Diffamation / réputation, Liberté académique, SLAPPs
Mineral Sands Resources (Pty) Ltd. C. Reddell; Mineral Commodities Limited c. Dlamini; Mineral Commodities Limited c. Clarke
Afrique du Sud
En cours Élargit l'expression
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La Cour fédérale du district du Massachusetts a accordé une injonction provisoire suspendant l’application d’une proclamation présidentielle interdisant l’entrée aux étudiants internationaux et aux visiteurs d’échange souhaitant étudier dans une université américaine de renom. L’affaire prit sa source dans une campagne de représailles présumée après que l’université eut rejeté une lettre conditionnant le financement fédéral à des exigences idéologiques, notamment des modifications des conditions d’admission, la suppression des programmes de diversité et des audits externes des départements afin d’évaluer la diversité des points de vue. En réponse, l’administration a gelé des milliards de dollars de subventions, révoqué la certification du Student and Exchange Visitor Program (SEVP) et menacé le statut fiscal de l’université, tout en multipliant les déclarations liant ces mesures à ses prises de position et à ses actions judiciaires. La Cour a jugé qu’il y avait une forte probabilité que la proclamation viole le titre 8, section 1182(f), de la Loi sur l’immigration et la nationalité, son utilisation pour cibler une institution nationale étant sans précédent et dépourvue de justification en matière de politique étrangère ou de sécurité. Elle a également conclu que l’université avait d’importantes chances de succès sur la base du Premier Amendement, les mesures constituant des représailles et une discrimination fondée sur le point de vue. Estimant que leur application causerait un préjudice irréparable en portant atteinte aux droits constitutionnels de l’université et en perturbant ses missions d’enseignement et de recherche, la Cour a accordé l’injonction provisoire et suspendu la proclamation.
En 2023, 2024 et 2025, à la suite de la guerre à Gaza et des opérations militaires israéliennes, les universités à travers les États-Unis, y compris l’Université Harvard, une institution académique américaine de renom, ont connu des manifestations soutenues contre la guerre. Face aux préoccupations croissantes concernant l’antisémitisme, le gouvernement fédéral a créé, au début de 2025, le Task Force to Combat Anti-Semitism (groupe de travail chargé de lutter contre l’antisémitisme). Celui-ci a ouvert des enquêtes sur dix universités et, fin mars 2025, a informé Harvard de son intention d’évaluer environ 8,7 milliards de dollars de financements fédéraux pour la recherche, invoquant l’insuffisance des mesures prises pour lutter contre le harcèlement antisémite.
Le 3 avril 2025, l’Administration des services généraux (General Services Administration – GSA), le ministère de la Santé et des Services sociaux (Department of Health and Human Services – HHS) et le ministère de l’Éducation (Department of Education – DoE) ont adressé à Harvard une lettre conjointe exposant une série de réformes nécessaires pour maintenir son admissibilité aux financements fédéraux. Cette lettre a été remplacée, le 11 avril 2025, par une seconde communication imposant des conditions spécifiques pour préserver la relation financière entre Harvard et le gouvernement. Ces conditions incluaient la réduction de l’autorité des professeurs identifiés comme privilégiant l’activisme au détriment de la recherche, la restructuration du processus d’admission des étudiants internationaux afin d’exclure les personnes jugées « hostiles aux valeurs américaines », la réalisation d’audits externes dans tous les départements pour évaluer la « diversité des points de vue », l’exigence que les nouveaux enseignants et étudiants contribuent à cette diversité, l’audit des programmes soupçonnés d’« emprise idéologique », la suppression de toutes les initiatives en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (diversity, equity, and inclusion – DEI), ainsi que la révocation de la reconnaissance des organisations étudiantes présumées impliquées dans des activités antisémites. [p. 3-4]
Le 14 avril 2025, le président de Harvard, Alan Garber, a publié une réponse publique rejetant ces demandes. Il a affirmé que les directives du gouvernement outrepassaient son autorité légale, violaient les droits de Harvard garantis par le Premier Amendement (qui protège notamment la liberté d’expression, l’expression académique et le droit de contester le gouvernement) et menaçaient directement l’indépendance de l’université en tant qu’institution privée. Garber a souligné que les tentatives du gouvernement d’influencer les admissions, les programmes universitaires et la gouvernance du campus constituaient une ingérence inconstitutionnelle dans les affaires internes de l’université, sous la menace de sanctions financières.
