis en garde contre les suspensions générales de cette nature, susceptibles de viser des groupes entiers sans recours effectif. Bien qu’elle ait reconnu que « la discrimination fondée sur les opinions et les croyances, interdite presque partout ailleurs, est courante dans le contexte des habilitations de sécurité », elle a estimé que Jenner avait surmonté cet obstacle procédural, faute de preuve d’un véritable problème de sécurité nationale. La justification fondée sur les éloges publics adressés à Weissmann a été jugée insuffisante [p. 23]. L’analyse de la décision montre que l’invocation vague de « l’intérêt national » ne peut valider le décret, surtout lorsque son véritable motif, comme l’indique la section 1, est une désapprobation politique. La Cour a résumé : « la section 2, en d’autres termes, consiste à utiliser un autre levier dans l’arsenal du président pour étouffer les discours qu’il n’apprécie pas » [p. 25]. En se référant à l’exemple du cabinet Paul Weiss, qui avait évité des sanctions en compromettant son discours, la Cour a jugé que « les mesures prises pour se soustraire à cette procédure – la dénonciation d’un ancien associé, la modification des critères de sélection des clients et des pratiques de recrutement, ainsi que l’engagement de fournir des services pro bono à la convenance du président – n’avaient même pas le moindre lien avec la sécurité nationale », confirmant que la section 2 visait à restreindre l’expression. Enfin, l’analyse de la section 2(b) [p. 25] a conduit la Cour à juger invalide la limitation de l’accès aux ressources fédérales, car elle poursuivait le même objectif : restreindre la liberté d’expression.

La Cour a jugé recevable la contestation de la section 3 par Jenner. Elle a souligné que l’impact du décret sur la liberté d’expression du cabinet suffisait à lui seul à justifier l’action, rappelant que « l’atteinte au droit constitutionnel de Jenner de s’exprimer sans craindre de représailles de la part du gouvernement lui confère en soi la qualité pour agir » [p. 29]. Elle a noté que, comme l’avaient montré les négociations et concessions d’autres cabinets, la simple existence du décret avait un effet dissuasif. La Cour a cité l’arrêt Vullo pour conclure que la section 3 reposait sur « la coercition à l’encontre d’un tiers pour obtenir la suppression d’un discours indésirable » [p. 30]. L’argument du gouvernement selon lequel il ne serait qu’un contractant privé a été rejeté, la Cour rappelant que le Premier Amendement lie le gouvernement dans toutes ses fonctions, y compris comme « employeur ». Elle a ajouté que les mesures indirectes peuvent être aussi coercitives que des sanctions directes et que l’usage du pouvoir discrétionnaire pour punir un discours est inconstitutionnel. De nouveau en référence à Vullo, elle a affirmé que « le gouvernement peut réglementer, mais il ne peut pas réglementer à titre de représailles pour des propos » [p. 31]. La justification avancée par le gouvernement, fondée sur des pratiques supposément discriminatoires, n’a été étayée ni par des faits ni par le droit. La participation à des programmes de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI), comme la règle Mansfield, était une pratique légale et répandue. La Cour a estimé que l’exécutif cherchait à imposer une « théorie juridique novatrice » sans respecter la procédure régulière [p. 33]. En se référant aux affaires Bantam Books v. Sullivan et Vullo, elle a qualifié cette mesure de système de censure étatique mis en œuvre par des moyens extralégaux. Elle a conclu que Jenner avait droit à une procédure régulière avant d’être exclu des marchés publics, relevant que le décret ne prévoyait ni notification ni audience, tout en imposant des sanctions lourdes. Elle a précisé que si le gouvernement peut limiter l’expression de certains employés publics, le financement public ne l’autorise pas à réprimer la liberté d’expression d’un cabinet privé en conflit avec l’État. Elle a ajouté que « la section 3 recourt donc à des moyens de représailles contre des avocats engagés dans des litiges opposant le gouvernement », ce qui rend ces mesures particulièrement choquantes [p. 37].

En examinant la section 4, la Cour a rappelé le précédent du décret exécutif 14230 visant Perkins Coie LLP et a constaté que cette disposition cherchait à soumettre Jenner à un contrôle de l’EEOC afin de vérifier sa conformité aux lois sur les droits civils. La note d’information annexée prévoyait un examen des pratiques de Jenner pour détecter d’éventuels biais raciaux. La Cour a rejeté l’argument du défaut de qualité pour agir, estimant que Jenner était ciblé en raison de ses prises de position et non soumis à une surveillance ordinaire de l’EEOC. Elle a jugé que le préjudice était imputable au décret et réparable par une injonction. Aucun motif légitime n’a été retenu, le seul fondement étant l’application de la règle Mansfield, une politique largement pratiquée. La Cour a conclu que le point commun entre les cabinets visés par ces enquêtes était d’avoir formulé des propos jugés déplaisants par le président Trump. Elle a noté que « Jenner fait partie des plus de 360 cabinets d’avocats ayant obtenu la certification Mansfield en 2023-2024. Dans cette perspective, Jenner ne se distingue pas particulièrement. Ce qui est remarquable, c’est que la caractéristique commune aux cabinets désormais menacés d’enquêtes par l’EEOC est d’avoir exprimé des propos déplaisants au président », se référant à Perkins Coie v. Department of Justice, qui mentionne d’autres cabinets visés. Elle a statué que le président ne pouvait pas ordonner d’enquêtes de l’EEOC en représailles à des propos protégés, en contournant les procédures établies exigeant des accusations précises.