L’administration du président Donald J. Trump a réagi rapidement à ce rejet public. Dans les heures qui ont suivi, le Task Force to Combat Anti-Semitism (groupe de travail chargé de lutter contre l’antisémitisme) a annoncé le gel de plusieurs milliards de dollars de financements fédéraux destinés à la recherche à Harvard. Le lendemain, le 15 avril 2025, le président Trump a publié sur Truth Social, une plateforme de médias sociaux, un message suggérant que le statut d’exonération fiscale de Harvard devrait être révoqué : « Peut-être que Harvard devrait perdre son statut d’exonération fiscale et être imposée en tant qu’entité politique si elle continue à promouvoir une « maladie » d’inspiration politique, idéologique et terroriste ? N’oubliez pas que le statut d’exonération fiscale dépend entièrement d’une action conforme à l’INTÉRÊT PUBLIC ! » [p. 5] Le 16 avril, il a publié un autre message critiquant l’université pour employer des personnes qu’il a qualifiées de « radicaux de gauche, d’idiots et de cervelles d’oiseau », ajoutant qu’elle « ne devrait plus recevoir de fonds fédéraux ». [p. 5] Plus tard dans la journée, la secrétaire à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, a adressé une lettre à Harvard menaçant de révoquer sa certification dans le cadre du Student and Exchange Visitor Program (SEVP) si l’université ne se conformait pas à des exigences documentaires étendues. Cette lettre était accompagnée d’une déclaration publique attribuant la mesure à la prétendue « idéologie radicale » de Harvard et à son alignement avec une « idéologie anti-américaine et pro-Hamas ». [p. 32]
La campagne contre Harvard s’est intensifiée au cours des semaines suivantes. Le 20 avril 2025, l’administration a menacé de retenir un milliard de dollars supplémentaires de financements ; le 24 avril, le président Trump a de nouveau publié un message sur Truth Social, qualifiant Harvard d’« institution antisémite d’extrême gauche » et de « menace pour la démocratie » ; le 30 avril, lors d’une réunion du Cabinet, il a réitéré ces critiques, tandis que la secrétaire à l’Éducation, Linda McMahon, a déclaré que Harvard avait répondu à une offre de négociation par un recours judiciaire, affirmant : « Nous restons intransigeants à leur égard » ; le 2 mai, le président Trump a de nouveau évoqué la possibilité de retirer à Harvard son statut d’exonération fiscale ; et le 5 mai, la secrétaire McMahon a envoyé une lettre confirmant que Harvard ne recevrait plus de subventions fédérales, attribuant le positionnement actuel de l’université à l’influence d’un « ancien haut responsable nommé par Barack Obama, fortement orienté à gauche ». Cette lettre a réaffirmé l’engagement de l’administration envers les réformes décrites dans la lettre du 11 avril, tout en remettant en question la capacité de Harvard à sélectionner ses professeurs de manière appropriée afin qu’ils se concentrent sur leur discipline plutôt que sur la promotion de positions idéologiques. Le 22 mai 2025, les mesures de l’administration ont culminé lorsque le Département de la Sécurité intérieure (DHS) a publié une lettre révoquant la certification de Harvard dans le cadre du SEVP, mettant ainsi fin à sa capacité d’accueillir des étudiants internationaux.
Le 23 mai 2025, l’Université Harvard a engagé une procédure judiciaire en déposant une plainte accompagnée d’une ordonnance de protection temporaire (temporary restraining order – TRO) visant à suspendre la révocation du SEVP. Le jour même, la Cour a accordé le TRO, préservant ainsi le statut SEVP de l’université dans l’attente d’un examen plus approfondi.
Dans les jours suivants, l’administration a poursuivi sa campagne de pressions. Le 26 mai 2025, le président Trump a publié deux messages sur Truth Social faisant référence au litige et suggérant une réduction supplémentaire de 3 milliards de dollars des financements fédéraux. Selon les médias, le 28 mai, veille de l’audience préliminaire, des représentants d’une douzaine d’agences fédérales se sont réunis pour envisager de nouvelles mesures punitives contre Harvard. Le même jour, le Département de la Sécurité intérieure (DHS) a publié un avis d’intention de retrait (NOIW) du retrait de la lettre de révocation du SEVP, indiquant que la mesure serait suspendue pendant la procédure de retrait. Le 1er juin 2025, la secrétaire Noem a diffusé une vidéo sur la plateforme X, accusant publiquement Harvard de promouvoir « les idéologies communistes et marxistes » sur son campus. [p. 8]
Alors que la procédure de Notice of Intent to Withdraw (NOIW) relative à la certification SEVP de Harvard était toujours en cours, le président a publié, le 4 juin 2025, une proclamation intitulée « Renforcer la sécurité nationale face aux risques liés à l’Université Harvard » (la « Proclamation »). Ce texte suspendait la délivrance de certaines catégories de visas (F-1, M-1 et J-1) aux ressortissants étrangers souhaitant étudier ou participer à des programmes d’échange à Harvard, en vertu de l’Immigration and Nationality Act (INA), et plus précisément de l’article 1182(f) du titre 8, qui dispose : « Lorsque le président estime que l’entrée d’un étranger ou d’une catégorie d’étrangers sur le territoire des États-Unis serait préjudiciable aux intérêts du pays, il peut, par proclamation et pour la période qu’il juge nécessaire, suspendre l’entrée de tous les étrangers ou de toute catégorie d’étrangers, qu’ils soient immigrants ou non-immigrants, ou imposer toute restriction à leur entrée qu’il estime appropriée. » [p. 11] La Proclamation invoquait comme justifications l’augmentation présumée de la criminalité sur le campus, l’acceptation par Harvard de financements en provenance de la Chine et d’autres gouvernements étrangers, ainsi que l’inscription d’étudiants issus de pays considérés comme « non égalitaires ». Un communiqué de presse l’accompagnant décrivait Harvard comme ayant « un passé avéré de radicalisme ». [p. 12]
Le président et les membres du conseil d’administration de Harvard ont alors intenté une action en justice contre le Département de la Sécurité intérieure (DHS), le Département de la Justice (DOJ), le Département d’État (DoS), l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), le Student and Exchange Visitor Program (SEVP) ainsi que plusieurs hauts responsables fédéraux (collectivement, « le gouvernement »), afin d’obtenir une injonction contre la Proclamation. Le jour même, la Cour a accordé un TRO. Le 12 juin, Harvard a ensuite sollicité une injonction provisoire, et une audience a été fixée au 16 juin 2025.
L’université a fait valoir que la Proclamation du 4 juin violait les droits qui lui sont garantis par le Premier Amendement (liberté d’expression) et le Cinquième Amendement (égalité de protection) de la Constitution, car elle avait été adoptée en représailles à l’exercice de sa liberté d’expression et à son autonomie institutionnelle.
La juge Allison Burroughs, de la Cour fédérale du district du Massachusetts, a rendu le mémorandum et l’ordonnance. La question centrale était de déterminer si la Proclamation présidentielle intitulée « Renforcer la sécurité nationale face aux risques liés à l’Université Harvard » était conforme au titre 8, section 1182(f), de l’Immigration and Nationality Act (INA), et si elle contrevenait aux droits de Harvard garantis par le Premier Amendement — en raison de représailles et de discrimination fondée sur le point de vue — ou par le Cinquième Amendement, relatif à l’égalité de protection, qui impose au gouvernement de traiter les entités de manière équitable et sans discrimination injustifiée.
Harvard a déposé une requête en injonction provisoire contre la Proclamation, soutenant qu’elle excédait l’autorité du président en vertu de l’article 1182(f) et qu’elle avait été émise en représailles à l’exercice de sa liberté d’expression et de son autonomie institutionnelle. Elle a affirmé que, même si la Proclamation s’inscrivait dans le cadre légal, elle ne pouvait être maintenue, car elle violait le Premier et le Cinquième Amendements. Sur le plan statutaire, Harvard a soutenu que le président Trump n’avait pas établi, comme l’exige la loi, que l’entrée de certains ressortissants étrangers serait préjudiciable aux intérêts des États-Unis. Selon elle, la Proclamation visait à contraindre une institution nationale à se plier à des exigences idéologiques imposées par le gouvernement, sans répondre à une menace extérieure réelle. Elle a rappelé que l’article 1182(f) avait toujours été invoqué pour réglementer l’entrée de ressortissants étrangers sur des bases de politique étrangère ou de sécurité nationale, et non pour influencer la gouvernance académique interne. Elle a aussi contesté la validité d’une « catégorie » d’étrangers définie uniquement par l’intention de fréquenter une université américaine spécifique, qualifiant cette approche de sans précédent. Harvard a fait valoir que la Proclamation contredit la structure réglementaire existante du SEVP en imposant des exigences documentaires excessives allant au-delà de ce que la loi autorise.