La Cour a observé que l’interdiction d’embauche prévue à la section 5 du décret était immédiatement exécutoire et que l’instruction donnée aux agences d’élaborer des lignes directrices menait inévitablement à une restriction d’accès et à un préjudice concret. Des fonctionnaires du ministère de la Justice avaient déjà refusé la participation d’un avocat de Jenner à une réunion, obligeant le client concerné à engager un autre conseil. Cette situation compromettait à la fois la défense assurée par Jenner et le droit des clients de choisir librement leurs avocats. La Cour a jugé que la section 5 violait le Premier Amendement et menaçait les Cinquième et Sixième Amendements, la qualifiant d’« inexplicable, si ce n’est par une pure volonté d’infliger une souffrance à Jenner » [p. 41]. Elle a rappelé que si les droits à l’assistance d’un avocat sont encadrés, ils ne peuvent être refusés de façon arbitraire. Elle a conclu que le décret restreignait l’accès aux agences et aux tribunaux, limitant ainsi la capacité de Jenner à exercer sa profession : « Un avocat qui se voit privé de la possibilité de négocier avec les agences fédérales, de comparaître devant les tribunaux, etc. n’est guère un avocat » [p. 42]. La Cour a aussi noté que d’autres dispositions du décret imposaient des contraintes similaires, compromettant collectivement le droit des clients à choisir leur conseil. Bien que la décision ait été rendue principalement sur le fondement du Premier Amendement, elle a averti que le décret pouvait conduire à des violations constitutionnelles plus larges.

Après avoir statué sur le fond en faveur de Jenner, la Cour a examiné la pertinence d’une injonction permanente. Elle a appliqué la norme établie dans l’arrêt Zukerman c. USPS, exigeant que trois conditions soient réunies : « (1) un préjudice irréparable en l’absence d’injonction ; (2) l’absence de recours juridique adéquat, tel que des dommages-intérêts ; et (3) un avantage compte tenu de l’équilibre des difficultés et de l’intérêt public » [p. 10].

La Cour a jugé que la réputation de Jenner avait subi un dommage irréparable, impossible à compenser par les voies de droit ordinaires. Le décret imposait au cabinet un choix inacceptable : modifier son discours ou subir des préjudices économiques et réputationnels considérables. La seule menace pesant sur les libertés garanties par le Premier Amendement suffisait à satisfaire au critère du préjudice irréparable. Bien que les pertes financières ne soient pas nécessairement irréparables en soi, elles l’étaient en l’espèce en raison de l’immunité souveraine, qui privait Jenner de tout recours en dommages-intérêts. La Cour a souligné qu’une injonction permanente constituait le seul moyen d’empêcher ces atteintes. En outre, l’équilibre des difficultés et l’intérêt public penchaient clairement en faveur de Jenner : l’exécution d’un décret inconstitutionnel est, par nature, contraire à l’intérêt public. Elle a insisté sur le fait que les répercussions de l’affaire allaient bien au-delà de Jenner, menaçant la crédibilité et l’indépendance de la profession juridique. D’autres cabinets avaient déjà été visés par des mesures similaires, qui avaient produit un effet dissuasif sur l’exercice de la défense et sur la représentation pro bono.

La manipulation du travail pro bono, qui contraignait les cabinets à se conformer au programme politique du président, a été jugée particulièrement nocive pour le public. La Cour a relevé que ces ordonnances « forçaient les cabinets à réorienter leurs services non rémunérés vers des activités privilégiées par le président, voire à travailler directement pour lui » [p. 46]. Elle a mis en garde contre l’effet dissuasif que ces mesures pourraient avoir au-delà de la profession juridique, en touchant notamment la presse et la société civile, avec le risque de compromettre l’équilibre du système constitutionnel.

En conclusion, la Cour a jugé que EO 14246 constituait un acte de représailles inconstitutionnel, contrevenant aux droits de Jenner garantis par le Premier Amendementen raison d’une discrimination fondée sur ses opinions et d’un effet dissuasif important sur la défense juridique. Le décret a été déclaré illégal au regard des principes établis du Premier Amendement, sans qu’il soit nécessaire d’examiner d’autres arguments. La décision a également mis en évidence les risques importants pour le Cinquième et Sixième amendements, en particulier le droit à un avocat. Constatant un préjudice irréparable et l’intérêt public à protéger les libertés constitutionnelles et l’indépendance du barreau, la Cour a rendu un jugement sommaire en faveur de Jenner, rejeté la requête du gouvernement et interdit de manière permanente l’application des sections 2 à 5. En revanche, elle a refusé d’interdire toute action future fondée uniquement sur les déclarations de la section 1, qu’elle a considérées comme relevant du discours gouvernemental protégé, dès lors qu’elles n’avaient pas d’effet contraignant.


Direction De La Décision

Info Rapide

La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.

Élargit l'expression

Cette décision marquante élargit la liberté d’expression et d’association, en soulignant que le pouvoir exécutif ne peut être utilisé contre les avocats en raison de leurs actions de défense, de leurs associations ou des clients qu’ils choisissent de représenter. En annulant toutes les dispositions opérationnelles du décret, la Cour a réaffirmé que les protections constitutionnelles ne cèdent pas à la volonté politique et qu’aucune administration ne peut détourner les outils réglementaires pour punir des discours jugés indésirables ou intimider la profession juridique.

Perspective Globale

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La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.

Tableau Des Autorités

Normes, droit ou jurisprudence nationales

Importance du Cas

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L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.

La décision établit un précédent contraignant ou persuasif dans sa juridiction.

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