Outre ces arguments juridiques, l’Université Harvard a soulevé plusieurs griefs constitutionnels. Elle a soutenu que la norme de contrôle déférente appliquée dans Kleindienst c. Mandel et Trump c. Hawaii n’était pas applicable, la Proclamation visant une entité nationale plutôt que des acteurs étrangers. Elle a affirmé qu’il s’agissait d’une mesure de représailles, citant son refus de se conformer à la lettre du 11 avril — exigeant des modifications dans les admissions, les programmes d’études et la politique du campus — comme une expression protégée, ainsi que la déclaration publique du président Garber du 14 avril. Harvard a souligné qu’une campagne coordonnée de responsables fédéraux — comprenant des déclarations publiques, le gel des financements, des menaces sur son statut fiscal et des tentatives de révocation de sa certification SEVP — constituait une réponse directe à son comportement protégé.
Elle a également invoqué la Petition Clause, qui garantit le droit de demander une action ou une réparation au gouvernement sans crainte de représailles, en affirmant que la Proclamation avait été adoptée pour sanctionner ses recours judiciaires contre des mesures antérieures. Harvard a fait valoir que le moment choisi, ainsi que des déclarations publiques de responsables mentionnant explicitement le litige, confirmaient une discrimination fondée sur les opinions, illustrée par de nombreuses déclarations de l’administration condamnant sa position idéologique perçue et son orientation « radicale de gauche ». Enfin, elle a invoqué le Cinquième Amendement pour faire valoir une revendication de type class-of-one, soutenant qu’elle avait été traitée différemment d’autres institutions comparables sans justification rationnelle, et que cette application sélective renforçait ses allégations générales de représailles et de discrimination illégale.
Le gouvernement s’est opposé à l’injonction provisoire en soutenant que la Proclamation relevait d’un exercice légitime de l’autorité présidentielle en vertu de l’article 1182(f) et ne violait aucun droit constitutionnel. Il a rappelé que la loi sur l’immigration confère à l’exécutif un pouvoir discrétionnaire étendu, reconnu par la Cour suprême dans Trump c. Hawaii. Selon lui, le président avait agi dans le cadre de ses prérogatives en suspendant l’émission de visas pour les étudiants souhaitant intégrer Harvard. Le gouvernement a affirmé que la législation n’impose pas de limites à la définition d’une « catégorie » et que restreindre les visas F-1, M-1 et J-1 en fonction de l’établissement choisi était conforme à la nature de ces documents, propres à chaque université. Il a également soutenu que l’article 1182(f) opérait de façon autonome par rapport aux règlements du SEVP et ne créait aucune contradiction avec le cadre réglementaire existant. Sur le plan constitutionnel, il a invoqué Kleindienst c. Mandel et Trump c. Hawaii pour affirmer la validité prima facie de la Proclamation et limiter l’examen judiciaire aux justifications explicites de l’exécutif.
En réponse aux allégations de représailles fondées sur le Premier Amendement, le gouvernement a soutenu qu’elles n’étaient pas étayées. Il a affirmé que les préoccupations concernant la surveillance des étudiants internationaux relevaient de considérations de politique publique, et non de représailles. Selon lui, le rejet par Harvard de la lettre du 11 avril ne constituait pas une expression protégée, et l’intervalle de sept semaines entre ce rejet et la Proclamation excluait tout lien de causalité. Le gouvernement a aussi avancé que la prétendue campagne de représailles résultait d’actions indépendantes de différentes agences, et qu’y voir un motif coordonné relevait d’une inférence déraisonnable. Il a en outre demandé à la Cour d’appliquer une présomption de régularité à l’action exécutive, soulignant l’absence de preuve directe liant la Proclamation à l’expression de Harvard. Concernant la Petition Clause, il a reconnu que l’introduction d’une plainte constituait une activité protégée, mais a plaidé pour un contrôle limité à la Proclamation elle-même. Il a invoqué Hartman c. Moore pour soutenir que Harvard n’avait pas écarté l’existence de motifs indépendants et légitimes justifiant la mesure. Enfin, ses réponses aux allégations de discrimination fondée sur le point de vue et d’atteinte à l’égalité de protection reprenaient ses arguments sur les représailles, affirmant qu’aucune preuve d’intention abusive n’était établie et que la Proclamation constituait un exercice légitime de l’autorité présidentielle fondé sur des préoccupations de sécurité nationale.
La Cour a rejeté l’argument du gouvernement selon lequel la Proclamation échappait à tout contrôle judiciaire. Ce dernier s’appuyait sur Fiallo c. Bell pour affirmer que l’autorité présidentielle au titre de l’article 1182(f) était si large qu’elle ne pouvait être contestée. La Cour a distingué Fiallo, qui portait sur le pouvoir législatif du Congrès en matière d’admission des étrangers, de la présente affaire, qui concernait l’autorité de l’exécutif. Elle a réaffirmé la présomption en faveur du contrôle judiciaire des actes administratifs, déclarant qu’« elle ne voit aucune raison pour laquelle ce contrôle ne pourrait pas inclure la vérification du respect par l’administration du cadre statutaire, en particulier lorsque le litige soulève des questions constitutionnelles fondamentales distinctes de l’analyse légale ». [p. 14]
Ayant jugé l’affaire justiciable, la Cour a appliqué la norme relative aux injonctions préliminaires énoncée dans l’affaire Corporate Technologies, Inc. c. Harnett, qui exige que le requérant (Harvard) établisse : (i) une probabilité de succès sur le fond ; (ii) un risque de préjudice irréparable en cas de refus du redressement ; (iii) que la balance des inconvénients penche en sa faveur ; et (iv) qu’une injonction serve l’intérêt public. Le gouvernement étant la partie adverse dans la présente affaire, les troisième et quatrième critères ont été fusionnés. Compte tenu des questions constitutionnelles soulevées, la Cour s’est principalement concentrée sur la probabilité de succès, les autres facteurs penchant clairement en faveur de Harvard.
En évaluant les chances de succès de Harvard sur le fond, la Cour a analysé l’argument selon lequel le président avait excédé les limites de son autorité en vertu de l’article 1182(f) en publiant la Proclamation. Alors que le gouvernement invoquait l’arrêt Trump c. Hawaii comme précédent, la Cour a conclu que les circonstances différaient sensiblement et que cet arrêt ne tranchait pas la question juridique en litige.
La Cour a identifié plusieurs distinctions importantes entre Trump c. Hawaii et la présente affaire. Premièrement, dans Trump c. Hawaii, la mesure exécutive reposait sur l’incapacité alléguée du gouvernement à contrôler les ressortissants de certains pays avant leur entrée, en raison de risques spécifiques pour la sécurité nationale. En revanche, ici, rien n’indiquait que les étudiants posaient des difficultés de vérification ou constituaient une menace sécuritaire au point d’entrée. La justification de la Proclamation semblait plutôt liée aux pratiques administratives internes de Harvard, quant au respect de ses obligations de partage d’informations après l’entrée, plutôt qu’à des risques associés aux personnes sollicitant un visa. Deuxièmement, la Cour a estimé que la définition de la « catégorie » interdite dans la Proclamation était fondamentalement différente : alors que la politique contestée dans Hawaii imposait des restrictions fondées sur la nationalité — critère traditionnel et objectif reconnu de longue date en droit de l’immigration — la Proclamation en cause excluait des non-citoyens en fonction de leur intention de s’inscrire dans une université américaine spécifique. La Cour s’est interrogée sur la validité d’une telle définition au regard de l’article 1182(f), puisqu’elle est liée non pas à l’identité ou à l’origine d’une personne, mais à son choix d’établissement. Troisièmement, la Proclamation n’identifiait aucune menace tangible à la frontière ni aucun enjeu de politique étrangère ou de sécurité internationale lié aux étudiants. Le préjudice allégué était entièrement attribué au comportement d’une université nationale, déplaçant l’attention de l’exécutif vers le fonctionnement d’un établissement américain plutôt que vers un acteur extérieur ou une menace transfrontalière. Enfin, la Cour a souligné que, tandis que Trump c. Hawaii portait sur une interdiction globale d’entrée visant les ressortissants de certains pays, en l’espèce, s’agissant des étudiants, « le président n’a sans doute (et très spécifiquement) pas estimé que leur entrée serait préjudiciable, étant donné que ces étudiants sont autorisés à entrer sur le territoire, à condition qu’ils ne fréquentent pas Harvard ». [p. 17] Selon la Cour, cette formulation conditionnelle remettait en cause l’idée d’un préjudice intrinsèque et indiquait plutôt une mesure punitive visant Harvard elle-même, mise en œuvre en limitant l’accès aux visas des futurs étudiants en raison de leur affiliation académique prévue.
La Cour a évalué la Proclamation au regard des quatre éléments requis par l’article 1182(f) : (1) que le président ait rendu une « constatation » ; (2) concernant « l’entrée aux États-Unis » ; (3) de « tout étranger ou catégorie d’étrangers » ; et (4) que cette entrée « serait préjudiciable aux intérêts des États-Unis ». Harvard avait contesté la Proclamation en soutenant qu’elle ne reposait pas sur une constatation préalable de préjudice, le président n’ayant pas identifié de dommage concret découlant de l’entrée des personnes concernées. Mais la Cour, citant l’arrêt Trump c. Hawaii, a refusé d’examiner en profondeur le raisonnement présidentiel, soulignant que la loi ne définit pas ce qui constitue une « constatation » et que la jurisprudence dissuade les tribunaux de remettre en cause la justification de l’exécutif dans ce domaine.
La Cour a néanmoins examiné le traitement réservé par la Proclamation aux deuxième et troisième éléments : l’« entrée aux États-Unis » d’une « catégorie d’étrangers ». Bien qu’elle paraisse restreindre l’entrée, la Cour a observé que son effet réel était d’autoriser les étudiants étrangers à entrer à condition qu’ils ne fréquentent pas Harvard. Elle a relevé que cette lecture « semblait déformer le libellé et l’objectif de la loi ». Une telle restriction conditionnelle montrait que la Proclamation ne considérait pas l’entrée en elle-même comme préjudiciable, mais cherchait plutôt à imposer une sanction liée à l’affiliation avec une institution nationale particulière, soulevant ainsi des doutes sur sa conformité à l’exigence légale.
S’agissant de la notion de « catégorie d’étrangers », la Cour a reconnu que le terme avait été interprété largement par le passé, mais a souligné le caractère inédit de la démarche : jamais une proclamation fondée sur l’article 1182(f) n’avait défini une catégorie uniquement sur la base de l’intention d’un individu de s’inscrire dans une université américaine spécifique. La Cour a insisté sur l’absence de précédent et estimé que si l’exécutif avait toujours détenu ce pouvoir, il l’aurait exercé auparavant.
Enfin, concernant le quatrième élément, à savoir le préjudice aux intérêts des États-Unis, Harvard avait soutenu qu’il devait être compris dans le cadre plus large de la loi, qui vise à protéger la sécurité nationale ou à promouvoir la politique étrangère face à des menaces extérieures. Or, la Proclamation n’identifiait aucun danger spécifique posé par les étudiants eux-mêmes, attribuant le préjudice invoqué au comportement de Harvard en tant qu’université nationale. La Cour, rappelant que Trump c. Hawaii reconnaît le pouvoir du président d’agir sur la base de considérations de politique étrangère, a noté que d’autres juridictions avaient exprimé leur scepticisme lorsque l’article 1182(f) était invoqué pour des objectifs de politique intérieure. Compte tenu de ces réserves et du caractère particulier de la Proclamation — notamment le ciblage d’un seul établissement universitaire et l’absence de menace internationale identifiable — la Cour a exprimé de sérieux doutes quant à la conformité de cette utilisation de l’article 1182(f) au cadre légal.
La Cour a ensuite examiné les arguments constitutionnels de Harvard, qui incluaient des théories fondées sur le Premier Amendement — liberté d’expression et Clause de pétition — ainsi qu’un argument de discrimination fondée sur le point de vue et une contestation du Cinquième Amendement sur l’égalité de protection. Ces arguments reposaient largement sur des éléments extérieurs à la Proclamation. Le gouvernement a soutenu que, conformément à Mandel et Trump c. Hawaii, la Cour ne pouvait pas en tenir compte dès lors que la Proclamation présentait une justification faciale légitime et de bonne foi. La Cour a rejeté cette approche, considérant que si la Proclamation n’avait pas de validité légale au regard de l’article 1182(f), la norme déférente issue de Trump c. Hawaii et Mandel ne s’appliquait pas. Même en supposant sa conformité légale, elle n’aurait pu résister à l’examen constitutionnel. Selon la Cour, la Proclamation relevait de la catégorie restreinte de mesures exécutives qui, même légitimes en apparence, ne peuvent être expliquées par des motifs neutres et semblent plutôt motivées par des considérations inconstitutionnelles. Le dossier suggérait une intention fondée sur l’animosité partisane plutôt que sur un objectif gouvernemental défendable.
Après examen des motifs avancés, la Cour a conclu qu’ils manquaient de crédibilité. Le premier invoquait une recrudescence de la criminalité à Harvard, mais aucun élément ne liait les étudiants étrangers à cette augmentation. Elle a noté que l’administration se fondait sur un article d’un journal étudiant plutôt que sur des données officielles. Ce motif a été jugé dénué de pertinence au regard d’un intérêt gouvernemental légitime. La Proclamation évoquait aussi des liens financiers et institutionnels entre Harvard et des gouvernements étrangers, en particulier la République populaire de Chine, mentionnant dons passés et allégations concernant des entités liées au Parti communiste chinois. La Cour a toutefois estimé cette justification peu convaincante : la mesure ne ciblait pas les ressortissants chinois ou les étudiants affiliés, mais imposait une interdiction générale à tous les étudiants étrangers souhaitant étudier à Harvard. Elle l’a jugée disproportionnée par rapport aux risques allégués, rappelant qu’« il s’agit d’un exemple typique où l’étendue même de l’interdiction est en décalage avec les raisons invoquées pour la justifier », citant Trump c. Hawaii. [p. 25] Enfin, la troisième justification invoquait que Harvard accueillait des étudiants de pays jugés « non égalitaires ». La Cour a relevé l’illogisme d’une politique interdisant leur admission à Harvard tout en leur permettant d’intégrer d’autres universités. Cette incohérence, selon elle, sapait la crédibilité du motif avancé et révélait davantage un préjugé qu’un objectif politique cohérent.
Contrairement à la Proclamation en cause dans Trump c. Hawaii, qui paraissait neutre, celle-ci visait directement Harvard en la citant nommément. De plus, les déclarations publiques qui l’accompagnaient mentionnaient le « radicalisme » de Harvard, renforçant l’impression qu’elle reposait non sur une préoccupation neutre de sécurité nationale, mais sur une hostilité envers l’orientation idéologique perçue de l’institution. Sur la base du dossier, la Cour a conclu qu’« il est difficile, sinon impossible, de conclure que les raisons avancées à l’appui de la Proclamation ne sont pas que des prétextes » et qu’elle était animée par des motifs inadmissibles. [p. 27]
La Cour a estimé que Harvard avait de fortes chances de succès dans son action en représailles au titre du Premier Amendement. En appliquant au cas d’espèce le test en trois parties de Werner c. Therein, elle devait déterminer : (1) si Harvard s’était livrée à une activité protégée ; (2) si le gouvernement avait pris un acte défavorable susceptible de dissuader une personne de fermeté normale de poursuivre cette activité ; et (3) s’il existait un lien de causalité entre l’activité protégée et l’acte en cause. La Cour a jugé que le refus de Harvard d’adopter les mesures figurant dans la lettre du 11 avril — concernant admissions, programmes d’études et gouvernance — relevait de la liberté académique protégée, citant Keyishian c. Board of Regents : « La liberté académique se nourrit non seulement de l’échange indépendant et sans entrave d’idées entre enseignants et étudiants, mais aussi […] de la prise de décision autonome par l’université elle-même. » [p. 29] Les déclarations publiques telles que la lettre du président Garber du 14 avril constituaient aussi une expression protégée. La Proclamation, qui a privé Harvard de sa capacité à accueillir des étudiants et chercheurs internationaux, a été considérée comme un acte défavorable manifeste, compte tenu de ses conséquences sur la recherche, la réputation institutionnelle et les activités universitaires.
Concernant la causalité, la Cour a rejeté les arguments du gouvernement, qui invoquait le délai écoulé ou la multiplicité des agences. Elle a au contraire constaté des preuves accablantes d’une intention de représailles, révélant une campagne soutenue de l’Administration : critiques publiques du président Trump, menaces et gels de financements, efforts pour révoquer la certification SEVP, et références directes liant la non-conformité de Harvard à des mesures punitives. La Cour a refusé d’appliquer la présomption de régularité à une Proclamation marquant une utilisation inédite de l’article 1182(f) contre une université de renom. Les déclarations de responsables, comme celle affirmant que « ils ont adopté une ligne très dure, nous avons donc riposté avec la même fermeté », ont confirmé l’existence d’un motif de représailles. [p. 34] Au vu de ces éléments, la Cour a conclu que Harvard avait démontré une forte probabilité de succès. Elle a souligné que « le lien de causalité entre la Proclamation et le rejet par Harvard, le 14 avril, de la lettre de l’Administration du 11 avril ne pouvait être plus évident ». [p. 34]
Concernant l’argument fondé sur la Clause de pétition, la Cour, s’appuyant sur l’arrêt Stepnes c. Tennessen, a appliqué les mêmes critères que pour la liberté d’expression. Elle a jugé que l’action intentée par Harvard constituait une activité protégée et que la Proclamation représentait un acte préjudiciable. Le lien de causalité était manifeste, étayé par des références explicites au contentieux par le président ainsi qu’un calendrier démontrant que la Proclamation avait été publiée peu après la plainte initiale et juste avant le dépôt d’un écrit judiciaire substantiel. Cette chronologie indiquait une manœuvre d’évitement, destinée à contourner la procédure en cours. La Cour a donc conclu que Harvard avait de fortes chances de succès sur ce fondement. [p. 37]
S’agissant de la discrimination fondée sur le point de vue, la Cour s’est concentrée sur l’hostilité perçue de l’Administration envers Harvard en raison de son orientation idéologique. Elle a rappelé l’arrêt National Rifle Association of America c. Vullo, qui établit qu’un acteur gouvernemental ne peut discriminer en fonction d’un point de vue ni employer le pouvoir de l’État pour réprimer des discours jugés hostiles. Les preuves étaient nombreuses : l’Administration avait critiqué « l’orientation gauchiste » de l’université, la qualifiant notamment d’« institution woke, radicale, idiote », d’« institution antisémite, d’extrême gauche » et de « désordre libéral ». La Cour a conclu que ces éléments montraient que l’Administration avait utilisé le pouvoir de l’État pour sanctionner ou réprimer ces opinions défavorables, rendant probable le succès de Harvard sur ce terrain.
Concernant le droit à une protection égale garanti par le Cinquième Amendement, la Cour a noté que l’argument dit de « class-of-one » (selon lequel Harvard avait subi un traitement différencié et injustifié) était étroitement lié à ses arguments relatifs aux représailles. Elle a réaffirmé son raisonnement antérieur en précisant que le succès d’une seule de ces actions suffisait à justifier une injonction provisoire.
S’agissant des autres éléments de la norme relative à l’injonction provisoire, la Cour a estimé qu’ils justifiaient pleinement l’octroi d’une mesure de redressement. Elle a jugé que Harvard subirait un dommage immédiat et irréparable sans injonction, en raison de la perte des libertés garanties par le Premier Amendement, de la perturbation des programmes de recherche et d’enseignement, de l’atteinte à sa réputation et de l’incertitude pour les étudiants internationaux entrants. La balance des inconvénients et l’intérêt public — qui se confondent lorsque le gouvernement est la partie adverse — ont également penché en faveur de Harvard. La Cour a souligné l’ampleur du préjudice pour les étudiants, la communauté universitaire et les services essentiels de recherche et de santé, concluant que la protection des droits constitutionnels et de l’intégrité académique servait l’intérêt public.
En conclusion, la Cour a estimé que la tentative du gouvernement de faire pression sur une institution universitaire de renom en ciblant sa capacité à accueillir des étudiants étrangers constituait une menace directe pour des principes constitutionnels fondamentaux : liberté d’expression, liberté d’enquête et liberté de dissidence. Elle a relevé que l’Administration semblait sanctionner Harvard pour son orientation idéologique présumée plutôt que poursuivre un objectif national légitime. Le gouvernement a mené cette campagne sans considération pour les intérêts des étudiants étrangers ni les répercussions négatives pour eux et pour les citoyens américains. [p. 44]
La Cour a assorti sa décision d’un avertissement, citant George Washington : l’abolition de la liberté d’expression risquerait de réduire les individus au silence et à l’inaction, « comme des moutons conduits à l’abattoir ». [p. 44]
Au regard de ces éléments, et considérant que Harvard avait démontré de fortes chances de succès tant dans son action statutaire — en raison du caractère inédit de la Proclamation — que dans ses actions constitutionnelles fondées sur les représailles et la discrimination fondée sur le point de vue, la Cour a accédé à la demande d’injonction provisoire. Elle a rendu une ordonnance interdisant au gouvernement de mettre en œuvre ou de maintenir la Proclamation, jusqu’à ce qu’une nouvelle décision judiciaire intervienne.
La direction de la décision indique si la décision élargit ou réduit l'expression sur la base d'une analyse de l'affaire.
Cette décision historique d’envergure marque une avancée majeure pour la liberté d’expression, en particulier dans le cadre académique. Elle affirme que le gouvernement ne peut invoquer son autorité en matière d’immigration pour exercer des représailles contre une université en raison de discours protégés ou de son autonomie institutionnelle. En suspendant l’application intégrale de la Proclamation, la Cour a rappelé que la résistance aux directives idéologiques imposées par le gouvernement — qu’elles concernent les admissions, les programmes d’études ou la gouvernance — est protégée par la Constitution. La décision souligne que le pouvoir exécutif ne saurait être utilisé pour réprimer des opinions jugées indésirables ou imposer la conformité par des pressions indirectes sur les étudiants internationaux. Ce faisant, la Cour a réaffirmé le rôle de l’université comme « marché des idées » et consolidé la liberté académique comme une garantie essentielle d’une société démocratique.
La perspective globale montre comment la décision de la Cour a été influencée par les normes d'une ou de plusieurs régions.
L'importance du cas fait référence à l'influence du cas et à la manière dont son importance évolue dans le temps.
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